Pour limiter les interférences sur le GPS, "il faut en faire une cible moins attrayante"
Comme d'autres systèmes de localisation par satellite, tels que le Galileo européen ou le GLONASS russe, le GPS est utilisé partout dans le monde. Il s'agit néanmoins d'une technologie fragile, qui représente une cible idéale pour perturber des activités humaines, notamment les transports, les secours ou l'alimentation électrique.
Des perturbations ont déjà été observées dans certaines régions du monde, notamment dans le secteur de l'aviation. La compagnie aérienne finlandaise Finnair a, par exemple, suspendu jusqu'à la fin du mois ses vols à destination de la ville estonienne de Tartu en raison des nombreuses interférences que subit le GPS de l'aéroport. Ces derniers mois, les cas se sont multipliés. Les GPS sont soit brouillés, soit "leurrés", le système pensant que l'avion se trouve ailleurs que sa position réelle.
Dana Goward, président de la Resillient Navigation and Timing Foundation (RNTF), une fondation sans but lucratif qui défend des politiques et des systèmes protégeant la navigation par satellite ainsi que ses utilisateurs, observe une tendance à la hausse. Il a répondu vendredi aux questions de la RTS dans l'émission Tout un monde.
RTSinfo: Depuis quand la multiplication des cas est-elle particulièrement notable?
Dana Goward: Depuis le 15 décembre dernier, dans la région de la Baltique. Les interférences GPS se sont depuis étendues en termes de zone géographique, de fréquence et de gravité. Elles ont débuté en raison d'un système de défense antimissiles installé conjointement par Washington et Varsovie dans le nord de la Pologne, ce qui a beaucoup déplu à Moscou. Nous sommes convaincus, et beaucoup de preuves le confirment, de l'implication de la Russie dans les brouillages qui ont commencé à cette date et qui se sont poursuivis par intermittence depuis.
S'ils ont pu être maîtrisés jusqu'à maintenant, les risques liés au GPS ont bel et bien augmenté
Peut-on identifier l'origine du brouillage?
C'est relativement facile. Des chercheurs de l'Université du Texas et de l'Université de Stanford ont localisé une partie du brouillage à l'intérieur même de la Russie et dans l'enclave russe de Kaliningrad. Une autre grande partie semble provenir du centre de la mer Baltique, ce qui est conforme aux déclarations de la marine russe, qui a annoncé en décembre qu'elle mènerait des exercices de guerre électronique dans la région jusqu'à nouvel ordre. Nous recevons par ailleurs les signalements d'interférences de la part des organismes de sécurité de l'aviation dans les espaces aériens où de nombreux pays disposent de capacités présumées ainsi que de certaines entreprises qui sont en mesure de déterminer la provenance des perturbations. Il n'y a pas de difficulté technique pour savoir s'il s'agit ou non de la Russie.
Existe-t-il d'autres zones de la planète dans lesquelles on observe des interférences GPS?
Le Moyen-Orient, qui est un point névralgique pour les interférences GPS depuis des décennies, et l'Ukraine depuis l'invasion russe. Nous voyons aussi régulièrement des interférences dans des endroits où se déroulent des conflits armés, notamment dans les environs du Cachemire et au Myanmar, qui sont signalées par le transport aérien. La région de la Baltique se distingue, car il n'y a actuellement pas de conflit armé, mais nous constatons malgré tout beaucoup de guerre électronique avec le brouillage russe.
Le secteur du transport aérien doit sérieusement se pencher sur la question, de même que les organisations internationales et l'Otan
A quel point le risque pour les avions est-il important?
Le secteur du transport aérien doit sérieusement se pencher sur la question, de même que les organisations internationales et l'Otan. Ces quarante dernières années, nous avons restructuré la société et l'ensemble de nos politiques, procédures et technologies autour du fait que le GPS était disponible et utilisable. S'ils ont pu être maîtrisés jusqu'à maintenant, les risques ont bel et bien augmenté. Nous avons vu par le passé des cas où des interférences GPS ont failli faire entrer des avions dans l'espace aérien iranien ou précipiter un avion rempli de passagers contre une montagne. J'espère que les pilotes et les contrôleurs aériens sont maintenant beaucoup plus vigilants sur ce sujet et qu'il n'y aura pas de catastrophe.
D'autres secteurs sont-ils aussi vulnérables?
Le transport maritime ou les réseaux de distribution électrique notamment. Certains Etats cherchent des solutions alternatives pour les services fournis par le GPS et les autres systèmes satellitaires. Les systèmes de navigation terrestres à haute puissance et basse fréquence, par exemple, complètent très bien le GPS et les autres informations temporelles de navigation par satellite. Il y a aussi les informations de synchronisation transmises par fibre optique. Ces solutions doivent être utilisées par les pays afin qu'ils restent souverains en matière de positionnement, navigation et synchronisation et, en même temps, qu'ils coopèrent en toute sécurité avec les systèmes globaux de navigation.
Est-il facile de brouiller un signal GPS?
Oui, surtout pour empêcher la réception GPS dans un environnement immédiat, cela se fait tout le temps. Des centaines de sites web et d'entreprises vendent des dispositifs d'interférence très accessibles. Les interférences GPS contreviennent aux règles de l'Union internationale des télécommunications (UIT) et à d'autres accords internationaux signés par quasiment tous les pays. Dans la plupart d'entre eux, l'utilisation de ces appareils est illégale, mais, souvent, leur possession est autorisée. Il est donc très compliqué de faire appliquer les lois, a fortiori lorsqu'il s'agit de vente par internet.
La meilleure chose pour protéger le GPS et les autres systèmes de navigation par satellite est d'en faire des cibles moins attrayantes
Existe-t-il des contre-mesures pour protéger le GPS des interférences?
Le GPS et les autres systèmes de navigation par satellite sont, dans leur conception et par nécessité, très faibles. Ils seront donc toujours vulnérables aux interférences. De plus, comme leurs caractéristiques ont été rendues publiques afin que les gens puissent les utiliser de manière très large, ils seront toujours sujets à des manipulations. La meilleure chose que nous puissions faire pour protéger le GPS et les autres systèmes de navigation par satellite est d'en faire des cibles moins attrayantes. Il faut veiller à ce que tous les citoyens et les infrastructures critiques disposent d'autres moyens pour obtenir les informations de position, de navigation et de synchronisation dont ils ont besoin.
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey/iar