Pour déterminer le temps lunaire, une horloge atomique miniature "made in Neuchâtel"
Cinquante-cinq ans après le programme américain Apollo, qui a vu Neil Armstrong poser pour la première fois le pied sur la Lune, l’astre verra bientôt débarquer plusieurs vaisseaux humains s’y poser, puis probablement des bases s’y construire. Pouvoir coordonner leurs activités, communiquer (sur place et avec la Terre) et surtout se géolocaliser précisément sur la surface sélène, grâce à des satellites en orbite lunaire, sera d’une importance cruciale.
Pour que cela soit possible, il s’agit d’établir un "temps lunaire coordonné", ou LTC. En avril 2024, le Bureau de la politique scientifique et technologique (OSTP) des États-Unis a demandé à la NASA de s’y atteler d’ici fin 2026. Et en 2023 déjà, l’Agence spatiale européenne (ESA) avait soulevé le problème.
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Selon les experts, il existe plusieurs manières de déterminer une fois pour toutes ce LTC. "Premièrement, on pourrait dire qu’on utilise le même temps qu’on a sur la Terre, qui s’appelle UTC, le Temps Universel Coordonné", explique dans le 19h30 Patrizia Tavella, directrice du Département Temps au Bureau International des Poids et Mesures (BIPM) de Paris. "Ce temps UTC est fabriqué avec toutes les horloges atomiques dans le monde, à peu près 400."
Deux centièmes par an
Autrement dit, la Lune aurait un fuseau horaire dédié, et le temps lunaire serait calculé en ajoutant ou en déduisant un certain nombre d’heures par rapport au temps GMT de Londres. Mais il y a un problème, et pas des moindres: la Lune est beaucoup moins massive que la Terre. Elle exerce ainsi une force de gravité plus faible que notre planète. Avec pour conséquence – étonnante mais bien réelle, et formulée jadis par Einstein dans sa théorie de la relativité générale – que le temps de deux horloges identiques s’écoule différemment sur la Lune que sur la Terre.
Pour définir le temps lunaire, on prend une horloge atomique aussi précise que possible et on l’installe à la surface de la Lune
En l’occurrence, l’horloge lunaire gagnerait environ 56 millionièmes de seconde (microsecondes) par jour, ou deux centièmes de seconde par an. Une paille pour tout un chacun. Mais une valeur énorme lorsque l’on sait que les horloges atomiques à bord des satellites de géolocalisation (de type GPS), ont besoin d’une précision inférieure au milliardième de seconde, sous peine d’induire des positionnements erronés de plusieurs mètres.
Deuxième possibilité pour établir ce temps lunaire, poursuit Patrizia Tavella: "On prend une horloge atomique aussi précise que possible, idéalement 'parfaite', et on l’installe à la surface de la Lune et sur les satellites en orbite lunaire, pour définir ce LTC. " Un temps qui serait donc propre à la Lune, s’écoulant différemment du temps terrestre, mais servant de référence unique pour toutes les activités lunaires.
Expertise neuchâteloise
C'est là qu’entre en scène l’Université de Neuchâtel, dont le Laboratoire Temps-Fréquence est reconnu mondialement depuis des décennies pour ses horloges atomiques. Certaines équipent déjà les satellites du système de géolocalisation européen Galileo.
"Le fonctionnement d’une horloge atomique est assez simple", explique Gaetano Mileti, directeur-adjoint Laboratoire Temps-Fréquence de l’UNINE. "On utilise les oscillations des atomes comme référence de temps."
L'horloge pourra être utilisée dans des missions spatiales, sur des satellites lunaires, dans des bases lunaires, et participer éventuellement à la réalisation d’un temps lunaire
Des vibratos d’atomes de rubidium, enfermés dans une minuscule cavité, sont mesurés à l’aide de rayons laser générés eux aussi par un dispositif miniaturisé à l’extrême. Pour aller dans l’espace, chaque gramme et chaque centimètre-cube compte.
"Au final, nous avons réalisé l’une des horloges atomiques les plus stables dans un aussi petit volume", équivalent à celui d’une demi-brique de lait, affirme l’auteur de cette prouesse, Etienne Batori, ancien doctorant de l’UNINE aujourd’hui ingénieur Recherche&Développement au Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM).
"Aujourd’hui, cette horloge est un prototype, reprend le professeur Mileti. Il va falloir le qualifier spatialement. Et ensuite, il pourra être utilisé dans des missions spatiales, pourquoi pas sur des satellites lunaires, dans des bases lunaires, et participer éventuellement à la réalisation d’un temps lunaire."
Plusieurs fournisseurs
Plusieurs autres centres de métrologie dans le monde développent également des horloges similaires, et aucune décision n’a été prise à ce jour sur les futurs fabricants des horloges lunaires. "On ne peut pas faire confiance à une seule horloge, ni même à deux", a dit à CNN Cheryl Gramling, responsable du domaine au Goddard Space Flight Center de la Nasa, dans le Maryland. Autrement dit, il y a fort à parier que plusieurs fournisseurs d’horloges atomiques soient sollicités, dont l'UNINE.
A terme, l’ambition américaine est de créer LunaNet, un réseau complet de satellites de communication et de navigation équipé d’horloge atomique ultra-précises. L'Europe, de son côté, souhaite mettre sur pied son réseau à travers son initiative Moonlight.
L'échéance se rapproche vite, car les Américains et les Européens veulent retourner sur la Lune en 2026, et si possible avant la Chine et l'Inde, dont les plans lunaires se concrétisent rapidement. D’ici là, tous ces pays espèrent se mettre d’accord pour accorder toutes leurs montres.
Olivier Dessibourg/asch