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Des chimpanzés du Gabon soignent leur plaies grâce à des insectes

Les trois chimpanzés Suzee, Sassandra et Olive vivent dans le parc national de Loango au Gabon. Ces animaux appliquent des insectes sur leurs blessures. [Ozouga Chimpanzee Project - Tobias Deschner]
Les chimpanzés se soignent avec des insectes / CQFD / 10 min. / le 9 février 2022
Lorsqu'un humain soigne une plaie, il la désinfecte puis la protège avec un pansement. Certains chimpanzés attrapent des insectes et les appliquent directement sur la plaie ouverte. Un comportement observé pour la première fois chez des animaux non-humains.

Appliquer des insectes sur les plaies ouvertes: cette méthode surprenante, les chimpanzés l'utilisent non seulement pour traiter leurs propres blessures, mais aussi celles de leurs congénères. Cette découverte, publiée lundi dans la revue Current Biology, apporte une contribution importante au débat sur la capacité des chimpanzés – et des animaux en général – à aider leurs semblables de façon désintéressée.

"Lorsque vous lisez dans vos livres de biologie toutes les choses incroyables que les animaux peuvent faire, (...) je pense que ça pourrait vraiment être quelque chose de cet ordre, qui finira dans les livres comme connaissance générale", s'enthousiasme Simone Pika, biologiste à l'Université d'Osnabrück en Allemagne et coautrice de l'étude.

Une femelle soigne son petit

Le point de départ remonte à 2019, lorsqu'une femelle adulte est filmée en train d'inspecter une plaie sur le pied de sa progéniture, un chimpanzé adolescent.

Elle attrape brusquement un insecte, l'immobilise dans sa bouche où elle semble le presser, puis l'applique sur la plaie. Après avoir extrait l'insecte de la blessure, elle répète deux fois l'opération.

Cela ressemble à la pose d'un diagnostic puis à un traitement: "Quand un chimpanzé s'intéresse à son congénère, c'est très généralement pour l'épouiller, ce comportement qui consiste à enlever les parasites, mais aussi à apaiser les tensions sociales", remarque Sabrina Krief, primatologue et éco-anthropologue au Museum National d'Histoire Naturelle de Paris. "En général, quand il y a une plaie, le chimpanzé l'évite, probablement pour ne pas faire mal à son congénère", note-t-elle au micro de l'émission CQFD.

Ce qui est pour elle étonnant, c'est que, dans ce cas-là, c'est vraiment la plaie qui est inspectée: "Quelque chose est posé dans la plaie. Cette étude est pour cela particulièrement intéressante: on passe non plus seulement à l'auto-diagnostic, mais au diagnostic vers le congénère et à une manœuvre qui consiste à toucher cette plaie".

La scène a lieu dans le parc national de Loango, qui borde l'océan Atlantique dans l'ouest du Gabon, et où les chercheurs étudient un groupe de 45 chimpanzés centraux, une espèce menacée.

Par la suite, sur une période de quinze mois, les scientifiques voient des chimpanzés procéder pas moins de dix-neuf fois à cette même technique, sur eux-mêmes. Et, par deux autres fois, ils observent des chimpanzés blessés être traités de la même façon par un congénère, ou plusieurs à la fois.

Les plaies, parfois larges de plusieurs centimètres, peuvent résulter de conflits entre les individus du groupe, ou avec d'autres groupes voisins.

Loin de protester, les chimpanzés meurtris se laissent faire: "Cela demande beaucoup de confiance d'appliquer un insecte dans une plaie ouverte", s'émerveille Simone Pika. "Ils semblent comprendre qu'avec cet insecte, leur plaie ira mieux. C'est incroyable."

Sabrina Krief connaît bien les chimpanzés et autres primates. Pour elle, cette étude est fort intéressante: "En principe, on parle plus volontiers d'automédication, car la plupart des cas qu'on observe sont soit des ingestions de plantes pour soi-même, soit des applications de substance, ou encore, de la consommation de terre", explique-t-elle (lire encadré).

Insecte volant non identifié

L'équipe de recherche n'a pas identifié quel insecte était utilisé, mais pense qu'il s'agit d'un insecte volant vu le mouvement rapide effectué par les chimpanzés pour l'attraper. Cet insecte contient potentiellement des substances "qui pourraient avoir une fonction anti-inflammatoire voire apaisante", explique Simone Pika.

Les insectes sont bien connus pour avoir des propriétés médicinales diverses. Des travaux supplémentaires seront nécessaires pour déterminer l'insecte en question ici et sa fonction, ainsi que l'efficacité de la méthode.

Des comportements d'automédication ont déjà été observés chez d'autres animaux – comme des oiseaux, des ours, des éléphants, des reptiles – par exemple via l'ingestion de plantes: "Nos deux plus proches parents vivants, les chimpanzés et les bonobos, avalent des feuilles de plantes aux propriétés vermifuges et mâchent des feuilles amères qui ont des propriétés chimiques pour tuer les parasites intestinaux", précise la chercheuse.

>> Freddy soigne sa blessure à la main gauche : Freddy, un chimpanzé sauvage mâle adulte, attrape un insecte avec sa main gauche, le porte à sa bouche et l'applique sur une blessure avec l'index de sa main droite. [Current Biology/Elsevier Inc - Alessandra Mascaro, Lara M. Southern, Tobias Deschner, Simone Pika]
Freddy, un chimpanzé sauvage mâle adulte, attrape un insecte avec sa main gauche, le porte à sa bouche et l'applique sur une blessure avec l'index de sa main droite. [Current Biology/Elsevier Inc - Alessandra Mascaro, Lara M. Southern, Tobias Deschner, Simone Pika]

Un comportement d'entraide

Mais les chimpanzés utilisent ici cette technique y compris pour aider d'autres individus, ce qui étonne le plus Sabrina Krief, car un tel comportement a peu été observé dans la vie sauvage.

Une partie de la communauté scientifique "doute encore" de la capacité d'espèces animales à avoir des comportements dits prosociaux, c'est-à-dire d'entraide sans attente de contrepartie, explique Simone Pika: "Ici, les chimpanzés n'ont rien à gagner", souligne-t-elle.

Alors pourquoi le font-ils? Chez l'espèce humaine, un comportement prosocial est généralement lié à l'empathie. Il se pourrait que ce même sentiment soit également en jeu chez les chimpanzés, mais "nous ne savons pas", avertit la chercheuse, prudente. "C'est une hypothèse que nous devons étudier."

Stéphanie Jaquet et l'afp

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La pharmacopée des primates

Les primates semblent avoir une connaissance des plantes qui peuvent les soigner en automédication: "Les premières études qui ont vraiment étonné les primatologues et les chercheurs montrent que les chimpanzés ingurgitent des feuilles qui sont couvertes de petits poils, rugueuses, sans les mastiquer, le matin, à jeun, juste à la descente de leur nid. Cela favorise l'expulsion des parasites intestinaux: une sorte de purge accélérant le transit digestif. C'est une action mécanique", note Sabrina Krief dans CQFD.

Roxy et Thea font partie d'une communauté d'environ 45 chimpanzés vivant dans le parc national de Loango, au Gabon. [Ozouga chimpanzee project - Tobias Deschner]
Roxy et Thea font partie d'une communauté d'environ 45 chimpanzés vivant dans le parc national de Loango, au Gabon. [Ozouga chimpanzee project - Tobias Deschner]

Elle remarque aussi que des feuilles ou des tiges très amères, qui ont des goûts particuliers, sont avalées par les singes: "Là, c'est la substance chimique en elle-même qui agit. Il y a aussi des usages externes utilisés par les chimpanzés ou d'autres primates, comme la friction de la fourrure ou l'application de plantes sur le pelage. Mais, généralement, on n'observe pas forcément d'utilisation d'insectes dans des plaies".

En revanche des insectes sont utilisés par les primates et d'autres animaux dans la fourrure.

Plantes et terre

La primatologue a aussi fait des observation dans la Nature. Sa première étude a porté sur une plante très amère consommée par les chimpanzés: "Ces feuilles sont avalées de façon très rare. Ce comportement nous a guidés vers l'isolement de nouvelles molécules qui ont des actions anti-paludiques. C'est déjà assez particulier! Mais on a vu que, après avoir avalé ces feuilles, les chimpanzés vont chercher une poignée de terre et l'avalent juste après".

Les scientifiques ont ensuite mimé l'action des feuilles de Trichilia avec la terre: "On a vu que l'action contre l'agent du paludisme était augmentée. C'est une sorte de galénique. Mais, plus largement, la terre peut servir de pansement digestif, gastrique".