Début novembre, Euclid montrait ses premières images au grand public. Rappelons que le télescope spatial de l'Agence spatiale européenne (ESA) a pour mission, sur une période de six ans, de fournir la carte la plus précise de notre Univers au fil du temps.
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Les clichés révélés en ce 23 mai font partie d'une phase du programme d'observation précoce d'Euclid (ERO, pour Early Release Observation): ils accompagnent les premières données scientifiques ainsi qu'une dizaine de papiers de recherche. Ces résultats spectaculaires ont été obtenus en moins de 0,1% du temps d'observation de la mission, rappelle un communiqué du Consortium Euclid: voilà qui augure le meilleur pour l'avenir.
Pour Valeria Pettorino, scientifique du projet à l'ESA, cette étape est importante: "Les images et les résultats scientifiques associés sont d'une diversité impressionnante en termes d'objets et de distances observés. Elles comprennent une grande variété d'applications scientifiques et ne représentent pourtant que 24 heures d'observations. Elles ne donnent qu'un aperçu de ce qu'Euclid peut faire. Nous attendons avec impatience les six années de données à venir!" s'enthousiasme-t-elle dans le communiqué de l'Agence.
La galaxie NGC 6744
NGC 6744 est l'une des plus grandes galaxies spirales au-delà de notre coin d'espace rapproché; elle se trouve à 30 millions d'années-lumière, au sein du Groupe local. C'est un archétype du type de galaxie formant actuellement la plupart des étoiles de l'Univers proche.
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Cette structure en spirale est importante dans les galaxies: les bras spiraux déplacent et compriment le gaz pour favoriser la formation d'étoiles – qui se produit principalement le long de ces bras.
L'astrophysique utilise cet ensemble de données pour comprendre comment poussière et gaz sont liés à la formation des étoiles, qui est le moyen principal de croissance et d'évolution des galaxies.
L'idée est également de cartographier la répartition des différentes populations d'étoiles dans les galaxies et les endroits où elles se forment actuellement. Les astronomes veulent identifier les amas de vieilles étoiles – les amas globulaires – et rechercher de nouvelles galaxies naines autour de NGC 6744. Euclid en a déjà trouvé une! Une surprise, étant donné que cette galaxie a déjà été étudiée intensivement par le passé.
>> Deux détails de NGC 6744:
Les scientifiques espèrent aussi élucider la physique qui sous-tend la structure des galaxies spirales, un phénomène qui n'est pas encore totalement compris après des décennies d'études.
Le groupe de la Dorade
Le groupe de galaxies de la Dorade est l'un des plus riches de l'hémisphère sud. Des galaxies évoluent et fusionnent "en action" dans ce groupe, avec de magnifiques queues de marée et coquilles résultant d'interactions en cours, comme celles qui ont lieu entre les étoiles: certaines de ces dernières montrent des signes de fusion relativement récente. Cet ensemble de données est utilisé pour étudier l'évolution des galaxies, améliorer les modèles existants de l'Histoire cosmique et comprendre comment les galaxies se forment dans les halos de matière noire.
Les observations du groupe de la Dorade vont permettre d'aborder des questions qui ne pouvaient auparavant être explorées qu'à l'aide de bribes de données très limitées. Il s'agit notamment de dresser une liste complète des amas d'étoiles individuels, les amas globulaires, autour des galaxies capturées ici. Une fois que les astronomes sauront où se trouvent ces amas, il sera possible de les utiliser pour retracer la formation des galaxies et étudier leur histoire et leur contenu. Ces données permettront également la recherche de nouvelles galaxies naines autour du groupe, comme cela a été fait précédemment avec l'amas de Persée.
La nébuleuse Messier 78
Messier 78 est une pépinière d'étoiles en formation enveloppée d'un nuage de poussière interstellaire. C'est la première fois que cette jeune région est capturée à cette largeur et à cette profondeur. Ici sont cartographiés ses filaments complexes de gaz et de poussière avec des détails sans précédent: on y découvre des étoiles et des planètes nouvellement formées.
Ces objets de taille sub-stellaire sont vus pour la première fois dans Messier 78: d'ordinaire, des nuages sombres de gaz et de poussière les cachent, mais les yeux infrarouges d'Euclid peuvent voir à travers ces nébulosités obscures pour explorer leur intérieur. Ses instruments sensibles détectent des objets dont la masse ne dépasse pas quelques fois celle de Jupiter; la caméra VIS, travaillant en lumière visible, et NISP, en infrarouge, révèlent plus de 300'000 nouveaux objets dans ce seul champ de vision. Les scientifiques utilisent ces données pour étudier la quantité et la proportion d'étoiles et d'objets sub-stellaires présents, ce qui est essentiel pour comprendre la dynamique de la formation et de l'évolution des populations d'étoiles au fil du temps.
>> Deux détails de Messier 78:
Les objets sub-stellaires – tels que les naines brunes et les planètes flottantes ou errantes – sont également des candidats possibles pour la matière noire. Bien que nos connaissances actuelles suggèrent que ces objets ne sont pas assez nombreux pour résoudre le mystère de la matière sombre dans la Voie lactée, la question reste ouverte. Euclid y répondra définitivement en sondant une fraction importante de notre galaxie.
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L'amas de galaxies Abell 2390
L'image de l'amas Abell 2390 révèle environ 50'000 galaxies et montre un magnifique exemple de lentille gravitationnelle, décrivant des arcs courbes géants, dont certains sont en fait des vues multiples du même objet lointain.
Euclid utilisera cet effet loupe de la lentille – la lumière qui nous parvient de galaxies lointaines est courbée et déformée par la gravité – comme une technique clef pour explorer l'Univers sombre, en mesurant indirectement la quantité et la distribution de la matière noire dans les amas de galaxies et ailleurs. Les scientifiques étudient également l'évolution de la masse et du nombre d'amas de galaxies dans le ciel au fil du temps, ce qui permet d'en savoir plus sur l'Histoire et l'évolution de l'Univers.
>> Trois détails d'Abell 2390:
Un tel amas contient d'énormes quantités de masse – jusqu'à 10'000 milliards de fois celle du Soleil –, dont une grande partie sous forme de matière noire. La matière noire (ou sombre) est une forme de matière qu'il est impossible d'observer directement, mais qui est censée, avec l'énergie sombre, constituer l'essentiel du contenu de l'Univers.
Les amas de galaxies comme Abell 2390 sont de grands réservoirs de matière noire, ce qui en fait des laboratoires astrophysiques idéaux pour étudier ses propriétés. Lorsqu'Euclid commencera son étude principale, il capturera plusieurs milliers d'amas de galaxies sur environ un tiers du ciel, obtenant ainsi des informations que les scientifiques pourront utiliser pour établir des contraintes sans précédent sur l'Univers sombre.
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L'amas de galaxies Abell 2764 et l'étoile binaire Beta Phœnicis
L'amas de galaxies Abell 2764, en haut à droite de l'image, se trouve à 3,5 milliards d'années-lumière dans la direction de la constellation du Phénix et comprend des centaines de galaxies dans un vaste halo de matière noire. L'étoile en avant-plan, en bas à gauche, est située dans notre propre galaxie. Il s'agit de Beta Phœnicis, un astre visible dans l'hémisphère sud, qui est suffisamment brillant pour être vu par l'œil humain.
De nombreux objets sont capturés dans cette partie du ciel, y compris des galaxies d'arrière-plan, des amas plus éloignés et des galaxies en interaction qui projettent des flux et des coquilles d'étoiles, ainsi qu'une jolie spirale sur le bord qui nous permet de voir la finesse de son disque.
>> Deux détails d'Abell 2764:
Les observations d'Euclid sur Abell 2764, ainsi que sur Abell 2390, permettent également aux scientifiques d'observer certaines des galaxies les plus lointaines qui ont vécu pendant une période mystérieuse connue sous le nom d'âges sombres cosmiques.
Le télescope spatial de l'ESA nous permet de voir ces galaxies à l'époque où l'Univers n'avait que 700 millions d'années, soit à peine 5% de son âge actuel. Saisir leur lumière est une spécialité d'Euclid et nous permet de voir comment les premières galaxies se sont formées.
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Stéphanie Jaquet
De nouvelles propriétés physiques de l'Univers
Les images d'Euclid ne sont pas seulement magnifiques: elles permettent de révéler de nouvelles propriétés physiques de l'Univers.
Les premiers résultats scientifiques montrent la capacité du télescope spatial à rechercher dans les régions de formation d'étoiles des planètes "errantes" [rogue en anglais, ndlr.] flottant librement, d'une masse quatre fois supérieure à celle de Jupiter – la plus grande planète du Système solaire –, à étudier les régions extérieures des amas d'étoiles dans des détails sans précédent et à cartographier différentes populations d'étoiles pour explorer l'évolution des galaxies au fil du temps.
Le télescope spatial peut détecter des amas d'étoiles individuels dans des groupes et des amas de galaxies lointains, identifier de nouvelles galaxies naines, ou encore voir la lumière des étoiles arrachées à leurs galaxies mères. Ce premier catalogue, produit en une seule journée, révèle plus de 11 millions d'objets en lumière visible et 5 millions d'autres en infrarouge.
Une tâche immense
Euclid est en train de travailler à sa gigantesque tâche voulant qu'il cartographie en trois dimensions un peu plus d'un tiers du ciel: dans sa ligne de mire, des milliards de galaxies et les fondations cachées du cosmos.
Sa carte couvrira à la fois l'espace et le temps: son but est d'expliquer comment l'Univers a évolué, pourquoi il a l'apparence qu'il a de nos jours et de trouver la raison de son expansion accélérée depuis 5 milliards d'années. Il espère aussi étudier des composants fondamentaux de l'Univers, si élusifs et mystérieux: l'énergie sombre et la matière noire.
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"La beauté d'Euclid est qu'il couvre de grandes régions du ciel avec beaucoup de détails et de profondeur, et qu'il peut capturer un large éventail d'objets différents dans la même image – des plus faibles aux plus brillants, des plus lointains aux plus proches, des amas de galaxies les plus massifs aux petites planètes. Nous obtenons à la fois une vue très détaillée et très large", souligne la Professeure Carole Mundell, directrice de la Science à l'ESA. "Cette étonnante polyvalence a permis d'obtenir de nombreux résultats scientifiques nouveaux qui, combinés aux résultats des relevés effectués par Euclid dans les années à venir, modifieront considérablement notre compréhension de l'Univers".
Les images obtenues par Euclid sont au moins quatre fois plus nettes que celles des télescopes restés sur Terre. L'Univers lointain est observé sur de vastes étendues, à une profondeur inégalée, à la fois dans la lumière visible et infrarouge.
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