En partant d'un élément aussi commun que le graphite des mines de crayon, les professeurs Geim et Novoselov ont isolé le graphène. Ce nouveau matériau permet de construire des transistors qui "surpassent nettement en rapidité" les transistors classiques au silicium, et ainsi de fabriquer des ordinateurs "plus efficaces", selon le comité Nobel de l'Académie royale suédoise des Sciences.
"Pratiquement transparent et bon conducteur", le graphène est également "compatible pour produire des écrans tactiles transparents, des panneaux lumineux et peut-être aussi des capteurs solaires", selon le comité Nobel.
"Sous le choc"
Les deux scientifiques, respectivement 187e et 188e lauréats du Nobel de physique, sont nés en Union soviétique et aujourd'hui, le professeur Geim a la nationalité néerlandaise, et son ancien élève Novoselov a la double nationalité britannique et russe. Tous deux enseignent et travaillent de concert à l'Université de Manchester, au Royaume Uni.
"Sous le choc", Konstantin Novosselov qui est à 36 ans l'un des plus jeunes lauréats, n'a pu faire immédiatement de commentaire. En revanche, son collègue a été plus disert à la télévision publique suédoise SVT. "Il y a deux catégories de lauréats du prix Nobel: ceux qui cessent de faire quoi que ce soit pour le restant de leurs jours, ce qui ne rend pas service à la société, et ceux qui craignent que les gens pensent qu'ils ont remporté le prix Nobel par accident et qui donc redoublent d'efforts dans leurs travaux", a commenté Andre Geim, 51 ans, précisant être dans la seconde catégorie.
Alors ses plans pour le restant de la journée? "Retourner au travail (...) Mes plans ne vont pas changer", a-t-il dit, joint par téléphone depuis l'Académie suédoise juste après l'annonce de son prix.
Du scotch et un crayon
Dans un article publié en 2004, les professeurs Geim et Novoselov annoncent la découverte du graphène, un nouveau matériau bi-dimensionnel, car réduit à l'épaisseur d'un atome, composé d'un feuillet unique de graphite avec la structure d'un nid d'abeilles.
Contrairement aux autres matériaux bi-dimensionnels connus jusque-là, le graphène présente des propriétés physiques particulièrement remarquables car très résistant et excellent conducteur. L'un des aspects les plus soulignés de la découverte des lauréats, est la simplicité et l'empirisme qui y ont conduit.
"Avec du ruban adhésif normal, ils sont parvenus à recueillir une paillette de carbone de l'épaisseur d'un atome seulement", explique le comité Nobel. "C'est un exemple fantastique d'une découverte fondamentale issue de la curiosité scientifique et qui aura des retombées pratiques, sociales et économiques majeures pour la société", s'est félicité la directrice adjointe de l'Université de Manchester, Nancy Rothwell.
Etape révolutionnaire dans la miniaturisation électronique, le graphène peut également être utilisé pour ses propriétés mécaniques: malgré son extrême finesse, il est incroyablement résistant, 200 fois plus que l'acier. Principal écueil à l'utilisation du graphène actuellement, son prix de production, qui atteint lui aussi des sommets.
afp/sbo
600 milliards d'euros le mètre carré
Ultra-résistant, ultra-stable et ultra-conducteur: le graphène, considéré comme le matériau du futur pour l'électronique et les nanotechnologies, est présent à l'état naturel dans le graphite qui compose les mines de crayon.
En 2004, Andre Geim et Konstantin Novoselov parviennent à l'isoler en pelant des cristaux de graphite à l'aide d'un simple ruban adhésif. En répétant l'opération plusieurs fois ("exfoliation"), les physiciens finiront par obtenir un cristal de carbone en deux dimensions, c'est-à-dire aussi "plat" qu'un atome: le matériau le plus fin existant à ce jour.
Le résultat, une succession de motifs hexagonaux semblable aux alvéoles d'un nid d'abeilles, bat tous les records connus. Les électrons peuvent parcourir à sa surface de très grandes distances - à leur échelle, environ un millième de millimètres sans être déviés par des impuretés, comme c'est le cas par exemple avec le silicium utilisé dans 95% des appareils électroniques.
Les collisions d'électrons libèrent de la chaleur que les transistors au silicium peinent à évacuer lorsqu'ils sont très miniaturisés. A l'inverse, le graphène permet une très grande "mobilité" des électrons et chauffe donc très peu.
Mieux encore, les électrons s'y déplacent à la vitesse fulgurante de 1000 kilomètres par seconde, soit environ trente fois plus rapidement que dans le silicum. Particulièrement stable, le graphène est en outre incroyablement résistant, 200 fois plus que l'acier.
Principal écueil à l'utilisation du graphène actuellement, son prix de production, qui atteint lui aussi des sommets. En 2007, une société fondée par trois anciens étudiants d'Andre Geim en produisait des quantités infimes, mais au prix de 1800 euros pour une surface de seulement 3000 micromètres carrés.
Un mètre carré aurait donc coûté 600 milliards d'euros, soit plus de deux fois les dépenses prévues par l'Etat français en 2011. Des progrès ont toutefois été réalisés dans ce domaine depuis lors, notamment grâce à un autre procédé de fabrication, moins artisanal que l'exfoliation par ruban adhésif, le graphène "épitaxié".