Cet ultime vol test de Starliner, avant le début de ses opérations régulières, est crucial pour le géant de l'industrie aérospatiale, qui joue entre autres sa réputation. Commandé il y a dix ans par la NASA, le développement du vaisseau a été marqué par les mauvaises surprises et reports successifs, une série noire à laquelle Boeing espère bien mettre un terme.
Les astronautes américains Suni Williams et Butch Wilmore doivent décoller lundi à 22h34 de Cap Canaveral en Floride (4h34 Heure suisse mardi) à bord de la capsule Starliner, qui sera propulsée en orbite par une fusée Atlas V du groupe ULA.
Ces deux vétérans de l'espace, tous deux venus de l'US Navy, se sont chacun déjà rendus deux fois dans la Station spatiale internationale (ISS), à bord d'une navette spatiale puis d'un vaisseau russe Soyouz: "Ce sera comme revenir à la maison", a anticipé Suni Williams, 58 ans. Mais concernant la capsule les y menant, "tout est nouveau, tout est unique", a souligné Butch Wilmore, 61 ans: "Je ne crois pas qu'aucun de nous ait jamais osé rêver être associé au premier vol d'un tout nouveau vaisseau", s'est-il réjoui.
Pour la NASA aussi, l'enjeu est grand: avoir un deuxième véhicule en plus de celui de SpaceX pour transporter les astronautes américains "est très important", a souligné Dana Weigel, en charge du programme de l'ISS. Cette capacité permettra de pouvoir mieux répondre à "différents scénarios d'urgence", par exemple en cas de problème sur l'un des vaisseaux, a-t-elle expliqué.
Série de revers
Starliner doit s'amarrer à l'ISS vers 7h00 en Suisse mercredi et y rester un peu plus d'une semaine. Des tests seront réalisés pour vérifier son fonctionnement, puis les deux astronautes repartiront avec lui vers la Terre. La réussite de cette mission viendrait clore sur une bonne note un programme de développement qui s'est révélé semé d'embûches.
En 2019, lors d'un premier test sans équipage, la capsule n'avait pas pu être placée sur la bonne trajectoire et était revenue sans atteindre l'ISS. Puis, en 2021, alors que la fusée se trouvait déjà sur le pas de tir pour retenter le vol, un problème de valves bloquées sur la capsule avait encore entraîné un report. Le vaisseau vide avait finalement réussi à atteindre l'ISS en mai 2022.
Désormais, le premier vol avec équipage doit permettre de certifier la capsule, pour qu'elle commence ensuite ses vols réguliers vers l'ISS.
Boeing avait espéré pouvoir réaliser ce premier vol habité dès 2022, mais des problèmes découverts tardivement, notamment sur les parachutes freinant la capsule lors de son retour dans l'atmosphère terrestre, avaient encore repoussé l'échéance.
"Il y a eu un certain nombre de choses qui ont été des surprises, que nous avons dû surmonter", a déclaré lors d'une conférence de presse Mark Nappi, responsable chez Boeing. Mais "cela a rendu nos équipes très fortes, et fières de la façon dont elles ont vaincu chaque problème", a-t-il assuré. "Il est assez classique que le développement d'un véhicule spatial pour humains prenne dix ans", a-t-il défendu.
"Embarrassant"
"Nous aurons certainement des imprévus durant cette mission, des choses que nous nous attendons à apprendre, car c'est une mission test", a prévenu Jim Free, administrateur associé à la NASA. Il a rappelé qu'il s'agissait seulement du sixième vaisseau américain à être inauguré par des astronautes.
La capsule Dragon de SpaceX avait déjà rejoint ce club très privé en 2020, dans le sillage des programmes Mercury, Gemini, Apollo et des navettes spatiales. Une fois Starliner opérationnel, la NASA souhaite alterner entre les vols de SpaceX et de Boeing pour acheminer ses astronautes jusqu'à l'ISS.
En 2014, l'agence spatiale avait passé un contrat de 4,2 milliards avec Boeing et de 2,6 milliards avec SpaceX pour le développement de ces vaisseaux. "Tout le monde pensait que Boeing allait y arriver en premier", a rappelé Erik Seedhouse, professeur associé à l'université d'aéronautique Embry-Riddle. "Que SpaceX réussisse bien avant Starliner était très embarrassant pour Boeing."
Alors que l'ISS doit être mise à la retraite en 2030, Starliner comme Dragon pourraient par la suite servir à acheminer des humains vers de futures stations spatiales privées, que plusieurs entreprises prévoient déjà de construire.
ats/afp/sjaq
Evolution des vaisseaux pour êtres humains
"Dans l'Histoire des vols spatiaux américains, ce sera seulement la sixième fois que des astronautes de la NASA voleront dans un nouveau vaisseau", a souligné Jim Free, administrateur associé à l'Agence spatiale américaine.
Premier programme spatial américain destiné à envoyer des humains dans l'espace, Mercury est né en 1958 au moment de la création de la NASA. Ce premier vaisseau, déjà une capsule en forme de cône, n'était conçu que pour une seule personne.
En mai 1961, Alan Shepard devient le premier Américain à se rendre dans l'espace à son bord, lors d'un vol d'un peu plus de 15 minutes – environ un mois après le Russe Iouri Gagarine, premier homme dans l'espace.
La sixième et dernière mission habitée du programme Mercury a lieu en 1963, deux ans plus tard. Le film "Les Figures de l'ombre" (2016) montre notamment comment la mathématicienne noire Katherine Johnson a contribué à faire de ce programme un succès.
Le programme Gemini, qui devait préparer les missions sur la Lune, a fait voler dix missions habitées – c'est-à-dire avec un équipage – en 1965 et 1966. La capsule ressemblait à celle de Mercury, en plus grand: elle pouvait accueillir deux personnes – d'où le nom Gemini. Pour la première fois, elle était équipée d'un ordinateur de bord et pouvait changer d'orbite. La première sortie spatiale d'un Américain a lieu durant ce programme. Des manœuvres d'amarrage sont également effectuées.
Le programme Apollo a compté onze missions habitées, dont six ayant permis à douze hommes de marcher sur la Lune, entre 1969 et 1972. Quoique mythique, il a aussi été marqué par la tragédie: en 1967, lors d'un test au sol avant la première mission, trois astronautes meurent dans un incendie. La mission Apollo 13 manque quant à elle de tourner à la catastrophe après une explosion en vol.
Le module de commande du vaisseau, qui abritait l'équipage, pouvait accueillir trois astronautes.
Les vols de la navette spatiale, dont cinq exemplaires sont allés dans l'espace, s'étendent de 1981 à 2011, avec 135 missions. Son innovation principale est qu'elle est, pour la première fois, réutilisable. Elle décolle à la verticale mais atterrit sur une piste comme un avion.
Elle est bien plus grande que ses prédécesseurs, étant notamment utilisée pour emporter les éléments servant à construire la Station spatiale internationale (ISS). Elle a emmené jusqu'à huit personnes d'un coup dans l'espace.
Elle a aussi connu deux accidents dramatiques: en 1986, la navette Challenger explose juste après son décollage, puis en 2003, la navette Columbia se désintègre en rentrant dans l'atmosphère. Chaque fois, les sept passagers sont tués.
Après la fin de la navette spatiale en 2011, les astronautes de la NASA utilisent les vaisseaux russes Soyouz pour rejoindre l'ISS. Pour à nouveau assurer leur transport depuis le sol américain, en 2014, la NASA passe contrat avec Boeing et SpaceX afin qu'ils construisent chacun un vaisseau, en visant alors une première mission en 2017.
SpaceX développe la capsule Dragon et commence les trajets en 2020, battant contre toute attente le géant Boeing. Des dizaines de personnes ont déjà volé avec Dragon, lors de missions de la NASA mais aussi privées. Comme Dragon, Starliner doit être réutilisable.
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Malgré les retards accumulés par Boeing, Steve Stich, haut responsable à la NASA, a souligné le caractère exceptionnel de cette nouvelle ère: "Nous avons eu six (de ces vaisseaux) dans l'histoire, et deux d'entre eux en quatre ans, c'est vraiment une grande première".