Les climatologues susciteraient davantage de défiance que les autres scientifiques, selon une étude
La confiance dans les scientifiques constitue une base importante pour l'approbation de solutions scientifiques aux grands problèmes sociaux. Et de manière générale, celle-ci est plutôt bonne: les gens croient en la science et les scientifiques sont généralement considérés comme plutôt dignes de confiance, indique l'équipe ayant réalisé cette étude auprès de 70'000 personnes dans 68 pays.
Mais alors que le changement climatique constitue l'un des principaux défis contemporains, dans la plupart des pays étudiés, les participants et les participantes à cette étude accordaient une confiance légèrement moins importante aux climatologues (3,5 sur 5) qu'à la moyenne des scientifiques dans leur ensemble (3,62). Les auteurs et autrices relèvent toutefois une variation notable d'un pays à l'autre.
Contre-offensive et lobbyisme
"Un contre-mouvement de lutte contre les politiques climatiques a activement cherché à saper la confiance dans les climatologues et leurs découvertes, ce qui a pu contribuer à une moindre confiance (...), en particulier chez les conservateurs", relève le texte publié dans une version "preprint" (qui n'a pas encore été revue et validée par les pairs).
"Certains messages que la science climatique véhicule peuvent être moins appréciés par la population. Par ailleurs, on sait qu'il y a quand même des campagnes de désinformation importantes qui ont été financées par les lobbies pétroliers", abonde Sonia Seneviratne, climatologue à l'École polytechnique fédérale de Zurich, lundi dans La Matinale de la RTS.
Davantage de scepticisme à droite
Parmi les facteurs pouvant expliquer cette différence de perception, l'étude s'est penchée sur l'impact des idéologies politiques. Selon les résultats, une inclinaison politique de droite est associée à une plus forte méfiance envers les climatologues, en moyenne mondiale et spécifiquement dans une trentaine de pays, en particulier dans les pays occidentaux.
"Ces résultats concordent avec l'idée que le conservatisme est associé à la méfiance envers la science du climat, les climatologues et les scientifiques en général", commentent les auteurs. Toutefois, dans une petite quinzaine de pays, une orientation politique de droite est un prédicteur positif de la confiance envers les climatologues.
Confiance dans les sciences qui favorisent la production économique
Les chercheuses et les chercheurs avancent plusieurs explications à ces nuances, notamment les différences de discours des gouvernements d'un pays à l'autre.
Par ailleurs, "des recherches antérieures ont montré que le conservatisme est associé à une plus grande confiance envers les scientifiques dans les disciplines qui favorisent la production économique (comme les sciences industrielles ou agricoles), mais à une moindre confiance dans des domaines plus politisés, comme la climatologie ou l'océanographie qui étudient les impacts de la production économique sur l'environnement".
Investir davantage dans l'éducation et l'information
En matière de confiance envers les climatologues, la Suisse se situe légèrement au-dessus de la moyenne mondiale, mais reste loin des meilleurs. "C'est vrai que c'est inquiétant, surtout par rapport à d'autres pays où on estime que la population a probablement moins d'éducation", souligne Sonia Seneviratne.
"J'ai deux enfants qui sont à l'école et je vois que l'information qu'ils reçoivent au niveau du changement climatique dépend beaucoup des enseignants. Donc on pourrait imaginer avoir plus de matériel didactique au niveau des écoles et peut-être aussi que la Confédération investisse davantage sur l'information de la population en général. C'est important parce que dans une démocratie, si la population n'est pas bien informée, elle ne peut pas prendre des décisions en connaissance de cause", estime-t-elle encore.
S'ils invitent à la prudence sur leurs conclusions, les auteurs de l'étude estiment que "la confiance moindre dans les climatologues peut refléter les efforts réussis (...) pour semer le doute sur l’intégrité des climatologues et de leurs conclusions" et que "ce manque de confiance peut aider à expliquer pourquoi il n'y a pas eu suffisamment de mesures sur le changement climatique".
Sujet radio: Zoé Decker
Article web: Pierrik Jordan
Attitudes des gouvernements et enjeux géopolitiques, des facteurs signifiants
Sur 68 pays, 43 ont montré une confiance inférieure aux climatologues par rapport aux scientifiques en général, 19 n'ont montré aucune différence significative dans les notes de confiance et six ont montré une confiance plus élevée.
La défiance est la plus marquée en République démocratique du Congo. À l'inverse, en Chine, la confiance dans les climatologues est particulièrement plus élevée qu'envers le reste des scientifiques.
"Les pays qui présentent les deux différences les plus extrêmes sont révélateurs", souligne l'étude. "En Chine, la confiance inhabituellement élevée dans les climatologues peut être due à l'alignement sur les objectifs climatiques nationaux et les priorités environnementales."
À l'inverse, en République démocratique du Congo, la défiance pourrait résulter des inquiétudes d'une partie de la population par rapport à l'exploitation des ressources locales (comme le lithium ou le cobalt qui entrent dans la composition des batteries, notamment), au profit de l'industrie mondiale des énergies renouvelables, avancent les chercheurs.
La confiance en la science ne garantit pas la confiance envers les scientifiques
Cette étude s'est basée sur un panel déjà utilisé dans le cadre d'une autre étude qui s'intéressait plus largement à la confiance générale envers les scientifiques, et dont certains résultats peuvent surprendre.
Dans le monde entier, les gens y percevaient les scientifiques comme ayant une grande compétence (une valeur moyenne de 4,02 sur 5). À l’échelle mondiale, 75% des répondants jugent que les méthodes scientifiques sont le meilleur moyen de savoir si quelque chose est vrai ou faux.
Toutefois, paradoxalement, la confiance dans les méthodes scientifiques est modérément corrélée à la confiance dans les scientifiques eux-mêmes. Les gens percevaient en effet les scientifiques comme ayant une intégrité modérée (3,58) et des intentions modérément bienveillantes (3,55).
Parmi les facteurs explicatifs d'une moindre de confiance, les auteurs soulignent que, contrairement à ce que l'on pourrait penser, au niveau mondial, la confiance dans la science n'est que très légèrement liée au degré d'éducation supérieure. Et dans la plupart des pays, soulignent-ils, aucun lien n'a pu être établi.
Par ailleurs, alors que l'on pourrait supposer que la croyance religieuse est associée à une moindre confiance dans les scientifiques, c'est l'inverse qui est constaté: "À l'échelle mondiale, la religiosité est positivement associée à la confiance dans les scientifiques", avec là aussi d'importantes différences selon les régions et les pays.
Enfin, les chercheurs soulignent l'absence de "preuve crédible" que la confiance soit plus élevée dans les pays où les scores moyens en culture scientifique et les dépenses publiques en éducation sont plus élevés". Selon eux, cela "remet en cause les hypothèses selon lesquelles la compréhension publique de la science et les mesures politiques visant à accroître cette compréhension favorisent la confiance dans les scientifiques."