Vacances à la mer, week-end de luxe à la montagne ou encore séance de sport à la maison: comme n'importe quelle influenceuse, Amandine Le Pen, 24 ans, partage son quotidien de rêve avec ses abonnés. La plupart de ses publications sont accompagnées de hashtags "Lepen", "Famille", "RN" ou encore "2027" en référence à la prochaine élection présidentielle française.
La blonde aux yeux bleus, qui ne parle jamais face caméra, surfe sans équivoque sur sa ressemblance troublante avec Marine Le Pen et revendique son attachement aux valeurs du Rassemblement national (RN). Elle ne cache pas non plus son admiration pour Jordan Bardella, président du parti, et invite ses abonnés à la rejoindre sur Telegram pour échanger sur le RN.
Ses vidéos, très commentées, sont repartagées plusieurs milliers de fois, certaines dépassent les 600'000 vues.
Des incohérences visuelles
En y regardant de plus près, on observe toutefois des incohérences au niveau de l'expression faciale et des mouvements de bouche peu naturels (voir vidéo ci-dessous).
En outre, quelques recherches suffisent pour vérifier qu'il n'existe aucune Amandine dans la famille Le Pen. Il s'agit en réalité d'un "deepfake" (hypertrucage en français, ndlr). Une mention qui n'était inscrite nulle part sur le compte, avant la parution de notre article, mais qui a été modifiée après notre publication.
Sur le profil d'Amandine, un lien nous invite également à cliquer sur la page buymeacoffee.com, un site internet qui permet aux influenceurs et influenceuses de recevoir de l'argent de la part de leur communauté en offrant des "cafés" virtuels, au prix de 5 euros l'unité. Un lien qui, peu de temps après la parution notre article, a été retiré du profil.
D'autres influenceuses fictives
Il ne s'agit pas là de l'unique compte qui utilise l'image de la famille Le Pen grâce à l'intelligence artificielle. Créé fin mars 2024, le compte de Lena Maréchal Lepen cumule déjà quelque 30'000 abonnés. Certaines de ses vidéos, très similaires à celles d'Amandine, dépassent le million de vues.
Sur ses publications, la jeune femme invite ses abonnés à suivre ses "meilleures amies": Rose qui se revendique 100% française, Lucia Meloni "droite pure souche" ou encore Chloé Le Pen. Les nombreuses similitudes dans les décors en arrière-plan et les vêtements portés par ces fausses influenceuses suggèrent une origine commune derrière ces faux comptes.
A travers leurs poses suggestives, ces influenceuses fictives tendent à présenter une image glamour et rajeunie du parti. Des légendes à double sens, souvent truffées de fautes d'orthographe, accompagnent certaines vidéos: "J'espère que je ne vais pas trop bronzer", "Pas mieux que de se réveiller et de voir que tout est blanc de neige" ou encore "Mohamed c'est le mec qui insulte le RN, mais qui finit dans mes DM".
Manoeuvre politique ou arnaque?
Face à la multiplication de ces faux comptes, plusieurs questions se posent: qui se cache derrière Amandine, Lena ou encore Rose? Quels sont les risques encourus par les auteurs? Est-ce une manoeuvre politique, l'initiative d'un tiers pour gagner de l'argent grâce à la monétisation des vidéos ou un mélange des deux? Comme l'explique à RTSinfo Nicolas Capt, avocat expert en droit des médias et nouvelles technologies, il est malheureusement souvent difficile d'identifier l'auteur d'une vidéo truquée.
Le deepfake peut, dans certains cas, s’avérer juridiquement problématique sur le plan des droits de la personnalité
Juridiquement, cette pratique peut toutefois s'avérer problématique au niveau des droits de la personnalité. "C’est notamment le cas si l’image d’une personne non consentante est utilisée, auquel cas cela peut poser un problème de violation du droit à l’image", explique Nicolas Capt. "En outre, si l'on prête des propos mensongers à une personne existante, et qu’on la fait apparaître méprisable, on peut imaginer une atteinte pénale à l’honneur de celle-ci", précise encore l'avocat spécialisé dans les nouvelles technologies.
A quelques semaines des élections européennes, ce phénomène ravive le débat sur la diffusion de contenus mensongers et trompeurs sur TikTok et l'absence de régulation de la part de l'application. Selon une étude de la société NewsGuard, spécialisée sur la lutte contre les fake news, 20% des vidéos traitant de sujets d'actualité sur TikTok contiendraient de fausses informations.
Hélène Krähenbühl
Comment reconnaître un deepfake?
Identifier une vidéo truquée s'avère de plus en plus compliqué. En effet, les progrès fulgurants de l’IA générative d’images "rendent cet examen beaucoup plus difficile, de sorte que la vérification doit également s’opérer par croisement d’informations et de sources", explique l'avocat spécialiste en nouvelles technologies Nicolas Capt. Il existe toutefois certains signes avant-coureurs qui peuvent indiquer la présence d'un deepfake:
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Mouvements irréels: les visages dans les deepfakes peuvent parfois sembler rigides ou flous, avec des mouvements qui ne correspondent pas parfaitement aux expressions faciales naturelles.
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Qualité inégale: la qualité de la vidéo peut varier entre les différentes parties de l'image, avec des zones présentant une résolution ou une netteté différente.
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Aspects inhabituels du contexte: ombres incorrectes ou reflets inappropriés.
Il existe en outre des outils gratuits comme TensorFlow et PyTorch qui utilisent des réseaux de neurones profonds pour détecter les deepfakes.