"Nous devons changer de système de production agricole. On peut très bien vivre autrement", explique Jean-François Odoux, chercheur à l'Inra, coauteur de l'étude publiée dans le Journal of Applied Ecology.
En analysant six années de données sur les abeilles domestiques, une équipe de recherche du CNRS, de l'Inra et de La Rochelle Université démontre, pour la première fois, "qu'à l'échelle du territoire, les abeilles sont sensibles à la présence de l'agriculture biologique".
"Cette étude met très clairement en perspective une amélioration des performances de la colonie", explique Alex Aeby, professeur aux instituts de biologie et d'éthologie à l'Université de Neuchâtel, au micro de RTSinfo. "Les chercheurs ont mesuré le miel que les abeilles se réservent à elles-mêmes: ils se sont rendus compte que si les ruches sont dans une exploitation bio, sur un terrain bio, il y avait des meilleures performances de la ruche".
La fin du printemps est cruciale
Notamment à la fin du printemps. Le colza fleurit en avril ou en mai, le tournesol bien plus tard, en juillet/août: entre les deux, les régions d'agricultures intensives manquent cruellement de fleurs et donc de pollens et de nectar indispensables aux abeilles.
Et c'est prouvé, "plus la disette est forte, plus on aura de mortalité à la sortie de l'hiver suivant", explique Jean-François Odoux. Une mortalité élevée qui, selon l'étude, peut être atténuée par l'agriculture biologique.
"Dans un territoire qui est cultivé en bio, la rotation est plus importante: les cultures sont plus diversifiées et davantage étalées dans le temps", explique Jean-François Odoux. Et chez les abeilles, comme chez l'homme, régime alimentaire équilibré rime avec résistance immunitaire.
Flore spontanée
Autre point positif, "l'agriculture biologique, du fait de l'absence d'herbicides, a plus de flore spontanée dans ses parcelles en cultures", ajoute Vincent Bretagnolle, chercheur au CNRS, également coauteur de l'étude.
Grâce à cette flore spontanée – trop souvent appelée à tort "mauvaises herbes" – "il y a toujours un petit quelque chose pour les abeilles", note Jean-François Odoux.
Les chiffres de l'étude parlent d'eux-même: dans les colonies entourées de parcelles agricoles biologiques les chercheurs ont constaté 37% d'oeufs, de larves et de nymphes en plus et 20% d'abeilles adultes supplémentaires. La production de miel est double.
"La réduction de la pression pesticide semble également améliorer la survie des abeilles, alors que l'augmentation des réserves en miel résulterait d'une disponibilité accrue des fleurs mellifères à proximité de la ruche", précise l'étude.
Face au déclin des abeilles, l'usage des pesticides, notamment des néonicotinoïdes, est depuis longtemps montré du doigt. Mais pour Jean-François Odoux ce n'est "qu'un maillon d'un processus général, le dessus de l'iceberg" et c'est tout "le système de production agricole qu'il faut adapter à une consommation raisonnée".
Sujet radio: Pierre-Etienne Joye
Adaptation web: Stéphanie Jaquet et l'ats
"L'abeille est comme un grand chef"
"Une abeille, c'est comme un grand chef", analyse Stéphanie Vuadens, apicultrice dans la campagne genevoise: "Elle va aller butiner les fleurs qui sont autour de la ruche. Donc plus la diversité florale est importante et plus elle a le choix de ses fleurs. Et du coup, l'abeille peut 'faire sa diva' en choisissant la fleur dont elle a envie: elle a le choix. Et c'est ça qui donne une très bonne qualité de miel: la grande diversité florale", remarque-t-elle au micro de la RTS.
Et est-ce que l'abeille sait qu'elle consomme du bio? "Une abeille doit être capable de prendre en compte si la fleur a été contaminée ou non. Il y a des fleurs sur lesquelles elles ne vont pas, parce qu'elles savent que ce sont des fleurs qui ne conviennent pas à leur système digestif".
Les abeilles adorent les adventices, autrement dit, ce que l'on appelle abusivement les mauvaises herbes.