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Le rapport sur la viande cancérogène provoque un "buzz lui aussi toxique"

Francesco Panese. [RTS]
L'invité de la rédaction - Francesco Panese / Le Journal du matin / 15 min. / le 27 octobre 2015
Après la publication du rapport alarmant de l'OMS sur la viande, le sociologue Francesco Panese estime que cette annonce a rencontré un écho "disproportionné". Selon lui, nous vivons dans une "société de l'inquiétude".

C'est l'Organisation mondiale de la santé (OMS) qui l'affirmait lundi: la consommation de charcuterie est cancérogène, celle de viande rouge "probablement" aussi. Rarement un rapport de l'agence onusienne aura fait couler autant d'encre.

>> Lire : La charcuterie est cancérogène, selon une évaluation de l'OMS

Interrogé dans le Journal du matin, Francesco Panese, professeur associé à l'Université de Lausanne, relativise les conclusions des chercheurs sans contester la validité de la méthode utilisée: "Cet événement est totalement disproportionné par rapport à la valeur intrinsèque des résultats."

Pour le sociologue des sciences, la recherche scientifique doit se borner à identifier des risques et c'est ensuite aux organismes de santé publique de prendre des mesures en conséquence. Or, dans ce cas, les autorités ont été court-circuitées, regrette-t-il.

"Société de l'inquiétude"

Francesco Panese dénonce la communication de l'OMS, mais aussi le manque de recul des médias: "On s'est adressé directement au lecteur, à l'auditeur, au consommateur, bref au citoyen-mangeur, pour finalement l'alarmer. Et ça, c'est une dérive."

"On est dans un système où on alarme les gens, on crée un buzz assez important qui peut avoir lui-même une certaine toxicité", affirme le chercheur. Pour lui, on vit dans une "société de l'inquiétude qui ne perd pas une occasion pour se mettre fantasmatiquement en danger".

Le professeur pointe du doigt la gêne des médecins qui, en reprenant cette annonce, risquent de créer une anxiété qui pousserait la population à une abstinence totale de viande. Or, le rapport de l'OMS lui-même reconnaît l'utilité de la viande pour la santé, même si celle-ci peut être remplacée par d'autres aliments, note-t-il.

>> Les explications du gastro-entérologue Joakim Delarive :

OMS - Charcuterie: les explications de Joakim Delarive, Gastro-entérologue
OMS / Charcuterie: les explications de Joakim Delarive, Gastro-entérologue / 19h30 / 2 min. / le 26 octobre 2015

Pas de similitude avec la cigarette

Pour Francesco Panese, relier ce rapport avec les premières études qui pointaient les dangers liés au tabac, responsable d'un million de morts par année (contre 60'000 pour l'alcool et 34'000 pour la charcuterie), n'est pas pertinent.

"Derrière la cigarette, il y avait des groupements industriels très actifs, relève-t-il. On ne peut pas dire que la confrérie des bouchers a été aussi puissante d'un point de vue historique et sociologique."

La "moralisation de la santé"

Comment expliquer la portée mondiale de cette annonce, alors que chaque semaines des études mettent en évidence les risques liés à d'autres pratiques ou produits ? "Parce que l'hygiène alimentaire occupe un niveau extrêmement haut dans les inquiétudes ordinaires des gens", répond le sociologue.

Il s'agit, selon Francesco Panese, d'une conséquence de la "moralisation de la santé". "La santé absolue est devenue une norme sociale et une norme symbolique, qui agit de manière très forte pour orienter nos comportements", affirme-t-il.

"Et lorsque le sociologue dit qu'il y a des normes qui orientent, on voit toujours derrière la question du pouvoir", ajoute Francesco Panese, qui conclut en demandant "qui a intérêt à orienter nos comportements vers cette santé absolue qui est le grand fantasme de notre époque."

dk

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"N'ayez pas peur de manger une saucisse"

"Personne ne doit avoir peur quand il mange une saucisse grillée!": le ministre allemand de l'Alimentation Christian Schmidt a cherché à rassurer mardi sur la consommation de viande après l'étude de l'OMS.

"Comme toujours, tout est question de quantité : trop de quoi que ce soit est mauvais pour la santé", a réagi dans une déclaration écrite le ministre allemand, prenant l'exemple du soleil.