Les dernières minutes du Titan, le sous-marin qui a implosé près de l'épave du Titanic
Vendredi 16 juin 2023 - La fascination Titanic
Un navire, appelé le Polar Prince, part de St. John's au Canada. Sa destination: le site de l'épave du Titanic qui a sombré en avril 1912, à plus de 600 km au sud-est, en plein océan Atlantique.
"Le Titanic fascine toujours autant en raison de la dimension romantique de cette tragédie. A cela s'ajoute le fait que l’épave se trouve à une profondeur de 3821 m. Peu de gens peuvent donc la voir", a détaillé dans le documentaire diffusé dans Temps Présent le journaliste Martin Phillips, expliquant l'attrait que l'épave exerce malgré la dangerosité de son environnement.
Le Polar Prince transporte le Titan, un petit submersible en eau profonde qui mesure environ 6,70 m de longueur et 2,80 m de largeur.
Cinq personnes se préparent à plonger: Shahzada et Suleman Dawood – un riche homme d'affaires pakistano-britannique et son fils –, Paul Henri Nargeolet – un ancien commandant de la marine française âgé de 77 ans qui a déjà plongé 37 fois vers le Titanic –, Stockton Rush – le propriétaire du Titan – et Hamish Harding, un milliardaire britannique qui dirige une société de vente de jets privés basée à Dubaï.
Dimanche 18 juin 2023, 8h00 - Le début de la descente
Le Titan, un sous-marin expérimental qui n'a été certifié par aucun organisme de réglementation [lire encadré], commence sa descente sur le Titanic à 8 heures du matin. Il doit explorer l'épave pendant environ deux heures avant de refaire surface vers 15 heures.
"Il faut environ deux heures pour descendre quatre mille mètres de profondeur. Vous êtes tellement excités par cette perspective que vous n’avez pas le temps d’être claustrophobe. Vous ne pensez certainement pas à la probabilité que quelque chose se passe mal à ce moment-là", raconte Nicolai Roterman, biologiste des fonds marins.
Si le submersible présente ne serait-ce qu'un petit trou, la pression de l'eau passant par ce trou est comparable à un laser qui couperait un homme en deux
L'environnement, à près de 4000 mètres sous la surface de la mer, est pourtant dangereux. À cette profondeur, la pression qui s’exerce sur un sous-marin augmente considérablement. "On parle de 350 ou 400 de pression d’atmosphère à l'extérieur, contre 1 de pression d'atmosphère à l'intérieur", estime le biologiste.
"Si le submersible présente ne serait-ce qu'un petit trou, la pression de l'eau passant par ce trou est comparable à un laser qui couperait un homme en deux", image pour sa part Martin Phillips.
Dimanche 18 juin 2023, 9h45 - La perte de contact
À 9h45, le contact est soudainement perdu avec le Titan. Les personnes à bord du Polar Prince font tout ce qu'elles peuvent pour rétablir la communication. "Vous êtes à 685 km des côtes sur l'océan Atlantique et vous perdez la communication avec le submersible. Vous pouvez facilement imaginer la panique qui s'est emparée de l'équipage du Polar Price à ce moment-là", raconte Ryan Cooke, journaliste à St. John's.
Cinq heures plus tard, à 15 heures, le Titan ne remonte pas à la surface comme prévu. Il ne s'agissait donc pas d'un simple problème de communication. Se pose alors rapidement la question de l'oxygène. "Ils disposaient d'environ 96 heures d'oxygène au moment de leur plongée. L'horloge tourne déjà depuis un moment", détaille Ryan Cooke.
Dimanche 18 juin 2023, 17h25 - Les autorités alertées
Ce n'est qu'à 17h25 (heure locale) que l'équipage du Polar Prince alerte les autorités, près de huit heures après avoir perdu le contact avec le Titan. L'armée de l'air canadienne est la première à répondre. Elle lance immédiatement des recherches, survolant l'océan pour repérer tout signe du Titan avec un avion spécialisé.
La tâche est immense et le temps commence à manquer. D'autant plus que la recherche aérienne a ses limites pour retrouver un submersible au fond de l'eau. En parallèle, les secours font donc appel à Pelagic, une société spécialisée dans les robots sous-marins, qui utilise notamment le véhicule télécommandé Odysseus, mais qui est stationné à plusieurs centaines de kilomètres de la zone.
"Notre plan était le suivant: aller au fond de la mer, localiser le Titan et commencer à le ramener à la surface. Mais le processus de planification d'une opération de ce type prend généralement des semaines, voire des mois. Nous n’avions que quelques jours", rappelle Ed Cassano, directeur général de Pelagic.
Lundi 19 juin 2023, 9h00 - La nouvelle communiquée
Le lendemain matin, la nouvelle parvient pour la première fois sur le continent. Des hordes de journalistes débarquent à St. John's.
>> Relire le premier article de la RTS à ce sujet : Un petit sous-marin touristique visitant l'épave du Titanic est porté disparu
"C'est une histoire passionnante, à bien des égards. Vous avez un submersible expérimental, avec des touristes qui descendent pour visiter l'épave. Il y a la composante temporelle avec cette fenêtre de 96 heures – avec le compte à rebours. Le monde entier regardait", explique Emily Sweeney, journaliste au Boston Globe, pour justifier l'emballement médiatique rapide.
Un emballement qui s'est amplifié quand le prix du billet pour monter à bord du Titan a été communiqué: 250'000 dollars.
Mardi 20 juin, 23h30 - Des coups réguliers entendus
Le mardi, alors que le Titan a disparu depuis plus de 60 heures, l'espoir renaît. "En fin de journée, CNN annonce que les Canadiens ont entendu des bruits de coups, répétés toutes les trente minutes, provenant du fond de l'océan. Ça a tout changé", se souvient le journaliste local Ryan Cooke.
Les équipes de secours ont désormais un objectif. Elles se précipitent vers la source de ce bruit, mais les réserves estimées d’oxygène ont baissé à un niveau dangereusement bas. Le temps presse.
Jeudi 22 juin, 4h09 - Le robot mis à l'eau
À 4h09, alors qu'il ne reste qu'environ 6 heures d'oxygène selon les estimations, le robot Odysseus tout juste arrivé sur place est mis à l'eau. Il lui faut un peu plus de deux heures pour atteindre le fond de la mer. Mais après quatre jours de recherches frénétiques, l'espoir de sauver l'équipage du submersible Titan s'amenuise rapidement.
Il est impossible de trouver des débris, à moins qu'il ne se soit passé quelque chose de terrible et de violent
"On a suivi une direction en se dirigeant vers la dernière position connue. Nous avancions toujours aussi vite que possible. Etait-ce motivant? Bien sûr, et cette motivation n'a jamais cessé jusqu'à ce que...", se souvient Ed Cassano, qui laisse sa phrase en suspens.
Jeudi 22 juin, 8h17 - Des débris retrouvés
À 8h17, l'Odysseus découvre des petits débris au fond de la mer. "Il est impossible de trouver des débris, à moins qu'il ne se soit passé quelque chose de terrible et de violent", déplore le biologiste Nicolai Roterman.
"Un véhicule télécommandé depuis le navire Horizon Arctic a découvert le cône arrière du submersible Titan, à environ 1600 pieds de la proue du Titanic, sur le fond de la mer", confirme quelques heures plus tard le contre-amiral John Mauger, des gardes-côtes américains.
La pression, à près de quatre mille mètres de profondeur, s'est avérée trop forte pour le Titan. Les cinq passagers sont décédés.
Mercredi 28 juin, 8h00 - Les sauveteurs rentrent
Le 28 juin, les équipes de sauvetage à bord de l'Horizon Arctic retournent à terre avec les débris du Titan. "Le bateau arrive, décharge les derniers morceaux du Titan qu'il a pu trouver. Le nez en titane est encore parfaitement intact", raconte Ryan Cooke.
Après la confirmation qu'il s'agissait bien du Titan, l'US Navy révèle avoir détecté un bruit étrange le dimanche 18 juin. "Nous savons maintenant que les Américains ont pu détecter l'implosion du Titan alors qu'il descendait vers le Titanic", précise Chris Parry, ancien contre-amiral de la marine royale, sans parvenir à expliquer pourquoi l'US Navy ne l'a pas révélé plus tôt.
"Bizarrement, j'étais en fait un peu soulagé. Le drame s'est produit très rapidement, dans la descente. Les passagers n'ont donc pas souffert psychologiquement pendant des jours et des jours, sachant que l’air allait manquer", témoigne Nicolai Roterman.
Quant aux bruits réguliers entendus quelques jours plus tard, ils pouvaient provenir d'un navire dans la zone ou d'un mouvement de l'épave du Titanic, selon les experts.
De nombreuses enquêtes ont ensuite été lancées pour déterminer ce qui était arrivé au Titan, le submersible qui a connu un sort étrangement similaire à celui du navire qu'il recherchait.
Documentaire: Daniel Smith
Adaptation web: Victorien Kissling
Les responsabilités en question
Après le drame, les familles des victimes cherchent à comprendre les raisons et définir les responsabilités. "Je pense que le choix des matériaux pour la construction du Titan pourrait être qualifié au mieux d’aventureuse et optimiste...", note Dik Barton, ancien vice-président des opérations pour RMS Titanic, Inc.
"En réalité, Stockton Rush l'a fait pour économiser de l'argent, pour gagner du temps et parce qu'il pensait pouvoir le faire", ajoute Bart Kemper, ingénieur sous-marin.
Nombreux avertissements
En plus d'utiliser des matériaux douteux pour construire le Titan, Rush a refusé, en dépit de plusieurs avertissements, de faire certifier le Titan par des organismes agréés en matière de sécurité maritime.
"En 2018, j'ai écrit une lettre qui disait en substance: 'Nous sommes inquiets et nous vous disons tous de faire attention, car les risques sont très élevés et peuvent aller de l'anodin au catastrophique", explique Will Kohnen, directeur général d'Hydrospace Group, Inc.
OceanGate a désormais cessé ses activités. Son site web n'est plus qu'un écran noir.