A Paris, une entreprise a développé un programme, Predictice, sensé pronostiquer les chances de succès d'une partie lors d'un procès. En quelques secondes, des millions d'affaires sont explorées pour trouver des cas similaires et comparer les résultats. Il doit aussi permettre de trouver les arguments qui ont fait mouche auprès des juges.
L'argument statistique
Louis Larrêt-Chahine, cofondateur de la société, illustre le fonctionnement du logiciel avec un cas exemplaire, l'amiante, "un cauchemar à chiffrer pour les avocats", selon lui. En quelques secondes, tous les jugements rendus depuis 2012 apparaissent à l'écran. Il affiche aussi l'infraction qui a été retenue dans 54% des cas, le "préjudice d'anxiété".
Pour autant, Louis Larrêt-Chahine se défend de vouloir automatiser la justice. "Au contraire, si votre objectif est de convaincre le juge, vous souhaitez le meilleur argument", avance-t-il. Or, selon lui, Predictice offre un nouvel argument, celui de la statistique.
En France, une loi donne accès à tous les jugements. Le gouvernement d'Emmanuel Macron soutient le développement d'outils électroniques dans le domaine judiciaire. Des tribunaux publics ont participé aux tests de Predictice.
Des contrats automatiques
En Suisse aussi, ces nouvelles technologies juridiques intéressent. Pendant deux jours, à Zurich, des avocats et des hackers se sont réunis autour d'une question: l'automatisation du droit. Pour Biba Homsy, avocate présente lors de ce hackathon, il faut "embrasser cette nouvelle technologie" sous peine d'être "dépassé".
Des avocats romands ont travaillé par exemple sur des contrats intelligents qui, en cas de problème, se règlent automatiquement, sans passer par un juge. "Un marché immense, vu tous les contrats qui pourraient être automatisés", affirme Loïc Battistelli, spécialiste des données.
Antoine Verdon, fondateur de Legal Technology Switzerland, affiche néanmoins une certaine prudence. "Aux Etats-Unis, où il y a des algorithmes pour prévoir les risques de récidive, une femme noire de vingt ans aura une prédiction de risques très élevés, même sans antécédent", explique-t-il, parlant de "dérives auxquelles il faut faire attention".
Comment allez-vous percevoir l'arrêt qui tombe, en vous disant que ce ne sont pas des hommes qui l'ont rendu mais des machines qui l'ont sécrété?
Prudence en pas, il est un homme de loi que le logiciel Predictice laisse pour le moins songeur. Confronté à cet outil et plus généralement à cette évolution, Maître Bonnant est plutôt définitif. "La justice n'est pas un calcul de probabilité. [...] Chaque cause est une cause unique, même s'il peut y avoir des résonances", affirme ce spécialiste des plaidoyers. Et de conclure sur le rôle social de la justice, avec une question: "comment allez-vous percevoir l'arrêt qui tombe, en vous disant que ce ne sont pas des hommes qui l'ont rendu mais des machines qui l'ont sécrété?"
Antoine Multone