Les impacts à long terme des marées noires, trente ans après l'Exxon Valdez
Aujourd'hui, il n'y a plus guère de traces visibles de cette catastrophe écologique: la plus grande partie des côtes souillées ont été nettoyées et la nature semble en avoir effacé le reste des traces. Pourtant, la région est loin d'être revenue à son état d'avant la marée noire.
Une faune encore en convalescence
Des chercheurs de l'Agence d'observation océanique et atmosphérique américaine ainsi que de l'Institut national d'études géologiques ont créé un historique des espèces animales locales depuis 1989, pour pouvoir établir à quel moment diverses espèces pouvaient être considérées comme entièrement restaurées.
Ils ont ainsi établi que la population de phoques a mis 17 ans à se rétablir. La loutre de mer, elle, n'est revenue à une population normale qu'en 2013, soit 24 ans après l'accident. Les orques, en revanche, ne se sont toujours pas remis de la marée noire, tout comme les harengs.
Un effet domino socio-économique
Et chez les humains, les communautés locales ne se se sont pas rétablies non plus: elles ne ressemblent plus à ce qu'elles étaient avant l'Exxon Valdez. Car la catastrophe est l'une de celles qui ont permis d'identifier, sur la durée, l'effet domino socio-économique des marées noires sur des populations qui ont un lien très étroit voire de dépendance à la faune et à la flore locale.
La destruction d'un milieu naturel tue aussi toute l'économie qui en découle. Dans le cas de l'Exxon Valdez, il s'agissait de l'industrie de la pêche locale - du hareng et du saumon en particulier. Dans ce type de situation, les revenus fiscaux chutent et les projets publics - sociaux et d'infrastructures - sont remis à plus tard. Les débouchés pour les nouvelles générations s'érodent et les jeunes quittent la région.
Conséquence: les tensions se multiplient au sein de la population, le risque de précarité augmente et on observe une perte de confiance et de sens communautaire.
Le stress post-traumatique des nettoyeurs
Les sociologues ont aussi observé une division de la population entre ceux qui ont participé au nettoyage de la marée noire et les autres. La santé mentale des premiers est atteinte, et l'on parle d'ailleurs de stress post-traumatique.
Les chercheurs ont plusieurs fois observé - avec l'Exxon Valdez ou la plateforme Deep Water Horizon dans le Golfe du Mexique - une corrélation directe entre marée noire et problèmes de violence domestique, d'alcoolisme ou de dépression, qui deviennent beaucoup plus fréquents. Les enfants souffrent aussi, vivant avec un sentiment accru d'incertitude. Cela se reflète notamment par des résultats scolaires en baisse et une forte anxiété.
Réactions différentes en cas de catastrophe naturelle
Mais ce type de manifestations ne sont pas observées lors de catastrophes naturelles comme des ouragans ou des séismes.
Au milieu des années 90, le sociologue américain Kai Erikson a ainsi établi ce qu'il appelle une "typologie des désastres". Il y distingue essentiellement les catastrophes dites technologiques - accidents d'avions, explosions ou marées noires par exemple, qui sont le résultat de l'action humaine - et les catastrophes naturelles comme les tremblements de terre ou les tornades.
Il observe que l'impact social et psychologique généré par ces événements varie selon leur type. Les catastrophes technologiques mènent ainsi à des sentiments de colère, d'impuissance, de stress collectif et à une perte de confiance dans un système en place.
Une solidarité qui naît de la fatalité
Ce sont des réactions que l'on ne retrouve pas chez les victimes de catastrophes naturelles, parce que ces dernières sont perçues comme inévitables, comme une fatalité décidée pour certains par Dieu. Dans ce type d'événements, il y a une solidarité immédiate alors que les catastrophes technologiques sont perçues comme le résultat de l'erreur ou de la faute d'une ou de quelques personnes.
Et une responsabilité humaine signifie la recherche d'un coupable, des polémiques, des confrontations et des procédures juridiques. Il n'y a pas consensus et les conséquences seront tendanciellement minimisées par les responsables. Cette réaction renforce les sentiments négatifs et retarde encore la reconnaissance d'une faute et les compensations financières. Dans le cas de l'Exxon Valdez, les plaintes civiles ont mis plus de 25 ans à être réglées.
Katja Schaer/oang
Une erreur de navigation
Le 24 mars 1989, l'Exxon Valdez s'est s'échoué en pleine nuit à 4 milles au sud de l'île Busby, dans le détroit de Prince William en Alaska, alors qu'il venait de quitter le terminal de Valdez.
Le banc était couvert par 9 mètres d'eau alors que le navire avait un tirant d'eau d'environ 17 mètres. La vitesse alliée à la nature rocheuse du haut-fond ont entraîné une déchirure de la coque sur toute sa longueur.
Les causes de l'erreur de navigation sont toujours restées peu claires, mais le capitaine avait quitté la passerelle peu avant en laissant le troisième officier seul à la manœuvre.
Plus de 42 millions de litres de pétrole se sont échappés de 11 des 13 citernes du navire et ont pollué quelque deux mille kilomètres de côtes.