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Le trou noir le plus glouton et le plus brillant de l'Univers a été identifié

Cette vue d'artiste montre le quasar J059-4351, le noyau lumineux d'une galaxie lointaine alimenté par un trou noir supermassif. Il s'est révélé être l'objet le plus lumineux connu à ce jour dans l'Univers. Le trou noir supermassif, que l'on voit ici aspirer la matière qui l'entoure, a une masse 17 milliards de fois supérieure à celle du Soleil et sa masse augmente de l'équivalent d'un autre Soleil par jour, ce qui en fait le trou noir dont la croissance est la plus rapide jamais connue. [ESO - M. Kornmesser]
Le trou noir le plus brillant et le plus glouton de l'Univers a été identifié / Le Journal horaire / 28 sec. / le 20 février 2024
Un quasar – le noyau lumineux d'une galaxie lointaine, alimenté par un trou noir supermassif – est l'objet le plus brillant connu à ce jour dans l'Univers. Il s'agit aussi du trou noir dont la croissance est la plus rapide jamais connue: il engloutit un peu plus de l'équivalent de notre Soleil par jour.

Sa lumière a mis 12 milliards d'années pour nous parvenir, c'est dire s'il se trouve loin, cet incroyable quasar (lire encadré). Son existence date de l'époque primitive de l'Univers: le Big Bang a en effet eu lieu il y a 13,8 milliards d'années. "Ce serait le trou noir le plus lourd jamais vu", commente l'astrophysicien Stéphane Paltani, professeur à l'Université de Genève, qui n'a pas participé à cette recherche. Il ajoute par téléphone avec RTSinfo: "Si cela se confirme et que l'analyse est solide, il faudra réussir à comprendre comment s'est formé un trou noir pareil au tout tout début de l'Univers". Aussi massif, aussi tôt dans l'Histoire de l'Univers, c'est intrigant.

Invisible par définition, un trou noir supermassif illumine par son activité le noyau de la galaxie qui l'abrite; celui-ci, nommé J059-4351, est particulièrement goulu: "Nous avons découvert le trou noir à la croissance la plus rapide connu à ce jour. Il a une masse de 17 milliards de soleils et mange un peu plus d'un Soleil par jour. Cela en fait l'objet le plus lumineux de l'Univers connu", explique Christian Wolf, astronome à l'Australian National University (ANU) et auteur principal de l'étude publiée dans Nature Astronomy. Les astronomes l'ont repéré grâce au Very Large Telescope (VLT) de l'Observatoire Européen Austral (ESO) dans la direction de la Constellation du Peintre.

Les trous noirs qui alimentent les quasars aspirent la matière de leur environnement dans un processus si énergétique qu'il émet de grandes quantités de lumière. À tel point que les quasars font partie des objets les plus brillants de notre ciel, ce qui signifie que même les quasars les plus éloignés sont visibles depuis la Terre.

La matière qui est attirée vers ce trou noir-ci, sous la forme d'un disque, émet tellement d'énergie que J0529-4351 est plus de 500 billions de fois plus lumineux que le Soleil. Quasiment inimaginable puisqu'un un billion est un million de millions: 1'000'000'000'000 ou 1012 – oui, il y a bien douze zéros derrière le chiffre 1.

"Toute cette lumière provient d'un disque d'accrétion chaud qui mesure sept années-lumière de diamètre – il doit s'agir du plus grand disque d'accrétion de l'Univers", explique Samuel Lai, doctorant à l'ANU et coauteur de l'étude. Sept années-lumière, c'est environ 15'000 fois la distance entre le Soleil et l'orbite de Neptune, la huitième planète de notre Système solaire.

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Une lumière détectée dans les années 1980

Etonnamment, ce quasar record était caché à la vue de tous: "Il est surprenant qu'il soit resté inconnu jusqu'à aujourd'hui, alors que nous connaissons déjà un million de quasars moins impressionnants. Jusqu'à présent, il nous a littéralement regardé en face", déclare Christopher Onken, astronome à l'ANU et coauteur de l’étude. Selon lui, l'objet apparaissait sur des images du Schmidt Southern Sky Survey de l'ESO datant de 1980, mais qu'il n'a été reconnu comme un quasar que des décennies plus tard. Ce qui ne surprend pas Stéphane Paltani: "Lorsqu'on observe un champ du ciel, on voit beaucoup de sources: si l'on n'effectue pas un spectre de la lumière, on en peut pas savoir que c'est un quasar plutôt qu'une étoile".

La recherche de quasars nécessite des données d'observation précises sur de vastes zones du ciel. Les ensembles de données qui en résultent sont si volumineux que les scientifiques utilisent souvent des modèles d'apprentissage automatique pour les analyser et distinguer les quasars des autres objets célestes. Toutefois, ces modèles sont formés sur la base de données existantes, ce qui limite les candidats potentiels à des objets similaires à ceux déjà connus. Si un nouveau quasar est plus lumineux que tous les autres observés précédemment, le programme pourrait le rejeter et le classer plutôt comme une étoile pas trop éloignée de la Terre (lire encadré).

L'Univers primitif et ses secrets

La découverte et l'étude de trous noirs supermassifs lointains pourraient permettre d'élucider certains des mystères de l'Univers primitif, notamment sur la façon dont ces trous et les galaxies qui les abritent se sont formés et ont évolué.

Mais ce n'est pas la seule raison pour laquelle Christian Wolf les recherche: "Personnellement, j'aime tout simplement la chasse", raconte-t-il. "Pendant quelques minutes par jour, je me sens à nouveau comme un enfant, jouant à la chasse au trésor, et je rapporte maintenant tout ce que j'ai appris depuis".

>> Lire aussi : Podcast - C'est quoi exactement un trou noir?

Stéphanie Jaquet et l'ats

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Qu'est-ce qu'un quasar?

Modèle théorique des galaxies à noyau actif. [Wikimédia/CC 4.0 - Donald Pelletier]
Modèle théorique des galaxies à noyau actif. [Wikimédia/CC 4.0 - Donald Pelletier]

Quasar est le nom qui désigne une source de rayonnement astronomique décrite comme "quasi-stellaire" (abrégés parfois en QSO pour "quasi-stellar object"); ce sont les objets les plus lumineux de l'Univers. Ils ont été découverts dans les années 1960.

Un quasar est un trou noir supermassif au centre d'une région extrêmement lumineuse nommée "noyau actif de galaxie" (NAG; en anglais Active Galactic Nucleus, AGN); plus précisément encore, c'est la région compacte entourant le trou noir.


La luminosité du quasar, beaucoup plus intense que la normale, est détectable dans au moins un domaine du spectre électromagnétique: les ondes radio, l'infrarouge, la lumière visible, l'ultraviolet, les rayons X ou les rayons gamma. Ces caractéristiques montrent que cette forte luminosité n'est pas d'origine stellaire.

Le rayonnement du NAG résulterait théoriquement de l'accrétion par un trou noir supermassif situé au centre de la galaxie-hôte. La matière est tellement chauffée qu'elle devient un plasma très lumineux à l'origine de jets de matière en relation avec la rotation du trou noir.

Identifié comme quasar récemment

Une analyse automatisée des données du satellite Gaia de l'Agence spatiale européenne avait écarté J0529-4351 en raison de sa trop grande luminosité pour être un quasar, suggérant plutôt qu'il s'agissait d'une étoile. Les astronomes l'ont identifié comme un quasar lointain l'année dernière en utilisant les observations du télescope de 2,3 mètres de l'ANU à l'observatoire de Siding Spring en Australie. Pour découvrir qu'il s'agissait du quasar le plus lumineux jamais observé, il fallait toutefois un télescope plus grand et des mesures effectuées par un instrument plus précis. Le spectrographe X-shooter du VLT de l'ESO, situé dans le désert d'Atacama au Chili, a fourni les données cruciales.

Le trou noir dont la croissance est la plus rapide jamais observée sera également une cible parfaite pour la mise à jour de GRAVITY+ de l'interféromètre du VLT (VLTI) de l'ESO, qui est conçu pour mesurer avec précision la masse des trous noirs, y compris ceux qui sont très éloignés de la Terre.

En outre, l'ELT, l'Extremely Large Telescope, de l'ESO, un télescope de 39 mètres en construction dans le désert chilien d'Atacama, permettra d'identifier et de caractériser ces objets insaisissables avec plus de facilité.