La fourmi Matabele vit en Afrique subsaharienne et ne mange que des termites. Lorsqu’il faut se nourrir, des éclaireuses repèrent un endroit adéquat. Puis, presque la moitié de la fourmilière part en chasse vers la termitière cible. Les grands spécimens des Matabele (2 cm) creusent une brèche dans la terre agglomérée afin que les petits (0,5 cm) puissent saisir leurs proies.
Pendant l'attaque, des fourmis sont tuées ou blessées par les termites-soldats: environ un tiers des hyménoptères perd au moins une patte au combat. Et c’est là que les chercheurs ont remarqué un comportement particulier, unique dans le monde animal et décrit pour la première fois dans la revue Proceedings of the Royal Society B: si les fourmis ne sont pas grièvement blessées et arrivent à se relever, elles vont communiquer avec leurs congénères pour obtenir du secours.
Retour au combat 24 heures après les soins
"On a vraiment un système organisé pour trouver les blessés: les fourmis qui ont besoin d’aide émettent un signal avec des phéromones", explique le Docteur Erik Frank, biologiste comportementaliste, mardi dans le 12h45 de la RTS. Le chercheur, qui a mené son étude entre l’Université de Würzburg, en Allemagne, et la Côte d’Ivoire, vient d’arriver au Biophore de l'Université de Lausanne pour continuer ses recherches aux côtés du Professeur Laurent Keller, myrmécologue de renom.
Les chercheurs ont observé les blessées être lavées et soignées: "Les fourmis tiennent le membre blessé de leur congénère dans leurs mandibules et lèchent directement la blessure", raconte Erik Frank. Une des choses qu'il faudra déterminer, c'est la nature de la substance que les insectes appliquent aux blessés.
Le traitement est efficace: après une heure seulement, la blessure s'est refermée et les fourmis pourront repartir au combat. "Si on empêche le traitement, on constate que les fourmis meurent dans 80% des cas, dans les premières 24 heures", précise le biologiste.
Instinct de survie plutôt qu'empathie
Aussi interrogé dans le 12h45, Laurent Keller se réjouit que cette recherche soit poursuivie dans son département: "On savait déjà que, dans la colonie, les fourmis s’entraidaient si un individu était parasité: s'il y a un champignon, elles peuvent l’enlever de la cuticule (la surface) de l'individu, mais c'est la première fois qu'on peut démontrer qu'elles aident leurs congénères hors de la colonie à rentrer quand ils sont blessés."
La blessée replie même ses pattes sous son abdomen pour faciliter le transport. Quant aux fourmis trop grièvement atteintes, elles n'émettent pas de phéromones et ne sont donc pas secourues. Les individus morts sont souvent mis à l'écart.
Il ne faut pas voir un comportement empathique chez les Matabele, mais plutôt un instinct de survie, précisent les chercheurs: comme le taux de mortalité ou de blessures dépasse celui de la natalité, les fourmis ont intérêt à soigner leurs congénères, pour qu'elles repartent au combat.
Stéphanie Jaquet/boi