Si des géologues surgis de l'espace visitent la Terre dans dix millions d'années, distingueront-ils l'empreinte de l'homme dans les roches et les sédiments qui s'accumulent à sa surface, tout comme nous l'avons fait pour les dinosaures, disparus voici 65 millions d'années? Pour des dizaines de chercheurs, réunis la semaine dernière à la British Geological Society de Londres, la réponse est "oui".
L'Anthropocène
L'un d'eux, le prix Nobel de Chimie Paul Crutzen, a même suggéré un nouveau nom pour cette "époque géologique": l'Anthropocène, autrement dit "l'âge de l'homme". On ignore le temps que durera cette période mais pour Paul Crutzen, co-découvreur des substances chimiques responsables du trou dans la couche d'ozone, une chose est sûre: pour la première fois en 4,7 milliards d'années, une espèce unique a radicalement changé la morphologie, la chimie et la biologie de notre planète. Et contrairement aux dinosaures, elle en a parfaitement conscience.
"On ne sait pas ce qui va se passer durant l'Anthropocène, ça pourrait être bon, même meilleur qu'actuellement. Mais nous devons apprendre à penser différemment, dans une perspective globale", juge Erle Bellis, professeur de géographie et d'écologie à l'Université américaine du Maryland à Baltimore.
L'équilibre sera retrouvé
Pour Will Steffen, directeur de l'Institut du changement climatique de l'Université nationale d'Australie, quoi qu'il advienne, notre planète finira par retrouver un équilibre, comme elle l'a toujours fait. Autrement dit, la Terre se portera bien. Mais peut-être pas les hommes.
"La planète sera bien plus chaude, son climat beaucoup plus orageux, et sa biodiversité bien moindre. Nous devrons être une espèce extrêmement résiliente" si nous voulons survivre, estime-t-il.
Comme les dinosaures
Les dinosaures pourraient avoir été rayés de la surface de la Terre par une météorite géante qui a abaissé les températures en dessous de leur seuil de survie. Si les températures augmentent en moyenne de cinq à six degrés d'ici un siècle, comme les climatologues le jugent possible, l'espèce humaine risque fort de subir le même sort.
Mais les dinosaures n'étaient pas maîtres de leur destin. Les humains, eux, sont les principaux responsables des changements incommensurables qui les menacent à si court terme.
Depuis l'invention de l'Anthropocène par Paul Crutzen voici une dizaine d'années, des scientifiques de tous horizons se sont ralliés à ce concept. "Cela a déclenché une prise de conscience", résume Will Steffen. L'idée a aussi déclenché des débats enflammés et de vives contestations.
Pour une prise de conscience
L'un de ceux qui pourrait trancher cette épineuse question, lourde de symboles et de conséquences, s'appelle Jan Zalasiewicz. Professeur à l'Université de Leicester, il dirige le groupe de géologues chargés de recommander si oui ou non l'Anthropocène doit officiellement s'ajouter aux quelque 150 éons, ères, périodes, époques et âges qui jalonnnent l'histoire de notre planète.
En attendant le verdict, Paul Crutzen espère que mettre officiellement un nom - l'Anthropocène - sur ces changements massifs aidera l'humanité à prendre conscience de ses responsabilités et des défis qui l'attendent. "Mais cette idée mettra probablement encore 20 ans à être acceptée", reconnaît le prix Nobel.
ats/vkiss