L'eau de plusieurs communes romandes n'est pas conforme à la norme sur le chlorothalonil
Pendant longtemps, les chimistes et les agriculteurs étaient sans doute les seuls à savoir ce qu'était le chlorothalonil. Ce produit utilisé depuis les années 70 pour protéger les céréales, les légumes, la vigne et les plantes ornementales ne posait pas de problème.
Mais depuis l'an dernier, de plus en plus de Suisses ont entendu parler de cette substance. Des traces de ce produit ont été détectées dans l'eau potable sur tout le Plateau suisse, principalement dans les régions agricoles.
Si le chlorothalonil a gagné en notoriété, c'est surtout parce qu'il a été interdit avec effet immédiat par l'Union européenne en avril 2019. Derrière cette décision radicale, le recensement de tumeurs constatées chez les poissons et les invertébrées qui y ont été exposés. Pour l'heure, les risques pour l'homme ne sont pas connus, mais le principe de précaution l'a emporté.
Dans la foulée, la Confédération a elle aussi décidé de légiférer. Depuis juin 2019, la limite autorisée est de 0,1 microgramme de métabolite* de chlorothalonil par litre et depuis le mois de décembre de la même année, le chlorothalonil a été à son tour interdit en Suisse
Quinze communes testées
Les émissions On en parle et A bon entendeur ont demandé au Service de la consommation et des affaires vétérinaires du canton de Genève d'analyser les prélèvements faits au robinet de 15 communes romandes.
"En une analyse, nous sommes capables de détecter un morceau de sucre dans plus de mille piscines olympiques (...). Parmi les échantillons, nous avons trouvé trente substances phytosanitaires, parmi elles quinze étaient des substances actives et quinze autres des métabolites dont cinq du chlorothalonil", a expliqué Aline Staub Spörri, chimiste au Service de la consommation et des affaires vétérinaires du canton de Genève, au micro de l'émission On en parle.
Valeur dépassée dans quatre localités
Les résultats indiquent que dans les communes d'Estavayer-le-Lac (FR), de Domdidier (FR), de Chavornay (VD) et de Payerne (VD), l'eau prélevée n'est pas conforme à la loi, car elle dépasse la valeur maximale individuelle de métabolite du chlorothalonil.
A Payerne, l’échantillon est aussi jugé non conforme car il dépasse une deuxième valeur légale, celle qui fixe à 0,5 microgrammes la limite de tous les métabolites pertinents contenus dans un litre d’eau.
"Dans ces échantillons, il y a un dépassement de la valeur maximale autorisée pour un métabolite du chlorothalonil, soit le R471811. Ce seul critère suffit pour évaluer chacun des quatre échantillons comme non conformes à la loi", a ajouté Aline Staub Spörri.
Les échantillons sont jugés conformes au bénéfice de la marge d’erreur de la méthode d’analyse. A Porrentruy (JU), Neuchâtel et Sierre (VS), ces mêmes valeurs sont limites mais ne dépassent pas les normes prévues par la loi.
Enfin, les 8 prélèvements restants, à savoir ceux de Thônex (GE), Genève, Delémont, Milvignes (NE), Sion, Lausanne, Fribourg et Bienne, sont jugés satisfaisants. Certains contiennent d'infimes traces de pesticides, mais restent bien dans les normes fixées.
Pour certaines communes, peu de solutions
Contactés par la RTS, les chimistes cantonaux et les distributeurs d'eau concernés par des prélèvements aux valeurs illégales signalent être au courant du problème. Mais pour certaines communes, comme Estavayer-le-Lac, la situation semble plus compliquée. En effet, dans cette localité, l'eau potable provient du lac et il n'existe pas de solution rapide pour régler la situation actuelle. A défaut d'être conforme, le chimiste cantonal fribourgeois souligne que l'eau reste néanmoins consommable.
Il y a aussi des explications de circonstance, comme à Neuchâtel. En temps normal, l'eau provient des Gorges mais lors du prélèvement, celles-ci étaient sèches, ce qui a forcé la ville à un mélange avec l'eau du lac.
Interrogé dans A Bon Entendeur, le conseiller d'Etat fribourgeois Didier Castella explique de son côté que si la situation est belle et bien "tendue", il faut ici trouver une solution satisfaisante pour tous: "On ne peut pas se permettre d’avoir des valeurs nocives pour la santé humaine et, de l’autre côté, on doit nourrir le peuple car ça reste le travail premier de l’agriculture. On doit trouver des compromis et aujourd’hui, il faut dire qu’on parle de valeurs infinitésimales, de valeurs de précaution, avec des produits pours lesquels la dangerosité n’est pas connue (…) on doit donc faire une pesée d’intérêts."
A Payerne, dix fois la norme légale
Dans la ville de Payerne, la situation apparaît toutefois plus préoccupante, car l'eau dépasse ici 10 fois la norme légale. Interviewé dans l’émission On en parle, le syndic Eric Küng s'est voulu rassurant: "L'eau reste consommable et j’en consomme tous les jours".
Si une vingtaine de communes du Seeland vont s’équiper d’un système de filtration (lire encadré), Payerne a choisi une autre méthode, celle du charbon actif. "Il s’agit de faire passer l’eau à travers des filtres à charbon de manière à retenir les métabolites de chlorothalonil", a commenté le syndic. (…) Nous sommes dans une phase test qui durera dix-huit mois. Nous espérons de bons résultats".
Coût de l'opération: 400'000 francs. "Si le filtre devait être en fonction, je pense que le prix de l’eau va aussi augmenter", a indiqué Eric Küng.
Sujet radio: Mathieu Truffer et Bastien von Wyss
Adaptation web: Tristan Hertig/Valentin Jordil
*Un métabolite est un produit de dégradation du chlorothalonil. Ce dernier ne se retrouve en effet pas dans l'eau dans son état originel. Il se dégrade petit à petit et se transforme en plusieurs métabolites et ce sont ceux-ci que l'on retrouve par la suite dans l'eau du robinet.
Une vingtaine de métabolites
Au total, les métabolites dérivant de la dégradation du chlorothalonil sont au moins une bonne vingtaine. Lorsque l'interdiction du chlorothalonil a été ordonné, ce sont donc tous ces produits qui ont été déclarés potentiellement dangereux et c'est chacun d'entre eux qui est soumis à la limite de 0,1 microgramme par litre.
Avec cette multiplication d'interdictions et de contraintes, ce qui semblait inévitable est arrivé en février 2020. Un second résidu du chlorothalonil, le R 471 811, a été découvert dans de nombreuses réserves d'eau souterraines. Les dépassements se sont alors souvent révélés massifs, atteignant de 3 à 5 fois la limite dans 20 stations de mesures.
En Suisse romande, c'est dans la région de la Broye, très agricole, que le problème est le plus vif.
Les communes du Seeland seront bientôt équipées de filtres à résidus de pesticides
Les eaux souterraines du Seeland, le potager du pays, affichent souvent des concentrations en résidus de chlorothalonil jusqu’à vingt fois supérieures aux limites autorisées. Une vingtaine de communes bernoises en seront bientôt libérées.
Le Syndicat des eaux du Seeland a décidé d’équiper ses installations d’un système de filtration des résidus de pesticides. Il lui en coûtera près de deux millions de francs, plus les frais d’exploitation. La décision est une première et elle aura une influence sur l’ensemble de la Suisse.
La Confédération donne deux ans aux distributeurs d’eau potable pour ne pas dépasser le seuil limite de 0,1 microgramme par litre autorisé. Or tout laisse à croire qu’il faudra bien plus longtemps pour venir à bout des résidus du pesticide, plutôt des décennies. Le Seeland franchit le pas, il promet de fournir une eau parfaitement pure dans les meilleurs délais.
Pas de problème constaté avec l'eau en bouteille
Dans le cadre de cette enquête, des tests ont également été pratiqués sur des eaux minérales en bouteille. Cet été, d'infimes traces de chlorothalonil avaient été détectées dans l'eau d'Evian, ce qui avait d'ailleurs créé auprès de la population une certaine émotion.
Lors de ces recherches, l'Henniez bleu, la Valser, l'Aproz Cristal, la Cristalp naturelle, la Cristallo et la Swiss Alpina ont aussi été testées. Le laboratoire mandaté n'a trouvé absolument aucune trace du pesticide.