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Les troubles dys: minimisés, frustrants et fatigants

Les « Dys », frustrants et fatiguants
Les « Dys », frustrants et fatiguants / Dingue / 32 min. / le 10 juin 2024
La dyslexie, la dysorthographie et la dyscalculie, regroupées sous le terme de troubles spécifiques des apprentissages, touchent 5 à 7% des enfants d’âge scolaire. Ce sont des troubles neurodéveloppementaux présents dès la naissance et persistants à l'âge adulte. Leur impact est souvent minimisé dans l'opinion publique.

Dans le podcast Dingue, Mélody (prénom d’emprunt), étudiante en Master à l’université, raconte comment elle vit avec la dyslexie, la dysorthographie et la dyscalculie. Elle décrit ses sentiments lorsqu’on lui fait comprendre que son orthographe est mauvaise: "Les gens ne sont pas tolérants, ils ne m’aident pas. C’est très humiliant".

Nous associons une bonne orthographe à une bonne éducation et intelligence. Or, les troubles spécifiques des apprentissages sont sans lien avec l’intelligence ou l’éducation. Cette stigmatisation peut avoir un impact très profond sur l’estime de soi.

La "dys" estime de soi

Luigi Viandante, psychologue et responsable de la consultation spécialisée du développement et des apprentissages scolaires au CHUV, explique: "Ce sont des enfants qui vont être très impactés au niveau de l’estime de soi, parce qu’ils sont confrontés à des échecs et pour certains, se sentent bêtes, se sentent nuls".

Même si Mélody a été repérée très tôt, dès sa première année scolaire, et a bénéficié de la bienveillance de ses enseignantes et enseignants, l’école n’a globalement pas été valorisante pour elle, contrairement à sa relation avec sa logopédiste: "Elle m’avait dit que, quand tu es dyslexique, tu apprends à développer des moyens pour contrer les difficultés que d’autres personnes ne développeront pas. Ça me valorisait et j’en avais besoin parce qu’à l’école, on relevait surtout mes mauvaises notes".

Très jeune, on m’a toujours dit que les longues études, ce serait très difficile. Et quelqu’un m’a clairement dit: tu es dyslexique, tu n’iras pas à l’université

Mélody*

Mélody ne compte plus le nombre de médecins et de spécialistes qu’elle a rencontrés depuis son enfance, mais l’un d’eux lui a laissé un souvenir marquant: "Très jeune, on m’a toujours dit que les longues études, ce serait très difficile. Et quelqu’un m’a clairement dit: tu es dyslexique, tu n’iras pas à l’université. Du coup, quand j’ai commencé à l’université, j’avais un gros syndrome de l’imposteur, je ne me sentais pas du tout légitime".

Outre le monde académique, Mélody estime également que ses troubles ont un impact sur sa vie quotidienne: "Encore hier, je suis arrivée au mauvais endroit parce que je me suis trompée de chiffre dans le numéro de rue, ou j’arrive 2 heures avant ou je monte dans le mauvais bus. Au quotidien, c’est du temps que tu perds, c’est de l’énergie donnée pour des choses qui ne servent à rien".

Un "dys" fonctionnement des automatismes

Exécuter une tâche ou une compétence de manière fluide sans avoir à y penser consciemment est ce qu’on appelle un automatisme. L’apprentissage de la conduite automobile illustre bien une compétence qui, au début, prend toutes nos ressources cognitives et qui, après quelques temps, devient automatique.

Pour prendre un exemple plus scolaire et fondamental, si la lecture n’est pas automatique, alors elle devient très fatigante. Surtout, comme une bonne partie du cerveau est utilisée pour déchiffrer, il reste peu de ressources pour comprendre le texte lu. Voilà pourquoi Mélody a besoin de plus de temps que ses pairs pour accomplir le même travail. Comme le dit Mélody de manière synthétique: "C’est fatigant et c’est frustrant."

Les petits super-pouvoirs de Mélody

Mais la logopédiste de Mélody ne lui a pas menti en lui disant qu’elle allait apprendre à développer des moyens pour contourner les difficultés, ce qu’on appelle les stratégies de contournement. Luigi Viandante explique: "Ça va permettre aux enfants de transposer leurs difficultés de langage écrit. On va essayer de trouver des moyens visuels, par exemple, pour compenser et se souvenir des informations. Cette transformation des informations d’une modalité à une autre entraîne une certaine mobilité interne".

Cette mobilité interne a sans doute un lien avec la créativité de Mélody, même si elle y trouve des explications plus triviales: "Tout ça m’a rendue très créative, mais parce que je m’ennuyais. Du coup, j’avais besoin de bouger ou de dessiner sur une feuille. On m’a toujours dit que j’étais très créative. Souvent, c’était avec un ‘mais’: elle n’est pas très douée à l’école, mais elle est créative. Du coup, je dirais que je suis créative, mais est-ce que je suis créative parce que j’ai de la dyslexie? Je ne sais pas.".

Adrien Zerbini

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