Les plastiques représentent le troisième matériau le plus produit par l'homme. L'immense quantité de déchets produits pose des problèmes à la fois sur terre et dans les océans, où l'accumulation des plastiques créent de véritables îles poubelles flottant sur l'eau. "Futur antérieur" fait le point sur le recyclage de ces déchets, l'un des défis majeurs de la lutte contre la pollution mondiale.
Didier Pradervand/dk
Episode 1
Les enjeux du recyclage des plastiques
Le poids total des plastiques produits dans le monde entre 1940 et 2015 atteindrait 8,3 milliards de tonnes. Cela représente "le poids de 80 millions de baleines ou celui de plus de 822’000 tours Eiffel", selon une étude publiée cet été dans Science Advances. Cela fait de ce matériau le troisième le plus fabriqué par l'homme.
Côté déchets, les chiffres aussi s'affolent. Selon Marco Simeoni, fondateur et président de la Fondation Race for Water, "on déverse l’équivalent d’un camion-benne de plastiques chaque minute dans les océans. Si rien n'est fait, en 2050, le ratio 1 kilo de poissons pour 1 kilo de plastiques sera atteint."
Que de défis
Face l’infernal couple "production/pollution", l’enjeu du recyclage s’avère primordial. La Suisse affiche par exemple un taux de recyclage des bouteilles de boisson en PET flirtant avec les 83%. C’est oublier que ce PET recyclé ne représente que 5% des déchets plastiques.
Sur les 95% restants, seuls 5% sont recyclés, le solde finit dans les incinérateurs. Avantages: électricité et chauffage à distance. Désavantages: gaz à effets de serre, déchets toxiques, voire désormais surcapacités de traitement. La conseillère nationale Isabelle Chevalley (Vert'libéraux) souligne les enjeux politiques et économiques et dénonce le poids des lobbys "cantonaux" en la matière. Selon elle, "il serait plus efficace de transférer l’intégralité de nos déchets, plastiques compris, aux cimentiers".
Et l’élue de s’inquiéter également de la trop grande complexité du tri sélectif, plastique par plastique, tel que prôné par les pouvoirs publics. Même si chaque pays a ses spécificités, la Suisse devrait s’inspirer des exemples allemands et français avec une unique poubelle pour tous les déchets recyclables. "En confiant l'automatisation de leur tri aux usines de recyclage et en optant pour l’incinération du solde non recyclable par les cimentiers, elle est convaincue que le pays pourrait atteindre le zéro déchet en décharge".
Episode 2
Quand le PET se la pète
Avec un taux de recyclage du PET de 83%, la Suisse fait figure de bon élève, même si celui-ci ne représente que 5% du total de ses déchets plastiques. Sans développer l’option du recyclage individuel - en mode bricolage fait maison dont Internet regorge de suggestions -, citons ici quelques produits quotidiens qui en contiennent.
Parmi les plus connus, il y a notamment des sacs, des housses de portables et d’ordinateurs ainsi que des vêtements. Mais attention, certains spécialistes s'alarment. A chaque lavage, impossible à filtrer et à récupérer, quelques grammes de nanoparticules de PET se perdent dans l’eau.
Nos pieds aussi peuvent désormais se parer de chaussures en PET recyclé, à l’instar d’une série limitée de baskets signées Adidas, des ballerines Benu Rollerina de la saint-galloise Camilla Fischbacher ou même, usinées sur mesure et sans couture par impression 3D, celles de la start-up californienne Rothy’s.
Ameublement
Si on trouve également du PET recyclé dans le rembourrage de couettes et duvets ou en traitement de surface sur des façades de cuisine, certains, comme la menuiserie Gautschi et Schick, se sont lancés dans la vente et la fabrication de mobilier urbain en PET, PVC et PEHD recyclés, trois des sept plastiques les plus répandus.
Hormis la colle, ce matériau se travaille comme le bois, avec les mêmes outils. "Imputrescible, résistant, anti-tags et facilement lavable, ce mobilier urbain est certes un peu plus coûteux à l’achat, concède Pierre Gautschi, mais sur le long terme, l’acheteur s’y retrouve." Et le menuisier de rappeler que ce matériau peut aussi "se travailler de manière originale", à l’image de ses créations pour le jardin thérapeutique et de rééducation sensorielle du CHUV à Lausanne. Et l’artisan d’espérer ouvrir bientôt un show-room pour y exposer ses créations et celles de ses fournisseurs belges et français.
Episode 3
Des maisons et des routes en plastiques recyclés
Du Sahara à Brooklyn, des mégapoles d’Amérique du Sud à Bali en passant par l’Inde et les laboratoires de recherche, on ne compte plus les initiatives, les projets et les réalisations. Née dans les années 1970 au Nouveau-Mexique avec la première maison construite uniquement avec des déchets, l’éco-architecture a depuis fait des émules. Dans le même temps, le volume des déchets plastiques a explosé.
En s’inspirant des jeux et constructions en Lego, un ingénieur néo-zélandais et un jeune architecte colombien ont ainsi mis au point d’énormes briques en plastiques compactés pour l'un, un système de planches qui s'assemblent avec un simple marteau pour l'autre. Si la première approche reprise par une entreprise new-yorkaise vise le marché traditionnel de la construction, celle des Colombiens Oscar et Cecilia Mendez entend s'attaquer à de plus larges problèmes: pollution, chômage, pauvreté et, catastrophe naturelle ou guerres obligent, problématique des déplacés, réfugiés et sans-abris.
A la clé: des maisons de 40 m2 avec deux chambres, un salon, une salle à manger, une cuisine et une salle de bain. Elles se montent en cinq jours. Si nécessaire, se démontent et se rebâtissent ailleurs. Anti-feu, résistant mieux que celles en briques aux tremblements de terre, elles coûtent environ 7000 francs l’unité. Pleinement engagé dans leur projet, collectionnant prix et récompenses, le couple vise désormais plus grand: écoles et bâtiments publics.
Même des routes
Ils ne sont pas les seuls. Aux Pays-Bas, une jeune entreprise finalise non pas des briques en plastiques recyclés, mais des segments de route. Fabriqué en usine, assemblé sur site, facile d’entretien et à réparer en cas de nids de poule, un premier tronçon, une piste cyclable, devrait être testé grandeur nature d’ici à quelques mois.
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Episode 4
Une histoire d'énergie et de solidarité
Nés de l’or noir, certains plastiques y reviennent, sous forme de carburant, grâce notamment à la technique de la pyrolyse. Originalité, il existe désormais des micro-systèmes de pyrolyse pour un usage local par des communautés éloignées des centres urbains mais tout autant qu’eux confrontées au fléau des déchets plastiques.
"Fidèle à notre philosophie, la demande est venue d’une communauté de femmes burkinabés", rappelle Philippe Randin, président de l'ONG Nouvelle planète, qui pilote le projet. "Déjà actives dans le recyclage des plastiques sous forme de besaces et sacs notamment, ces femmes cherchaient à améliorer économiquement leur quotidien ainsi qu’à mieux lutter contre les déchets."
Du Pakistan, où il a été repéré, au Burkina Faso, le petit pyrolyseur a transité par la Haute école d'ingénierie et de gestion du canton de Vaud. Vérifié, légèrement modifié, il peut transformer en diesel de 100 à 500 kilos de déchets par jour, sans tri préalable des plastiques. Seule la part des PVC doit être limitée à chaque chargement. Son prix? Entre 10'000 et 15'000 francs. Même si la qualité du diesel produit "ne serait pas acceptée en Suisse, concède Philippe Randin, au Burkina Faso, elle est meilleure que celle du carburant qui s’y vend. Il sera utilisé pour des moulins à céréales, des pompes à eau ou encore des tricycles."
Bientôt une start-up
Si la phase-pilote actuellement testée au Burkina Faso s’avère concluante, le concept sera appelé à se développer. "Une start-up est en train d’être créée en coordination avec l’école d’ingénieurs", s’enthousiasme la conseillère nationale Isabelle Chevalley, associée au projet.
Episode 5
Transformer les déchets plastiques en gaz
Surnommées le 7e continent, les îles poubelles ressemblent plus à des sortes de soupes de déchets plastiques plus ou moins denses flottant sur et dans les océans. Parmi toutes les initiatives prises pour les éradiquer, citons celle de la Fondation Race for Water. "Filtrer toute l'eau des océans est totalement inimaginable", rappelle Serge Pittet, son directeur général. La fondation et ses partenaires visent donc à s'attaquer au problème juste avant que les déchets plastiques ne se perdent dans les océans.
Objectifs: tester puis installer dans les rivières, deltas et sur les côtes des unités de transformation des déchets plastiques en gaz. Montable et démontable en moins d'un mois, d'une surface de 400 m2 et pouvant traiter quotidiennement environ cinq tonnes de déchets, chacune d'elles coûte quelque deux millions de francs. Par comparaison, leur rendement équivaut à 1500 kilowattheures pour une tonne de déchets plastiques recyclés, soit, calcule Serge Pittet, "l'équivalent d'une facture d'électricité de 330 francs si on était en Suisse."
Une première unité sera testée en Europe d'ici à la fin de l'année, trois autres le seront en 2018 dans les Caraïbes et sur la côte Pacifique de l'Amérique latine. A terme, la Fondation Race for Water affiche de plus grandes ambitions. "Nous travaillons sur un projet de 300 à 500 machines", précise Serge Pittet, tout en espérant être copié "pour atteindre le chiffre de 1000 voire 3000 machines afin de considérer enfin le plastique comme une vraie source énergétique."
Enjeux financiers
Le financement de la collecte des déchets devrait être assuré par des fonds internationaux liés au développement durable. Les coûts d'installation et de fonctionnement des usines seront pris en charge par des partenaires économiques locaux et via la vente de l'énergie produite. Et le directeur de la fondation de rappeler que même si ce combat peut quelquefois décourager, il faut toujours opposer au "pessimisme de l'intelligence, l'optimisme de l'action. De toute façon, il faut aller de l'avant, on ne peut laisser les choses en l'état."
L'invité
Libero Zuppiroli, professeur honoraire à l'EPFL
Relégués au rang d'emballage, responsables d'une montagne de déchets, nocifs pour la santé: les plastiques traînent une mauvaise image. Il a pourtant marqué le XXe siècle. Leurs savantes architectures moléculaires s'adaptent à toutes les situations. Les plastiques, puissance de l'homme ou des multinationales qui l'utilisent? Libero Zuppiroli est formel: c'est un choix de société, donc un choix politique.