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La théorie de l'écocide sur l'île de Pâques remise en question par une étude génétique

Un nouveau moai a été découvert sur l'île de Pâques en février 2023. [Keystone - Karen Schwartz]
Un nouveau moai a été découvert sur l'île de Pâques en février 2023. - [Keystone - Karen Schwartz]
La population de l'île de Pâques, dans le Pacifique Sud, ne s'est pas effondrée au 17e siècle après un "suicide environnemental" causé par l'Homme et suite à une surexploitation des ressources. C'est la conclusion d'une étude internationale à laquelle ont participé deux chercheuses de l'Université de Lausanne.

L'île de Pâques, située dans le Pacifique à 3700 km des côtes chiliennes, est célèbre dans le monde entier pour les statues monumentales, les énigmatiques "Moaï". Une hypothèse répandue, basée notamment sur des données paléoenvironnementales, avançait que les Rapanui, le nom des habitants originels, auraient déforesté l'île, dont il est établi qu'elle était autrefois couverte de palmiers, pour maintenir une culture florissante et une population d'environ 15'000 individus à son apogée.

Personnellement, je pense que l'idée de l'écocide a été élaborée dans le cadre d'un récit colonial

 Victor Moreno-Mayar, professeur assistant de l'Université de Copenhague

Toujours selon cette hypothèse, la raréfaction des ressources aurait conduit à une période de famine et de guerre allant jusqu'au cannibalisme et se serait soldée par un effondrement démographique et culturel, mettant fin à la sculpture des statues au début du 17e siècle. Au moment de leur arrivée en 1722, les Européens estimaient la population de l'île à seulement 3000 individus.

Une recherche en génétique des populations

Avec le récit de ce "suicide écologique", aussi qualifié d'écocide, l'histoire des Rapanui "a été présentée comme un avertissement contre la surexploitation des ressources par l'humanité", rappellent les auteurs de l'étude publiée mercredi dans la revue Nature.

Cette étude a été menée par une équipe internationale, spécialisée en génétique des populations, qui comprenait la doctorante Bárbara Sousa da Mota et la professeure associée Anna-Sapfo Malaspinas, de la Faculté de biologie et de médecine de l'Université de Lausanne, indique un communiqué de cette dernière. Les recherches ont été réalisées grâce à HapNe-LD, un outil statistique avancé qui permet de reconstruire l'histoire démographique d'une population en se basant sur la structure génétique des individus actuels ou anciens.

>> Ecouter l'interview d’Anna-Sapfo Malaspinas, professeure associée à l'Université de Lausanne, spécialiste de la génétique des populations :

Le mystère de la disparation du peuple de l’Île de Pâques enfin levé? Interview d’Anna-Sapfo Malaspinas (vidéo)
Le mystère de la disparation du peuple de l’île de Pâques enfin levé? Interview d’Anna-Sapfo Malaspinas (vidéo) / Forum / 6 min. / le 11 septembre 2024

Le récit colonial balayé

Pour tirer les choses au clair, les chercheuses ont analysé le génome de quinze Rapanuis, ayant vécu entre 1670 et 1950, et dont les ossements se trouvent au Musée de l'Homme à Paris. Or, ce travail n'a révélé aucune baisse soudaine de la diversité génétique, qui aurait confirmé la théorie de l'"écocide". L'analyse a plutôt montré une population en croissance stable depuis le 13e siècle jusqu'au contact avec les Européens.

Les moaïs sur l'île de Pâques [KEYSTONE - KAREN SCHWARTZ]
Les moaï sur l'île de Pâques [KEYSTONE - KAREN SCHWARTZ]

L'étude révèle une "résilience" de la population face aux défis environnementaux pendant plusieurs siècles, jusqu'aux "chamboulements dévastateurs" survenus à la suite du contact avec les colons en 1722, soulignent les auteurs. "Personnellement, je pense que l'idée de l'écocide a été élaborée dans le cadre d'un récit colonial. Il s'agit de l'idée que ces peuples soi-disant primitifs ne pouvaient pas gérer leur culture ou leurs ressources, et que cela les a presque détruits", déclare dans le communiqué le professeur assistant Victor Moreno-Mayar, de l'Université de Copenhague.

Des contacts avec les Amérindiens avant Christophe Colomb

L'étude, réalisée en étroite liaison avec la communauté Rapanui, a également permis de confirmer que ceux-ci se sont bien mélangés avec les Amérindiens des siècles avant l'arrivée des Européens . Selon l'étude ADN, ce contact est survenu entre le 13e et le 15e siècle. "Bien que notre étude ne puisse pas nous dire où ce contact a eu lieu, cela pourrait signifier que les ancêtres des Rapanuis ont atteint les Amériques avant Christophe Colomb" en 1492, relève la professeure Anna-Sapfo Malaspinas.

agences/itg

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Des résultats corroborés par d'autres études

Ces résultats viennent corroborer ceux publiés en juin dernier dans Science Advances par une équipe ayant opté pour une approche très différente. Le fait que ces deux études aboutissent à des conclusions similaires "montre l'importance d'aborder une même question scientifique à partir de différentes disciplines", souligne Sousa da Mota. Ces scientifiques ont cartographié les "jardins de pierres" de l'île, une technique agricole consistant à mélanger des roches au sol pour l'enrichir en nutriment et préserver l'humidité.

En utilisant des images satellites en haute-résolution dans l'infrarouge à onde courte (SWIR) et en développant des modèles d'apprentissage automatique ("machine learning") pour les analyser, ils ont pu réévaluer la place occupée par ces jardins de pierre. Ces surfaces agricoles, qu'on pensait auparavant couvrir entre 4,3 et 21,1 km2, n'auraient en fait occupé que 0,76 km2 des 164 km2 de l'île de Pâques.