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Les géants du numérique se tournent vers le nucléaire pour alimenter les IA

La centrale nucléaire à Three Mile Island, aux Etats-Unis. [Keystone - AP Photo/Matt Rourke, File]
Les géants du numérique investissent dans le nucléaire / La Matinale / 5 min. / hier à 07:25
Pour satisfaire des besoins énergétiques toujours plus grands, notamment pour faire fonctionner les IA génératives, les géants du numérique se tournent de plus en plus vers le nucléaire. Ils misent en particulier sur les SMR, de petits réacteurs modulaires qui pourraient être construits en série.

Le groupe américain Constellation Energy a annoncé le mois dernier la relance d'un réacteur nucléaire à Three Mile Island, en Pennsylvanie, pour fournir en électricité des centres de données de Microsoft. L'accord signé avec le géant informatique américain porte sur 20 ans et permettra de relancer l'unité 1, voisine de celle qui avait été le théâtre du plus grave accident nucléaire de l'histoire des Etats-Unis en 1979 [lire encadré].

Si Microsoft s'intéresse au nucléaire, c'est parce que les besoins énergétiques des GAFAM, ces grands acteurs du numérique, sont toujours plus grands, notamment en raison du développement des intelligences artificielles génératives. Celles-ci utilisent 30 fois plus d’énergie qu'un moteur de recherche classique, un appétit que l'on doit à l'utilisation de modèles de langage très perfectionnés qui nécessitent de gigantesques capacités de calcul. Le besoin est tel qu'on estime que d'ici 2030, l'IA pourrait représenter 3 à 4% de la demande mondiale d'électricité.

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Approvisionnement quasi illimité

"Si on regarde les projections de consommation des centres de données, on constate qu'on a besoin de sources d'énergie, et l'une d'elles est l'énergie nucléaire", a confirmé mardi dans La Matinale de la RTS Babak Falsafi, professeur en Informatique à l'EPFL et président de la SDEA, association qui mesure l'efficacité des Datacenters en Suisse. Et de citer l'exemple d'une centrale nucléaire récemment construite par la Finlande et dont la moitié de l'énergie est consacrée aux centres de données.

>> Sur ce sujet : La Finlande, un modèle pour l'énergie nucléaire?

Le fait de retourner vers le nucléaire est symptomatique d'une incapacité à renoncer à l'abondance, voire à l'ébriété énergétique

Yves Marignac, expert auprès de l'autorité de sûreté nucléaire en France et membre de Nagawatt

Sécuriser de grandes quantités d'énergie pour faire fonctionner ces super calculateurs permettrait de surmonter le problème énergétique posé par le développement galopant de l'IA, voire même de s'assurer un approvisionnement quasi illimité.

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Fuite en avant?

Certains y voient cependant une fuite en avant, à l'instar d'Yves Marignac, expert auprès de l'autorité de sûreté nucléaire en France et membre de NégaWatt, association qui lutte pour la transition énergétique: "Le fait de retourner vers le nucléaire est symptomatique d'une incapacité à renoncer à l'abondance, voire à l'ébriété énergétique", estime-t-il.

A ses yeux, ce qui motive ce retour au nucléaire est clair: c'est le développement "à tout-va" de l'intelligence artificielle et de son utilisation, sans questionnement sur son bon usage et sa modération. "On est dans un contexte où les grands acteurs de la tech projettent un monde de plus en plus tourné vers des solutions technologiques massives qui conduisent à vouloir faire feu de tout bois et développer toutes les énergies possibles, jusqu'à aller remettre en service un réacteur déjà éteint, avec tous les inconvénients et tous les risques [...] que ça peut comporter", dénonce-t-il.

Les GAFAM lorgnent sur les SMR, de petits réacteurs nucléaires modulaires

Le développement de mini-réacteurs nucléaires (SMR, pour small modular reactor) figure parmi les autres pistes évoquées par Microsoft ou Amazon. Potentiellement moins chers et plus faciles à développer, ils sont présentés comme l'avenir du nucléaire par certains chercheurs.

L'idée est d'en faire des centrales modulaires qu'on pourrait construire quasiment dans des usines, permettant des économies d'échelle

Mathieu Hursin, chercheur à l'EPFL

"De par leur coût d'investissement plus faible, le risque pour un industriel qui voudrait en construire un est aussi plus faible", explique Mathieu Hursin, un chercheur qui travaille sur le réacteur de recherche de l'EPFL via le projet Euratom. De plus, "comme ce sont de plus petites centrales, l'idée est d'en faire des centrales modulaires qu'on pourrait construire quasiment dans des usines, permettant des économies d'échelle", poursuit-il. Ces concepts n'ont toutefois encore jamais été construits. "Il faut qu'on travaille encore un peu dessus", tempère le chercheur.

Ces centrales modulaires pourraient arriver sur le marché en 2030, estiment les plus optimistes. Dernièrement, la société américaine Oracle a obtenu l'autorisation de construire un centre de données alimenté par ces petits réacteurs. Microsoft, de son côté, s'est également associée à une société qui développe des SMR, autant de signes qui montrent que cette solution semble de plus en plus réaliste dans l'esprit des géants de la tech.

Sujet radio: Sophie Iselin

Adaptation web: Vincent Cherpillod avec ats

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A Three Mile Island, le plus grave accident nucléaire de l'histoire des Etats-Unis

Le groupe Constellation Energy avait racheté l'unité 1 de la centrale de Three Mile Island en 1999. Avant sa mise hors service prématurée pour raisons économiques en 2019, elle avait une capacité de production de 837 mégawatts, suffisante pour alimenter en électricité plus de 800'000 foyers.

>> Lire à ce sujet : Aux Etats-Unis, la centrale nucléaire de Three Mile Island fermera en 2019

Des investissements importants vont être réalisés pour restaurer la centrale, notamment la turbine, le générateur et les systèmes de refroidissement. Le redémarrage d'un réacteur nucléaire nécessite au préalable l'approbation de la Commission de réglementation nucléaire des Etats-Unis après un examen complet de la sécurité et de l'environnement, note l'énergéticien. Le site, qui devrait créer 3400 emplois directs et indirects, devrait être de nouveau opérationnel en 2028.

Panique à Harrisburg

En mars 1979, la centrale avait été à l'origine du plus grave accident nucléaire civil qu'ait connu les Etats-Unis, classé au niveau 5 de l'échelle internationale des évènements nucléaires, qui en compte sept.

Une anomalie dans un circuit avait bloqué les pompes d'alimentation, causant un refroidissement insuffisant du coeur de la centrale et la fonte partielle d'un réacteur. De faibles quantités de gaz radioactifs s'étaient échappées dans la nature, causant la panique et la fuite de quelque 200'000 personnes dans la région de Harrisburg.

Il avait fallu attendre six ans pour relancer le réacteur numéro un de la centrale, non affecté par l'accident.

>> Plus de détails dans les archives de la RTS : Panique à Harrisburg