Depuis une dizaine d'années, l'IA a commencé à infiltrer le domaine médical, et son intégration s'accélère. Les projets et les innovations se multiplient, portés par des avancées technologiques considérables. L'ordinateur, grâce à sa capacité à traiter une multitude de données simultanément, pallie les limitations humaines et offre une précision sans précédent.
Le cerveau humain, bien que remarquable, rencontre des difficultés à traiter plusieurs facteurs en même temps, procédant souvent par étapes. L'IA, en revanche, permet une intégration continue et une estimation précise des données, avec une marge d'erreur clairement définie. Cette capacité d'analyse est un atout majeur pour la chirurgie.
Des opérations au casque de réalité mixte
Philippe Bijlenga, neurochirurgien aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), compare l'arrivée de l'IA en médecine à l'introduction du GPS dans l'aviation. Jusqu'ici, "nous étions sans aucun outil de navigation", a-t-il commenté cette semaine dans La Matinale de la RTS.
"On a commencé à avoir quelques outils rudimentaires, puis quelques repères anatomiques, et ensuite des pointeurs. Désormais, grâce à la visualisation 3D, nous pouvons déterminer notre position avec précision, confirmer la conformité de nos actions et identifier les risques environnants. Cette même révolution, qui a pris des siècles dans l'aviation, est en train de se précipiter maintenant au niveau médical."
À Genève, les chirurgiens bénéficient déjà de ces innovations. Ils utilisent des casques de réalité mixte pour obtenir une vision précise de l'intérieur du corps du patient en temps réel. Cette précision millimétrique est complétée par l'utilisation d'un "jumeau numérique", qui permet de simuler différentes approches chirurgicales avant l'intervention réelle.
Jumeau numérique et "boîte noire"
Le Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV) à Lausanne n'est pas en reste et a lancé son propre projet de jumeau numérique. Patrick Schoettker, chef du service anesthésie, explique que cette technologie permet de mesurer de nombreux paramètres vitaux pour préparer au mieux le patient à son intervention. Les données sont certifiées médicalement.
L'innovation débute avec une montre médicale, capable de mesurer des paramètres tels que la saturation en oxygène et la fréquence cardiaque. L'IA analyse ces données et peut conseiller des exercices préparatoires ou même suggérer des dates optimales pour l'opération, dans le but de minimiser les complications post-opératoires.
À l'étranger, certains systèmes d'IA vont plus loin. Elles agissent comme des boîtes noires qui surveillent en continu les données médicales et les actions du chirurgien. L'objectif est d'assister le médecin dans ses décisions et de prévenir les erreurs.
Aux Etats-Unis, cette IA a révélé des lacunes dans la préparation de la peau avant les incisions, menant à une amélioration des protocoles. Cet outil, capable d'analyser aussi bien les données numériques que les enregistrements vidéo, soulève cependant des questions éthiques, notamment autour de la surveillance constante du personnel.
Un outil de surveillance?
Michel Jaccard, avocat spécialisé dans l'IA et le secteur de la santé, met en lumière une utilisation de la technologie non pas pour le bien-être direct du patient, mais pour l'optimisation des processus, comme la réduction du temps de préparation.
Cette quête d'efficacité soulève des interrogations, surtout lorsque l'on compare le temps pris par différents médecins pour une même opération. L'enjeu est de définir clairement les objectifs et les limites de l'utilisation de ces données traitées par l'IA pour éviter les dérives.
Pour le neurochirurgien Philippe Bijlenga, il est crucial de suivre attentivement cette évolution, mais aussi d'envisager des certifications pour le personnel médical utilisant ces nouvelles technologies. L'IA est en train de redéfinir les standards de la chirurgie moderne, et la transition est bien engagée.
Pascal Wassmer