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Comment l'analyse ADN récréative permet d'arrêter des tueurs en série

Les tests génétiques récréatifs sont de plus en plus répandus. [Keystone - Gaetan Bally]
Les conséquences méconnues de l'analyse ADN récréative / La Matinale / 3 min. / le 17 octobre 2018
Plus de la moitié de la population américaine est identifiable à son insu, selon une étude parue récemment dans Science. Des profils génétiques, réalisés à des buts récréatifs, ont permis de résoudre plusieurs enquêtes criminelles aux États-Unis.

Sonder ses origines ou retrouver des parents éloignés... voilà à quoi servent les analyses récréatives d'ADN. Mais lorsque les résultats sont mis en ligne en libre accès, ces profils génétiques peuvent servir à remonter à des individus de notre famille. Sans qu'on ne le réalise.

Des portraits-robots de celui qui fut surnommé le Golden State Killer. [Reuters - FBI/Handout]
Des portraits-robots de celui qui fut surnommé le Golden State Killer. [Reuters - FBI/Handout]

L'exemple emblématique, c'est celui du Golden State Killer: un criminel qui a terrorisé la Californie dans les années 1970 et 1980. À son actif, au moins treize meurtres, plus de cinquante viols et une centaine de cambriolages.

Arrêté grâce à des données en libre accès

La police a arrêté un suspect au mois d'avril dans une banlieue de Sacramento. Il a été identifié grâce à GEDmatch, un site où plus d'un million d'utilisateurs téléchargent leurs analyses ADN, dans le but de trouver de lointaines connections familiales.

Un site de généalogie génétique a été utilisé pour lier l'ADN trouvé sur des scènes de crimes à Joseph James DeAngelo: il a été identifié comme étant le "Golden State Killer". [Reuters - Fred Greaves]
Un site de généalogie génétique a été utilisé pour lier l'ADN trouvé sur des scènes de crimes à Joseph James DeAngelo: il a été identifié comme étant le "Golden State Killer". [Reuters - Fred Greaves]

En comparant l'ADN relevé sur des scènes de crime à ceux du site, les enquêteurs ont retrouvé une quinzaine de parents éloignés, des cousins au troisième degré du tueur. Et ils sont tombés sur un ancêtre commun: un arrière-arrière-arrière-grand-père, du début du XIXe siècle.

Commence ensuite un travail titanesque, à l'ancienne, à travers les données de recensement et les coupures de vieux journaux, pour reconstruire le reste de cet arbre généalogique, qui au final mène à plusieurs milliers de personnes.

Faire le tri

Ensuite, il faut trier. Vincent Castella, responsable de l'unité de génétique forensique du Centre universitaire romand de médecine légale explique: "Par l'enquête, on regarde si on a des éléments qui arrivent à placer la personne hors de cause: ça pourrait être des éléments qui concernent son âge ou sa situation géographique. Peut-elle être ou non impliquée dans cette affaire".

Un policier emporte un sac de preuve de la maison de Joseph James DeAngelo, à Citrus Heights, en Californie. [Reuters - Fred Greaves]
Un policier emporte un sac de preuve de la maison de Joseph James DeAngelo, à Citrus Heights, en Californie. [Reuters - Fred Greaves]

L'âge et la localisation ont permis de cibler deux suspects, dont un ancien policier déchu.

Le dernier pas, c'était d'avoir une correspondance parfaite avec l'ADN des scènes de crime du Golden State Killer. C'est ce que les enquêteurs ont obtenu quelques jours avant l'arrestation de Joseph James DeAngelo, un retraité de 72 ans. Ils ont discrètement prélevé du matériel génétique frais d'un mouchoir usagé et sur la poignée de porte de sa voiture.

Une population entière traçable

Les chercheurs estiment que lorsque 2% d'une population a mis son ADN à disposition, tout le monde est retraçable (lire second encadré). Or certains sites grand public, dont les données ne sont pas en libre accès, regroupent déjà plus de dix millions de profils.

Rien qu'aux Etats-Unis, les données en libre accès permettent déjà de remonter à plus de la moitié des Américains, selon l'étude publiée dans Science.

Dans quelques années, la totalité de la population blanche sera probablement identifiable génétiquement, prédisent les auteurs de l'étude, qui notent que les Américains noirs utilisent moins les outils génétiques à ce jour.

Lucia Sillig et Stéphanie Jaquet

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En Suisse, une banque de profils ADN

En Suisse, il y a eu une vingtaine de cas de recherches familiales, sans qu'aucun n'aboutisse. Les enquêteurs ne sont pas autorisés à aller au-delà des liens parent-enfant, ou frère et soeur. Et surtout, ils ne cherchent que dans la banque suisse de profils ADN.

Pour Vincent Castella, la grande différence avec les États-Unis, c'est que "dans la banque de profils ADN, le prélèvement a eu lieu dans un contexte judiciaire: la personne est informée que son ADN y est inséré et qu'il va éventuellement servir à résoudre des affaires criminelles ou délictueuses. Alors que dans les bases de données généalogiques, où l'ADN est envoyé de façon totalement volontaire, dans le but, peut-être, de mieux connaître son origine, les gens n'imaginent pas forcément que leur ADN va potentiellement servir à confondre un de leurs proches."

Une loi datant de 2003

En théorie, en Suisse, la police ne peut pas utiliser ces données. Mais la technologie génétique évolue bien plus vite que la loi, qui a du mal à anticiper ce qui pourrait être possible. Vincent Castella précise: "En Suisse, la loi sur les profils ADN date de 2003. À ce moment-là, on était loin d'imaginer tous les développements fabuleux qu'il a pu y avoir dans les développements ADN".

Des "cold cases" résolus

Depuis l'arrestation de Joseph James DeAngelo, les autorités imitent la technique pour résoudre leurs "cold cases", les affaires non résolues. Treize personnes ont été arrêtées en cinq mois, selon la société Parabon, qui travaille sur 200 échantillons ADN mystérieux.

L'un des criminels identifié grâce à la généalogie génétique est celui qui fut nommé le "NorCal Rapist" – le violeur de la Californie du Nord, en français.

Roy Charles Waller, un expert en sécurité, a violé au moins dix femmes entre 1991 et 2006. Il a été arrêté à la mi-septembre à l'Université de Berkeley où il était employé.

Les enquêteurs l'ont rapidement identifié grâce à GEDMatch, un site web de généalogie publique. Dix jours plus tard, l'homme de 58 ans était derrière les barreaux. Il risque la prison à vie.