Une étude de l’Université de Neuchâtel révélait au début du mois que plus de 90% des champs du Plateau suisse, bio ou non, sont contaminés par des pesticides.
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Reflet de cette inquiétude, des citoyens cherchent à tester si leurs urines contiennent des pesticides, notamment ce fameux glyphosate qui fait peur à beaucoup de monde. Cet herbicide a du reste été déclaré cancérigène probable par le Centre international de recherche sur le cancer.
Concentrations excessives
Une campagne citoyenne de recherche de glyphosate dans les urines a ainsi été lancée sur Facebook. Elle réunit aujourd'hui plus de 1800 personnes, principalement en France, avec des résultats d'analyses potentiellement inquiétants: 3,48 nanogrammes par millilitre, soit 34 fois la norme autorisée de glyphosate dans le sang, annoncent-ils alors qu'ils s'apprêtent à déposer plainte contre les fabricants de pesticides.
Ces inquiétudes existent en Suisse aussi et certains, sur les réseaux sociaux, se demandent pourquoi les laboratoires helvétiques refusent de tester le glyphosate dans les urines. Des lettres de refus de laboratoires suisses ont même été publiées.
L'émission On en parle peut le confirmer, après avoir contacté l'Association des laboratoires médicaux de Suisse (FAMH) et les laboratoires susceptibles de les faire: aucun d'entre eux n’est en mesure de tester le glyphosate ou d’autres pesticides dans les urines.
Loi de l'offre et de la demande
Et aucun laboratoire n’a pu donner d'explications à cela, à l'exception de l’Institut de chimie de Lausanne. "Faire un développement pour une analyse jamais facturée coûte très cher", a-t-il répondu. "Si trop peu de monde demande ces analyses, on ne trouvera pas d’offre dans les labos. C’est la loi du marché, l’offre et la demande. "
Interrogé mardi dans On en parle, le responsable de l’unité de toxicologie du Centre universitaire romand de médecine légale (CURML) Marc Augsburger confirme lui aussi cet état de fait. "Il n'y a effectivement pas de laboratoire en Suisse qui propose ce service à des concentrations qui seraient intéressantes pour la question qui est posée, c'est-à-dire une exposition chronique", explique-t-il.
"C'est tout à fait faisable mais tout développement analytique a un coût, il faut l'équipement adéquat, il faut des standards, développer une méthode, donc ça demande du temps. Et s'il n'y a pas de demande, un laboratoire ne va pas développer des analyses à bien plaire pour pas grand-chose."
Nécessité de définir des seuils
La difficulté, alors que la littérature est extrêmement complexe vis-à-vis de la toxicité du glyphosate, est cette exposition chronique, à petites doses. "Avec des concentrations très faibles, comment définir un seuil pour dire qu'on a une exposition chronique potentiellement dangereuse à cette valeur-là?", s'interroge ce spécialiste. "Il faut définir des valeurs et à ma connaissance, elles n'existent pas (...) On a besoin d'études sur la population pour répondre à ce genre de question."
Faute de pouvoir le faire en suisse, chacun peut commander ce type de test à l'étranger. Mais cela ne sert pas à grand-chose, souligne Marc Augsburger. "Ces situations, généralement, reviennent chez nous. Mais notre réponse est: que fait-on avec ça? Quelle est la signification de ces résultats?"
Le problème pris par le mauvais bout
Du point de vue de la toxicologie, c'est prendre peut-être le problème par le mauvais bout, selon lui. "En général, une analyse de laboratoire vient étayer un diagnostic, une hypothèse de travail. On ne va pas à la pêche comme ça... Cela risque d'inquiéter les gens, parce que ce sont des produits qui sont très présents dans notre environnement."
Marc Augsburger voit tout de même un mérite au groupe Facebook créé sur cette thématique, c'est "de pointer du doigt un problème et de dire aux autorités qu'il faudrait peut-être faire des études, mais alors des études scientifiques correctement établies."
"Peut-on évaluer la présence de pesticides - pas seulement de glyphosates, il y en a énormément? Est-ce que la population est exposée à ces substances? Est-ce qu'on peut définir des valeurs de référence? Pour cela, il faut faire des études scientifiques, pas juste un groupe sur Facebook."
Didier Bonvin/Philippe Girard/oang