La Suisse à la recherche des extraterrestres

Grand Format Science

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Introduction

Depuis l'Antiquité, l'espèce humaine se questionne sur la possibilité d'une vie ailleurs. Un questionnement qui donne lieu, grâce aux progrès technologiques, à des recherches plus ou moins scientifiques depuis les années 1960. La découverte en 1995 de la première planète hors du système solaire et l'évolution des technologies récentes ont dopé les développements dans ce domaine. Notre génération pourrait être la première à répondre à la question fondamentale: "Sommes-nous seuls dans l'Univers?" La Suisse et ses nombreux scientifiques comptent bien participer à cette révolution.

Chapitre 1
Sommes-nous seuls dans l'Univers?

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Du 16 au 18 mars 2024, un congrès dédié à la vie extraterrestre s'est tenu à Limoges, dans le sud-ouest de la France. Un rendez-vous qui a rassemblé plus de 2000 personnes qui partagent la même conviction: les extraterrestres existent, il faut donc préparer leur arrivée.

Au programme de ce congrès figuraient notamment quatre conférences par jour, suivies d'un débat à chaque fin de journée. Exobiologie, exopolitique, métaphysique quantique de la conscience, les thèmes abordés étaient multiples. Parmi les conférenciers, on retrouvait par exemple Anne Givaudan, une reporter dite "galactique", qui assure avoir déjà fait des voyages sur d'autres planètes.

>> A lire : En France, un congrès consacré à la vie extraterrestre crée la polémique

Si l'association Alliances célestes, organisatrice de l'événement, n'est pas classée dans les mouvements à tendance sectaire, le Ministère français de l'Intérieur a appelé à la vigilance, car entre croyances, sciences et soins, l'événement Symposium Exovision flirte ouvertement avec les contre-vérités scientifiques et les théories du complot.

>> L'affiche de l'événement organisé par l'ONG Alliances Célestes Internationales. : L'affiche de l'événement organisé par l'ONG Alliances Célestes Internationales.jpg [ONG Alliances Célestes Internationales]
L'affiche de l'événement organisé par l'ONG Alliances Célestes Internationales.jpg [ONG Alliances Célestes Internationales]

Si un tel rassemblement inquiète les autorités françaises, la question existentielle "Sommes-nous seuls dans l'Univers? " se posait déjà chez certains penseurs de la Grèce antique et est un sujet d'étude pris très au sérieux depuis plusieurs décennies dans le monde scientifique. La question aujourd'hui pour la plupart des scientifiques n'est plus de savoir s'il y a une vie ailleurs que sur la Terre, mais quand cette vie sera découverte.

La Suisse entend bien participer à cette révolution, dont les recherches menées se divisent en deux approches distinctes: la recherche d'une intelligence extraterrestre et celle d'une "simple" vie.

Chapitre 2
A la recherche des "petits hommes verts"

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Ovnis, messages radios provenant des tréfonds de l'Univers, extraterrestre de Roswell… des recherches plus ou moins scientifiques sont menées depuis des décennies pour entrer en contact avec des civilisations non terriennes, ou au moins prouver leur existence.

Dans l'état des connaissances actuelles, les scientifiques estiment qu'il pourrait y avoir jusqu'à dix milliards de planètes semblables à la Terre dans l'Univers. Leur grand nombre augmente la probabilité qu'une vie technologique se soit développée sur l'une d'entre elles.

Dans certains pays, comme chez nos voisins français et leur Groupe d'étude et d'informations sur les phénomènes aérospatiaux non identifiés (Geipan), il existe des structures officielles chargées de répertorier les témoignages oraux ou écrits, les photographies ou les traces au sol, dont l'origine n'est pas comprise.

>> A lire : Les enquêtes officielles sur les OVNI se font désormais au grand jour

>> A lire : Un réseau pour chercher des preuves de technologies extraterrestres

D'autres organisations, formées principalement d'universitaires, fonctionnent de façon autonome, comme le METI (Messaging Extraterrestrial Intelligence), basé à San Francisco, qui tentent de communiquer avec des civilisations extraterrestres par l'envoi de messages interstellaires.

>> A lire : Willy Benz: "Il faut être prudent dans la recherche de vie extraterrestre"

>> La plaque de Pioneer envoyée dans l'espace en 1972 à destination d'une intelligence artificielle. : Le message pictural qui accompagne la sonde Pioneer en 1972 [UpSide Television]
Le message pictural qui accompagne la sonde Pioneer en 1972. [UpSide Television]

Mais le "big boss" de la recherche sur une intelligence extraterrestre, depuis le début des années 1960, est le SETI (Search for Extra-Terrestrial Intelligence) qui regroupe des dizaines de projets scientifiques consacrés à la détection de civilisations extraterrestres avancées.

>> A écouter : Pourquoi ne trouvons-nous pas de signes de vie extraterrestre?

En Suisse, le CUSI (Centro ufologico della Svizzera italiana), au Tessin, est l'unique structure existante pour recueillir les récits de témoins d'objets volants non identifiés du pays. Ce centre privé a collecté environ 700 phénomènes inexplicables depuis sa création en 1995.

>> Extraterrestres - OVNI soit qui mal y pense (Vacarme, RTS) :

Episode 1: 1947, l'invasion des soucoupes volantes. [KTSDesign / Science Photo Library via AFP]KTSDesign / Science Photo Library via AFP
Vacarme - Publié le 16 avril 2023

La recherche d'une intelligence extraterrestre n'est pas pour autant cantonnée au cercle restreint des ufologues, les personnes qui s'intéressent aux ovnis, du pays. La très sérieuse Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL) encourageait dans une publication récente de poursuivre les recherches de signaux radios émis par des civilisations extraterrestres en optimisant l'utilisation des ressources disponibles.

La thèse soutenue par Claudio Grimaldi, du Laboratoire de biophysique statistique de l'EPFL, concernant l'absence de captation de signaux électromagnétiques émis par des civilisations extraterrestres est la suivante: "Nous ne cherchons que depuis 60 ans. La Terre pourrait tout simplement se trouver dans une bulle dépourvue d'ondes radio émises par une vie extraterrestre".

Selon le scénario le plus optimiste, il faudrait attendre plus de soixante ans pour qu'un de ces signaux atteigne notre planète. Et selon le moins optimiste, il nous faudrait patienter environ 2000 ans

EPFL (Jan Overney, avril 2023)

Le modèle statistique développé par le chercheur indique qu'il y aurait au moins cinq émissions électromagnétiques par siècle dans notre galaxie. "Selon le scénario le plus optimiste, il faudrait attendre plus de soixante ans pour qu'un de ces signaux atteigne notre planète. Et selon le moins optimiste, il nous faudrait patienter environ 2000 ans. Quant à savoir si nous détectons les signaux lorsqu'ils nous parviennent, c'est une autre question. Dans les deux cas, nos radiotélescopes doivent être orientés dans la bonne direction pour les détecter", indique le communiqué de l'EPFL.

Les personnes, de la société civile ou du monde scientifique, qui attendent un message d'une civilisation extraterrestre doivent donc s'armer de patience et d'une bonne dose d'optimisme. Pour les autres, qui cherchent à savoir si une autre vie, même primitive, existe, la découverte en 1995 de la première planète hors du Système solaire par les Suisses Michel Mayor et Didier Queloz a ouvert la porte aux espoirs les plus fous, à un champ de recherche quasiment infini et à un boom technologique.

Chapitre 3
De la vie dans l'Univers

AFP - HANDOUT

Le gros des projets scientifiques et des programmes spatiaux qui touchent à la vie extraterrestre ne cherchent pas une intelligence, mais une vie, plus raisonnablement des traces de vie, le plus souvent des conditions d'apparition ou des indices de vie.

La Suisse, dont "l'excellence de l'écosystème académique" aide l'Europe à maintenir sa place dans le domaine spatial, comme se réjouissait Renato Krpoun, le chef de la division des affaires spatiales, dans La Matinale de la RTS en janvier 2024, est partenaire à différents niveaux dans certains de ces projets.

>> La Suisse occupe une place de choix dans le domaine spatial, selon Renato Krpoun, chef de la division Affaires spatiales au SEFRI (La Matinale, RTS) :

L'invité de La Matinale (vidéo) - Renato Krpoun, chef de la division Affaires spatiales au SEFRI
L'invité-e de La Matinale (en vidéo) - Publié le 17 janvier 2024

La mission Cheops

Menée par l'Université de Berne en collaboration avec l'Université de Genève, Cheops (CHaracterising ExOPlanet Satellite.) est une mission conjointe de l'Agence spatiale européenne (ESA) et de la Suisse.

Une illustration en situation du petit mais efficace satellite Cheops. [KEYSTONE - ATG MEDIALAB/EUROPEAN SPACE AGEN]
Une illustration en situation du petit mais efficace satellite Cheops. [KEYSTONE - ATG MEDIALAB/EUROPEAN SPACE AGEN]

L'objectif de ce petit satellite dédié à l'étude des exoplanètes est de mesurer leur taille avec précision ce qui permet de dire de quoi elles sont faites. Ces informations permettent notamment de participer à la sélection de cibles d'intérêt pour orienter les recherches d'autres technologies rares et chères, comme le télescope spatial James Webb.

>> A lire : Dans les coulisses des données du télescope spatial James Webb

Depuis son lancement en décembre 2019, les mesures extrêmement précises prises par le satellite ont contribué à de nombreuses découvertes capitales dans le domaine des terres situées hors de notre Système solaire.

>> A lire : Le télescope CHEOPS découvre un nouveau système planétaire clé

Le projet piloté par l'ESA a obtenu une première extension de mission jusqu'en 2026 et bénéficiera probablement d'une seconde rallonge jusqu'en 2029.

Reste que, précise Willy Benz, l'astrophysicien suisse en charge de cette mission, "Cheops n'offre aucun espoir de trouver la vie, il ne pourrait pas la trouver même par hasard".

La mission Juice

Projet phare de l'ESA, la mission Juice (Jupiter Icy Moons Explorer) est en route pour explorer Jupiter et ses lunes glacées qui pourraient receler de l'eau sous forme liquide. Elle n'atteindra sa destination qu'en 2031, à plus de 620 millions de kilomètres de la Terre.

A son bord, plusieurs instruments développés en Suisse. L'Université de Berne est au premier rang avec le spectromètre de masse NIM (Neutral and Ion Mass Spectrometer), élaboré en collaboration avec le Laboratoire fédéral d'essai des matériaux et de recherche (Empa). Il étudiera la composition chimique et isotopique des particules présentes dans les atmosphères des lunes glacées de Jupiter.

>> A lire : Report du lancement de la mission JUICE vers Jupiter et ses lunes

Les scientifiques de Berne ont également développé un module pour l'altimètre laser GALA (GAnymede Laser Altimeter), qui étudiera la topographie de Ganymède, un des satellites de Jupiter, ainsi que l'optique et l'unité de calibration du Submillimeter Wave Instrument (SWI), qui mesurera notamment le rayonnement thermique de la stratosphère de Jupiter.

L'Institut Paul Scherrer, à Villingen (AG), a quant à lui fourni le détecteur RADEM (RADiation-hard Electron Monitor). Cet instrument, qui fonctionnera durant les huit années que durera le voyage, est chargé de récolter des informations sur l'activité solaire et son influence sur notre planète. Il servira aussi à cartographier les ceintures de radiations complexes de Jupiter.

Ces instruments développés en Suisse n'ont pas pour vocation de détecter des formes de vie. La mission première de Juice est d'ailleurs d'un autre ordre: comprendre la présence d'eau liquide aussi loin du soleil, sous la glace de certains satellites de Jupiter.

La sonde n'emporte pas d'atterrisseur, qui de toute façon ne pourrait pas percer les centaines de kilomètres de glace sous laquelle pourrait se trouver de l'eau liquide propice à une hypothétique forme de vie.

Les instruments scientifiques de JUICE [CC BY-SA 3.0 IGO - ATG under contract to ESA]
Les instruments scientifiques de la mission Juice. [CC BY-SA 3.0 IGO - ATG under contract to ESA]

Toutefois, il se peut que des liquides arrivent à la surface de ces astres par des geysers. Si des éléments parviennent par ce biais dans l'atmosphère de ces satellites, il sera peut-être possible de mesurer des éléments chimiques, du méthane par exemple, qui, additionnés à de l'eau, pourraient permettre d'entrevoir une éventuelle source de vie. Il n'est donc pas exclu que cette mission amène des choses très positives ou négatives sur la question de la vie extraterrestre.

Un peigne de fréquence neuchâtelois

En 2023, le Centre Suisse d'Electronique et de Microtechnique (CSEM) présentait un peigne de fréquence développé en collaboration avec l'Université de Genève. Ce système laser a pour mission d'assurer la métrologie et la calibration des spectrographes, des outils indispensables pour analyser la composition chimique d'une planète à distance.

L'origine de la vie étudiée à Zurich

La prestigieuse Ecole polytechnique fédérale de Zurich a inauguré en 2022 un centre sur l'origine de la vie, le Center for origin and prevalence of life, dirigé par Didier Queloz, lauréat suisse du Prix Nobel de physique, qui a notamment pour mission d'orienter les recherches sur une vie extraterrestre.

>> A lire : Un centre sur l'origine et l'existence de la vie créé à l'EPFZ

Hors de l'astrophysique pure, ce centre rassemble les connaissances de divers groupes de chercheurs, notamment des physiciens, des chimistes et des spécialistes du domaine de la biologie, dans le but de comprendre l'origine de la vie.

Pour trouver, c'est bien de savoir ce qu'on cherche

Willy Benz, astrophysicien responsable de la mission Cheops

Les scientifiques se penchent surtout sur les processus chimiques et physiques ayant permis l'existence d'organismes vivants et sur l'éventualité de l'existence de la vie sur d'autres planètes. Ils se demandent aussi comment se crée un environnement propice à la pérennité de la vie sur une planète, et comment cette vie modifie les caractéristiques de la planète. Ils explorent également les autres formes possibles de vie.

"Pour trouver, c'est bien de savoir ce qu'on cherche" indique Willy Benz, et "nous, on ne connaît que ce qu'on a sur Terre", ajoute l'astrophysicien. Comprendre l'origine de la vie permettrait de mieux chercher dans l'immensité de l'Univers.

Chapitre 4
Patience, patience...

AFP - NASA

Depuis une soixantaine d'années, le ciel est "mis sur écoute" dans l'espoir de percevoir une intelligence extraterrestre. Malgré d'innombrables observations, la déclassification de vidéos d'ovnis par le Département de la Défense américain et les très nombreuses antennes pointées vers le ciel, aucune preuve de l'existence d'une intelligence extraterrestre n'a pu être établie.

>> A lire : A-t-on reçu la visite d'extraterrestres? Un rapport américain reste évasif

Du côté de la présence d'une "simple" vie ailleurs que sur la Terre, malgré la puissance des télescopes, les sondes envoyées dans l'espace et les milliards dépensés, l'humain reste seul avec lui-même.

Reste que malgré le focus mis sur la recherche d'une vie ailleurs, elle ne concerne qu'un des objectifs des missions scientifiques actuelles, et dans la plupart des cas un objectif secondaire, voire tout simplement pas un objectif du tout.

La vie extraterrestre comme produit d'appel

"Il est donc tout à fait envisageable que la vie y soit présente"; "L'objectif de la mission est la recherche de vie"; "La sonde Juice va partir chercher de la vie sur les lunes de Jupiter"; ou encore "L'humanité est à deux doigts de découvrir la vie extraterrestre": les annonces de certains médias ou des déclarations de scientifiques laissent à penser que la découverte d'une vie extraterrestre est imminente et les missions en cours à même d'y parvenir.

Le pourcentage de chance de prouver une existence extraterrestre par les missions actuellement en cours est nul ou proche du nul

Willy Benz, astrophysicien responsable du projet Cheops

Pourtant, concernant les projets actuels, "le pourcentage de chance est nul ou proche du nul", concède Willy Benz. S'agissant des exoplanètes, les preuves ne seront jamais convaincantes "car tant qu'on n'y va pas, on ne peut trouver que des signatures de vie", insuffisantes pour une validation scientifique.

En revanche, dans le système solaire, le spécialiste reconnaît que c'est imaginable, par exemple si des fossiles étaient découverts sur Mars. A propos de la mission Juice, à nouveau, seules des signatures de vie pourraient être découvertes et l'objectif de cette mission n'est pas de découvrir la vie.

Un très long chemin pas toujours "glamour"

Pour l'agence spatiale américaine (NASA), "nous devrions prouver formellement l'existence d'une vie en dehors de la Terre avant le milieu du siècle". Mais pour y parvenir, il faut des connaissances préalables, des moyens technologiques et d'énormes moyens financiers pour des recherches souvent abstraites et peu compréhensibles pour le grand public et les instances décideuses.

Ceci explique, pour l'astrophysicien allemand Harald Lesch, interrogé il y a un an dans la Tribune de Genève, la mise en avant de la recherche d'une vie extraterrestre, une sorte de "tête de gondole" de la recherche spatiale en général. Un produit d'appel "sexy", en quelque sorte, propre à intéresser les médias, le grand public et à sa suite les levées de fonds colossales que nécessite cette industrie.

Un point de vue en partie avalisé par Willy Benz qui explique cette position par une analogie: "Quand Federer gagnait Roland-Garros, on voyait du beau jeu. Ce qu'on n'a pas vu, ce sont les heures d'entraînement pour en arriver là."

Pour se donner les moyens, un jour prochain, de répondre à la question "Sommes-nous seuls dans l'Univers?", une multitude de recherches préalables, parfois ingrates, sont nécessaires et, pour être rendues possibles, il faut en parler et les financer, même s'il faudra sans doute se montrer extrêmement patient pour assister à l'extension de la révolution copernicienne.