Une fois franchi l'horizon des événements, un retour en arrière est inenvisageable: même la lumière – qui atteint la vitesse la plus rapide de l'Univers, environ 300'000 kilomètres par seconde – ne peut s'échapper d'un trou noir. Ces objets cosmiques intrigants ont été formés avec le cœur d'étoiles massives mortes qui se sont effondrées sous l'effet de leur propre gravité: la matière est tellement comprimée dans un environnement si dense que la physique n'arrive pas à le décrire pour l'heure.
L'Agence spatiale américaine a réalisé ses simulations grâce à Discover, un superordinateur qui se trouve au Centre pour la simulation climatique de la NASA. Une version immersive à 360 degrés s'approche d'un de ces objets cosmiques supermassifs, tombe vers lui, se met brièvement en orbite autour de cette limite sphérique qu'est l'horizon des événements, puis s'en extrait pour échapper à un sort fatal.
L'astrophysicien Jeremy Schnittman, du Centre Goddard pour le vol spatial de la NASA qui a dirigé cette visualisation, imagine une astronaute pilotant un vaisseau spatial pour cet aller-retour de six heures: elle reviendrait de ce voyage 36 minutes plus jeune que ses collègues qui seraient restés sur un vaisseau mère loin du trou noir. En effet, le temps s'écoule plus lentement à proximité d'une forte source gravitationnelle et lorsque l'on se déplace à une vitesse proche de celle de la lumière.
"Cette situation peut être encore plus extrême", précise-t-il: "Si le trou noir était en rotation rapide, comme celui montré dans le film Interstellar, elle reviendrait plusieurs années plus jeune que ses camarades".
Aberration de la lumière
Le vulgarisateur scientifique Alessandro Roussel a déjà présenté sur ScienceClic, sa chaîne YouTube, ce qu'une personne pourrait voir si elle tombait dans ce qu'il appelle "une bulle d'espace-temps qui possède une gravité intense".
En se déplaçant vers le gouffre, les rayons lumineux, contractés vers l'avant, se comportent différemment: il s'agit du phénomène d'aberration de la lumière.
Dans l'autre vidéo proposée par la NASA, l'astronaute plein d'audace – en sécurité derrière son ordinateur – peut cette fois plonger directement dans le trou noir en franchissant un horizon des événements qui s'entend sur environ 25 millions de kilomètres, soit environ 17% de la distance Terre-Soleil, précise l'Agence. Au départ, nous sommes à 640 millions de kilomètres du trou noir: en temps réel, il faut à notre caméra trois heures pour tomber vers l'horizon des événements, en complétant presque deux orbites de trente minutes.
Comme référence visuelle, voyageuses et voyageurs de l'espace-temps ont devant leur fusée un nuage plat et tourbillonnant de gaz chauds et incandescents. Il s'agit du disque d'accrétion qui entoure le trou noir. Un peu plus loin dans cette chute sans retour, des anneaux de photons complexes et stratifiés: ils sont formés plus près du trou noir, à partir de la lumière qui a tourné autour de lui une ou plusieurs fois avant de s'échapper. Chaque bande est une image distordue du disque gazeux entremêlée des astres en fond. Au loin se rétrécit puis s'évanouit le ciel étoilé qui peut être contemplé depuis notre Terre.
Ça y est, l'horizon des événements a été franchi: 12,8 secondes plus tard, la caméra est détruite par spaghettification à 128'000 kilomètres de la singularité – ce petit point où se concentre toute la matière – qu'elle atteint quelques microsecondes plus tard.
L'attraction gravitationnelle exercée sur l'extrémité d'un objet proche du trou noir est beaucoup plus forte que celle exercée sur l'autre extrémité: les objets entrant dans le trou noir s'étirent comme des spaghettis et leurs atomes se disloquent.
>> Pour aller plus loin: What Happens If You Jump Into A Black Hole?, une vidéo de PBS Space Time (en anglais)
Ode à l'imagination
Quant à savoir ce que l'on pourrait voir en entrant effectivement dans l'un de ces objets cosmiques étranges, difficile de le savoir. Reste l'imagination débridée.
Christopher Nolan, notablement, s'est emparé de cette grande énigme de l'astrophysique en 2014 dans le film Interstellar lorsque son héros, Cooper, s'éjectant de son vaisseau pour éviter d'atteindre la singularité du trou noir dans lequel il s'enfonce, est projeté dans un tesseract, un hypercube quadridimensionnel.
Vision poétique servant la narration du film, Cooper n'est pas spaghettifié, mais peut naviguer entre le passé et le présent en utilisant la gravité pour envoyer des informations importantes à sa fille Murphy.
Dans Interstellar, Gargantua, le trou noir au centre du scénario, a été modélisé avec l'aide de Kip Thorne, un théoricien de renom qui a reçu le Prix Nobel de physique 2017.
>> Lire : Le Nobel de physique sacre l'étude des ondes gravitationnelles
De vraies équations pour un rendu cinématographique au plus proche de la réalité... une réalité rendue encore plus concrète en 2019 lorsque la collaboration de l'Event Horizon Telescope a livré les premières images directes de l'Histoire de l'ombre incandescente d'un trou noir, prouvant les mathématiques découlant de la relativité d'Einstein. La réalité rejoint la fiction.
>> Lire : L'Humanité voit de ses yeux un trou noir pour la première fois de l'Histoire
Stéphanie Jaquet
Une très grande puissance de calcul
Dans cette modélisation, les scientifiques ont représenté un monstre similaire à Sagittarius A*, le trou noir qui se trouve au centre de la Voie lactée, et qui pèse 4,3 millions de fois la masse de notre Soleil.
Leur projet a généré dix téraoctets de données: il a fallu cinq jour, en n'utilisant que 0,3% de la puissance de traitement des 129'000 processeurs de Discover, pour produire ce que votre laptop aurait mis plus d'une décennie à réaliser.
"La simulation de ces processus difficiles à imaginer m'aide à faire le lien entre les mathématiques de la relativité et les conséquences réelles dans notre vrai Univers", remarque l'astrophysicien Jeremy Schnittman.
Un système binaire de trous noirs
La NASA a également produit en 2018 des images modélisant les effets lumineux que nous verrions lorsque deux trous noirs supermassifs se tournent autour avant une coalescence.
La simulation, qui incorpore les effets physiques de la théorie de relativité générale d'Einstein, montre que les gaz tourbillonnant dans un tel système brilleraient de manière prédominante dans l'ultraviolet et les rayons-X.