La largeur d'un brin d'ADN: c'est l'épaisseur de cette problématique couche de givre. Elle suffit à brouiller la vision d'Euclid, ce bijou de technologie envoyé dans l'espace en juillet dernier pour enquêter sur la nature de l'Univers sombre.
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Euclid a besoin de froid afin d'assurer son bon fonctionnement: "Pour que les instruments soient stables, la température est réglée à -140 degrés", explique le cosmologiste Stéphane Paltani, professeur à l'Université de Genève et collaborateur à la conception du satellite. Des traces d'humidité, provenant de l'atmosphère terrestre, se sont infiltrées dans l'appareil lors de sa fabrication: c'est inévitable (lire encadré).
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"Cela va se déposer quelque part, en général sur les zones les plus froides qui sont très proches de l'instrument, en particulier des miroirs", précise-t-il au micro de RTSinfo. "C'est un phénomène connu mais relativement mal analysé. Il n'y a pas énormément d'études qui font état de où, comment et en combien de temps la glace va se déposer".
Dans ce cas précis, l'ESA pense que de la vapeur d'eau s'est logée notamment dans les couches de matériaux isolant d'Euclid et c'est le collecteur de lumière visible VIS qui a été touché. Au fil du temps, ses miroirs se sont recouverts d'une infime couche de glace et quelque chose a été remarqué dès novembre: "L'effet est une perte de luminosité de 20%: les étoiles apparaissent toutes légèrement moins brillantes que ce qu'elles sont." Plus problématique que la quantité de lumière est la diffraction que la glace peut opérer sur l'image: la forme des galaxies observées peut changer... ce qui est un vrai souci, puisque cette mesure fait justement partie de la mission principale d'Euclid. Il doit en effet réaliser une carte en trois dimensions d'un tiers du ciel, en scrutant des milliards de galaxies sur dix milliards d'années-lumière.
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Un problème situé à 1,5 million de kilomètres
Le problème doit être résolu depuis la Terre sur un engin qui se trouve à 1,5 million de kilomètres, dans l'espace, au point Lagrange 2.
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Les scientifiques ont dû convenir d'une procédure, imaginée tout exprès pour dégivrer l'optique: "La première chose, c'est de réfléchir", note le scientifique. Des spécialistes se sont réunis pour établir un plan d'attaque: "Il y a plein de petits chauffages à l'intérieur du satellite pour régler la température extrêmement précisément. Donc on s'est dit qu'on pourrait régler ces chaufferettes différemment pour remonter la température seulement à certains endroits". Celle-ci passe par conséquent de -140 à -3 degrés, très progressivement.
L'équipe scientifique a renoncé à tourner le vaisseau en direction du Soleil, ce qui risquerait de trop dilater les matériaux de l'instrument: "Si on commence à faire quelque chose d'aussi drastique, il y a des risques que le satellite se déforme légèrement. Euclid est un satellite extrêmement précis: il faut que sa forme reste absolument identique." Le chauffage local a donc été privilégié suivi d'un refroidissement progressif et d'une stabilisation de la température; le processus dure en tout deux semaines, jusqu'au 21 mars. Le résultat de la manœuvre sera connu d'ici la mi-avril.
Astrophysiciennes et physiciens espèrent que l'eau se sera sublimée dans le vide spatial. Mais des molécules d'H2O resteront sans doute enfermées à l'intérieur et le givre risque de se redéposer: "On devra peut-être refaire cette procédure une fois par année. Donc, sur l'ensemble de la mission, on va perdre deux ou trois mois. Ce n'est pas grand-chose: la mission peut durer jusqu'à onze ans, alors que, normalement, au bout de six ou sept ans, elle sera finie. Nous avons une marge qui est considérable", rassure Stéphane Paltani.
Stéphanie Jaquet
Quelques nanomètres ou dizaines de nanomètres de givre
Comme les scientifiques s'attendaient à ce que de l'eau s'accumule progressivement et contamine la vision d'Euclid, une campagne de dégazage a eu lieu peu après le décollage du télescope.
La sonde a été réchauffée par des radiateurs embarqués et partiellement exposée au Soleil, ce qui a permis de sublimer la plupart des molécules d'eau présentes au moment du lancement sur les surfaces d'Euclid ou très près de celles-ci: "Une fraction considérable a toutefois survécu, en étant absorbée par l'isolation multicouche, et est maintenant lentement libérée dans le vide de l'espace", précise l'ESA dans un communiqué.
Après des études en laboratoire sur la façon dont les minuscules couches de glace sur les surfaces des miroirs diffusent et réfléchissent la lumière, ainsi que des mois d'étalonnage dans l'espace, l'équipe a déterminé que l'épaisseur du givre n'est probablement que de quelques nanomètres ou dizaines de nanomètres: "Le fait que la mission détecte des quantités de glace aussi infimes est un témoignage remarquable de sa sensibilité", se félicite l'Agence.