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"Il faut développer de nouveaux antibiotiques avant une grave crise"

L'invité de Romain Clivaz (vidéo) - Thierry Mauvernay, président de Debiopharm
L'invité de Romain Clivaz (vidéo) - Thierry Mauvernay, président de Debiopharm / La Matinale / 10 min. / le 28 août 2018
Thierry Mauvernay, le président de la firme de développement pharmaceutique Debiopharm, plaide pour un renouvellement du business model des antibiotiques afin de favoriser le développement de nouveaux médicaments.

"Beaucoup de pharmas ont arrêté de développer des antibiotiques, c'est le cas récemment avec Novartis, et d'autres l'avaient fait bien avant", souligne mardi Thierry Mauvernay dans La Matinale de la RTS. "Et c'est dommage, parce qu'il y a encore des risques très importants d'épidémies, et je ne voudrais pas qu'on attende d'avoir un grave problème avant de développer des nouveaux antibiotiques."

Le président de Debiopharm rappelle qu'une cinquantaine de classes d'antibiotiques ont été développées après la Seconde Guerre mondiale, alors que dans les 25 dernières années, seules deux ou trois classes d'antibiotiques l'ont été, dont une par sa firme. "C'est très très peu", souligne-t-il.

Des médicaments "pas rentables du tout"

Les firmes comme Novartis ou AstraZeneca, qui ont cessé de développer des antibiotiques, sont des sociétés cotées en bourse. Elles ont des résultats à donner et une rigueur financière saine, explique Thierry Mauvernay, qui précise: "Les antibiotiques ne sont pas rentables du tout: ils coûtent très cher à développer, comme tous les médicaments, les prix de vente sont très très bas, entre 2 et 50 francs, alors qu'ils guérissent quelqu'un."

Il cite aussi l'appel à utiliser de moins en moins d'antibiotiques, qui est "médicalement juste", ainsi que le fait qu'un nouvel antibiotique sera placé "en fond de tiroir" et sera utilisé comme médicament de dernier recours: "Tout porte à penser que vous allez développer quelque chose qui va être de moins en moins vendu et vendu en dernier recours, donc quelque chose de relativement difficile à vendre à vos actionnaires."

Une priorité pourtant négligée

L'Organisation mondiale de la santé a mis le développement de nouveaux antibiotiques dans ses priorités, indique le président de Debiopharm. "On a pensé qu'on avait réglé la question des épidémies avec la pénicilline et tous les antibiotiques qui sont arrivés, mais les bactéries ont créé beaucoup de résistances aux antibiotiques. Pourtant, on laisse un peu tomber le problème tant qu'on n'a pas un grave événement qui arrive..."

Pour lutter contre le terrorisme, quelque 150 milliards sont dépensés chaque année, décompte Thierry Mauvernay, alors que le financement du développement de nouveaux antibiotiques est quasi nul. Il appelle donc à un changement du business model des antibiotiques.

"Actuellement, lorsque vous êtes malade, vous payez", explique le président de Debiopharm. "Or un antibiotique, c'est pratiquement de la prévention, c'est-à-dire qu'on devrait garder ça pour le cas où on est malade." Et d'imager: "vous avez des airbags dans votre voiture, vous ne payez pas à chaque fois que vous utilisez votre airbag, parce que ça vous coûterait une fortune. Les antibiotiques devraient être développés comme prévention."

Un business model différent permettrait par exemple de circonscrire rapidement le développement d'une bactérie résistante en utilisant peu d'antibiotiques. "Si vous partez sur un modèle économique classique, ça ne marche pas: l'objectif est plutôt de vendre beaucoup d'antibiotiques." Thierry Mauvernay plaide plutôt pour une logique de prévention et d'assurance.

Une autre piste envisageable verrait la création d'un fonds mondial d'une vingtaine de milliards permettant de développer cinq à dix nouvelles classes d'antibiotiques, "mais j'y crois moyennement, parce que tout ce qu'on voit va plutôt en direction d'une non-mutualisation des efforts, les Etats essayant d'aller chacun de leur côté".

Propos recueillis par Romain Clivaz

Adaptation web: Eric Butticaz

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