Les effets de ces substances chimiques, souvent négatifs, peuvent encore être aggravés par "l'effet cocktail", soit la combinaison de ces substances, déjà souvent mal connues individuellement.
"Avec 150'000 substances chimiques et 48 récepteurs nucléaires* susceptibles d'être impactés, imaginez le nombre de combinaison possible!", relève William Bourguet, chercheur au Centre de biochimie structurale de Montpellier, interrogé dans la vaste enquête de 36,9° diffusée mercredi.
(*ndlr: les récepteurs nucléaires ou biochimiques sont des protéines présentes dans les cellules qui captent et transmettent les signaux hormonaux)
"Les produits traitants me faisaient saigner du nez"
Parmi ces substances chimiques, les pesticides inquiètent au premier chef. Aujourd'hui, des preuves scientifiques s'ajoutent aux constatations de longue date des médecins. Ces derniers observent en effet une fréquence de certaines maladies, notamment des cancers hormono-dépendants, plus élevée chez les cultivateurs et vignerons que dans la population générale.
Après une course effrénée à la productivité agricole soutenue par l'usage des pesticides, les agriculteurs commencent à se méfier et à en parler. Certains se sont confiés à l'émission de la RTS.
"J'utilisais des produits qui me faisaient saigner du nez. Mais j'ai mis plusieurs années à m'apercevoir que c'était en utilisant ces produits", confie Claude Peguiron, agriculteur à Mex (VD), qui s'est converti au bio il y a un an après avoir notamment été pris de vertige et de gonflements de ganglions en traitant.
Aussi interviewé par 36,9°, le Français Jacky Ferrand explique pour sa part à la RTS comment son fils, viticulteur, est finalement décédé d'un cancer de la vessie après avoir traité ses vignes 10 à 15 fois par an sans protection.
Glyphosate répertorié en Suisse romande
L'agriculteur vaudois estime lui avoir été trompé sur ces produits phytosanitaires. "Le glyphosate (récemment jugé cancérogène probable par l'OMS et principe actif du Round Up de Monsanto, ndlr), à l'école d'agriculteur, on nous disait à l'époque que c'était un désherbant tout ce qu'il y a de plus naturel".
"Les agriculteurs prennent aussi conscience qu'ils ne sont pas responsables de ce qui leur arrive mais qu'ils ont été dupés par l'industrie", note François Lafforgue, avocat français et défenseur de 45 personnes qui tentent de faire reconnaître le lien entre leur maladie et l'exposition répétée aux pesticides de par leur travail.
En Suisse, Greenpeace vient d'établir une carte qui répertorie les pesticides, dont le glyphosate, utilisés dans les parcs publics des communes vaudoises et genevoises.
>> Lire aussi : Une carte répertorie les pesticides des communes vaudoises et genevoises
La Commission européenne a par ailleurs dû reporter un vote mardi sur sa proposition de prolonger l'autorisation du glyphosate, faute de majorité. Et cela après que plusieurs pays européens ont rejoint le camp des opposants à cette substance. La France, la Suède et l'Italie avaient notamment annoncé leur intention de voter "non" à ce renouvellement d'autorisation. Un nouveau vote doit intervenir mi-mai.
La commercialisation des substances va toujours plus vite que la connaissance des substances, notent encore les experts. La Suisse est en général plutôt en retard du point de vue législatif, adoptant les lois européennes avec deux ou trois ans de retard.
124 substances retirées du marché suisse en 10 ans
Pour la mise sur le marché suisse, l'Office fédéral de l'agriculture (OFAG) se charge d'homologuer les produits phytosanitaires, utilisés notamment dans l'agriculture. Mais c'est l'industrie qui doit fournir les preuves pour l'évaluation du risque d'un produit.
Un processus que dénonce Pro Natura. "Ce processus ne m'inspire pas confiance, l'OFAG est dépendant des études et des données de l'industrie", estime Marcel Liner, qui juge les incitations de la politique agricole à produire sans pesticide insuffisantes. Et de rappeler que le marché mondial des pesticides pèse quelque 40 milliards de dollars (environ 40 milliards de francs).
Cependant, l'OFAG assure de son indépendance: "On a retiré ces 10 dernières années 124 substances actives du marché, soit plus de 1000 produits phytosanitaires, réplique Olivier Félix, responsable de la protection durable des végétaux à l'OFAG. Nous fixons également les conditions dans lesquelles ces produits peuvent être utilisés avec un niveau de risque acceptable, c'est-à-dire une exposition à des doses où l'on ne s'attend à aucun effet même sur toute une vie".
L'effet cocktail démontré
Cependant, la combinaison de certaines substances peut multiplier par 10, 30 ou 50 fois l'effet en fonction du type de récepteurs biochimiques, explique William Bourguet. "L'effet cocktail, c'est lorsque deux substances prises séparément à faible dose ne sont pas toxiques mais le deviennent fortement parce qu'elles sont mélangées".
L'équipe du chercheur a récemment démontré dans une étude qui a fait grand bruit que l’éthinylestradiol, le principe actif des pilules contraceptives, et le trans-nonachlor, un pesticide qu'on trouve dans l'environnement, avaient un effet toxique décuplé en association. Et la vulnérabilité à la nocivité d'un produit est différente d'une personne à l'autre. Les enfants y sont particulièrement sensibles (lire ci-dessous), surtout que ces pesticides persistent longtemps dans l'environnement. Une étude a révélé chez une fillette des traces d'un pesticide qui avait été interdit dans toute l'Europe en raison de sa toxicité six ans avant sa naissance.
Sophie Badoux
Puberté précoce et infertilité masculine
"La pollution environnementale a un impact sur la santé de l’enfant et ce qui est beaucoup plus préoccupant et ce en quoi on peut considérer que c’est un véritable scandale c’est qu’il influe sur la santé de l’homme. Sur 20 ans, on a une explosion des précocités pubertaires chez la fille", explique Charles Sultan, chef service endocrinologie pédiatrique CHU Montpellier, dans 36,9°.
Une étude menée entre 1993 et 2013 par un groupe de médecins dans le sud de la France montre que sur une cohorte de 3'800 patientes, le nombre de pubertés précoces chez la fille est passé de 21 à plus de 100 cas par an.
"Nous avons pu montrer qu’un certain nombre de perturbateurs endocriniens agissaient comme des œstrogènes, des hormones féminines. Ils miment l’action des oestrogènes. Alors chez une petite fille de 6 ans, ils vont faire développer des seins, pousser l’utérus, etc.", précise Charles Sultan.
"Et ils ont également une action anti-androgène, s'opposant à l'action des hormones mâles pendant la vie foetale et générant chez le nouveau-né des micro-pénis par exemple". La fertilité ne cesse de se réduire chez les hommes, le nombre moyen de spermatozoïdes ayant passé de quelque 45 millions à 15 millions par millilitre de sperme. Des effets qui résultent de l’exposition aux pesticides de la mère pendant la grossesse.