C'est la première fois que la notion de "réputation" est attestée au sein d'une autre espèce que les humains, a indiqué jeudi l'UNINE dans un communiqué. Ces travaux publiés dans "Current Biology" sont le fruit de la thèse de doctorat d'Ana Pinto, réalisée sous la direction du professeur d'éco-éthologie Redouan Bshary, déjà auteur de plusieurs publications sur les poissons nettoyeurs.
Pour assurer la propreté des mérous, poissons perroquets et autres murènes, le "Labroides dimidiatus" – ou labre nettoyeur commun – tient de véritables stations de nettoyage en se nourrissant d'ectoparasites pullulant à la surface des écailles de ses clients. Une bonne cinquantaine d'espèces ont recours à ses services.
Mais la tentation est grande pour ces champions du déparasitage express – chacun d'entre eux peut assurer jusqu'à 2000 interventions sur cinq cents individus par jour – de tricher. Il arrive ainsi qu'ils mordent le client pour y prélever du mucus, bien plus savoureux que les ectoparasites.
Mais s'il cède à cette tentation, le nettoyeur risque de voir le client prendre la poudre d'escampette, et donc d'être privé de nourriture. D'où un conflit d'intérêt permanent.
Expérience en aquarium
Ana Pinto a mis en évidence que la tricherie diminue sensiblement du moment que le labre nettoyeur se sent observé. Elle en a fait la démonstration à l'aide d'une expérience en aquarium. Premier acte: dans un bassin séparé en deux par une cloison opaque, on laisse le poisson nettoyeur seul avec son client dans un compartiment.
"On a choisi comme client le poisson chirurgien, histoire de pousser au maximum la tentation, car cette espèce est très appréciée du Labroides dimidiatus pour son mucus", précise la biologiste, citée dans le communiqué. Au bout de dix minutes, on dénombre jusqu'à 52 actes de tricherie, soit le nombre de fois où le labre nettoyeur mordille son client.
Deuxième acte: on remplace la séparation par une vitre, donnant à voir la scène à un autre poisson, une brème commune, nageant dans le compartiment contigu. Ce nouveau client potentiel peut alors suivre l'intervention en cours, l'idée étant que le poisson nettoyeur se sente véritablement observé. Au terme de la même durée d'expérimentation, le nombre d'actes de tricherie tombe à 17.
Conscience d'être observés
"Les poissons nettoyeurs ont clairement conscience d'être observés et prennent davantage soin de leur client par crainte d'une mauvaise réputation", selon la doctorante. La crainte est justifiée, car s'il a le choix entre un nettoyeur qui mordille régulièrement ou un concurrent dont on ignore la manière de travailler, un client potentiel préfèrera le plus souvent ce dernier.
Ces travaux mettent en exergue que la sensibilité au qu'en dira-ton n'est pas l'apanage des êtres humains. "C'est vraiment la première fois qu'une étude atteste l'existence de la notion de prestige social ou de réputation chez un animal. Son existence n'a même pas encore pu être prouvée chez des animaux supérieurs comme les primates", souligne la chercheuse.
"Ces conclusions ne sont pas généralisables à d'autres poissons", a expliqué Redouan Bshary à l'ats: "Le labre nettoyeur est spécial vu le nombre élevé d'interactions sociales auxquelles il est confronté et qui opèrent une forte sélection sur ses capacités cognitives".
De manière plus générale, en matière d'évolution, il est établi qu'il y a corrélation entre comportements intelligents et complexité de la vie sociale, note le spécialiste.
ats/mre