Publié

Pour le GIEC, la capacité d'adaptation humaine est de plus en plus dépassée

Le réchauffement climatique affecte toute la vie sur Terre, qu'elle soit animale ou humaine. [AFP - Ekaterina Anisimova]
Un nouveau rapport du GIEC alerte sur les conséquences dévastatrices du changement climatique sur la vie humaine / Le 12h30 / 2 min. / le 28 février 2022
Avec la progression du réchauffement climatique, la capacité d'adaptation de l'être humain et de la Nature est de plus en plus dépassée. C'est le principal constat du nouveau rapport du Conseil mondial du climat (GIEC), publié lundi. Le texte dresse un tableau sans fin des souffrances endurées par l'humanité frappée par les impacts du réchauffement de la planète auxquels elle n'est pas suffisamment préparée.

Les preuves scientifiques accumulées ne laissent pas de doute, selon ce nouveau document: si l'on tarde à lancer une action mondiale préventive, la courte fenêtre d'opportunité pour assurer à tous un avenir durable et digne d'être vécu se refermera rapidement, conclut le Résumé à l'intention des décideurs de la deuxième partie du sixième rapport d'évaluation du GIEC, qui en contera quatre.

>> Lire aussi : Le réchauffement climatique s'accélère, alerte le GIEC dans un rapport choc

Pour cette nouvelle mise à jour, les 270 auteurs principaux – dont six de Suisse – ont évalué plus de 34'000 publications et traité plus de 62'000 commentaires, a indiqué l'Académie suisse des sciences naturelles (SCNAT) dans un communiqué.

Dans leur analyse, les scientifiques montrent que les changements climatiques portent atteinte déjà aujourd'hui à l'être humain et à la Nature. Par exemple, certaines maladies deviennent plus fréquentes et la sécurité alimentaire diminue. La moitié de la population du globe souffre régulièrement de pénuries d'eau aiguës.

Suivant l'ampleur des changements climatiques, ces risques se multiplieront à partir de 2040. Et comme plusieurs surviennent en même temps, il sera de plus en plus compliqué d'en maîtriser les impacts.

>> Lire aussi : Une claque mondiale: le rapport du GIEC fait réagir

Un réchauffement climatique bien réel

Voici les principaux éléments de la première évaluation par le GIEC des impacts et de l'adaptation au changement climatique depuis sept ans.

Les conséquences dévastatrices du changement climatique, longtemps vu comme un point à l'horizon, sont devenues une réalité maintenant aux quatre coins de la planète, avec 3,3 à 3,6 milliards de personnes d'ores et déjà "très vulnérables", soit près de la moitié de l'humanité.

Le réchauffement d'environ +1,1°C en moyenne depuis l'ère préindustrielle a déjà contribué au déclin des espèces et à l'extinction de certaines, à l'augmentation des maladies transmises par les moustiques, à plus de morts causées par la chaleur et la sécheresse, à une perte de récoltes agricoles et de la pêche.

>> Lire : La nouvelle "Liste rouge" des espèces menacées alerte d'une extinction de masse

La Nature et l'être humain touchés

La santé des populations, physique et mentale, est également touchée: "L'augmentation des extrêmes météorologiques et climatiques a conduit à des impacts irréversibles" sur les sociétés humaines et la nature, conclut le GIEC.

Mais ce n'est que le début et les impacts sur la Nature et l'être humain vont s'accroître: extinction possible de 3 à 14% des espèces terrestres à +1,5°C, des "milliards" de personnes supplémentaires exposés à la dengue, ou de manière générale, une "augmentation sensible des maladies et des morts prématurées".

Hausse du niveau de la mer

Quel que soit le rythme des émissions de gaz à effet de serre, un milliard de personnes pourraient vivre d'ici à 2050 dans des zones côtières à risque, alors que la hausse du niveau de la mer renforce l'impact des tempêtes et des submersions marines.

La population exposée au risque d'inondations marines va doubler si l'océan s'élève de 75 centimètres, un chiffre largement compatible avec les projections pour 2100. Aujourd'hui, environ 900 millions de personnes vivent à moins de dix mètres au-dessus du niveau la mer.

D'ici à 2100, la valeur des infrastructures et autres actifs installés dans ces zones sujettes à des inondations exceptionnelles – "une tous les 100 ans" – sera d'environ 10'000 milliards de dollars dans un scénario modéré d'émissions.

Des sculptures de glace fondent petit à petit au soleil d'été. Une action du WWF pour montrer les conséquences du réchauffement climatique dans la région arctique. Berlin, le 2 septembre 2009. [Keystone/epa - Hannibal Hanschke]
Des sculptures de glace fondent petit à petit au soleil d'été. Une action du WWF pour montrer les conséquences du réchauffement climatique dans la région arctique. Berlin, le 2 septembre 2009. [Keystone/epa - Hannibal Hanschke]

Le premier volet du rapport du GIEC sur la physique du climat en août avait estimé qu'il serait possible, en cas de dépassement probable de +1,5°C (lire encadré), objectif le plus ambitieux de l'accord de Paris, de revenir ensuite sous ce seuil d'ici à la fin du siècle. Mais ce dépassement même temporaire, que les climatologues appellent "overshoot", n'irait pas sans répercussions.

Tout dépassement de +1,5° "entraînerait des impacts irréversibles" sur des écosystèmes capitaux comme les récifs coralliens, les glaciers de montagne et les calottes glaciaires: "Le risque d'impacts graves augmente avec chaque fraction supplémentaire de réchauffement", dépassement temporaire ou pas, selon le rapport.

Les conséquences désastreuses vont augmenter avec "chaque fraction supplémentaire de réchauffement", de la multiplication des incendies au dégel du pergélisol.

La question centrale de l'adaptation

Le précédent rapport de 2007 ne s'étendait pas sur la question de l'adaptation, c'est-à-dire les mesures prises pour limiter ou se préparer aux impacts du réchauffement. Cette question est désormais centrale.

De manière générale, le GIEC met en garde contre le fait que le monde n'est pas prêt, le réchauffement va plus vite que les mesures pour s'adapter aux conséquences. En outre, "au rythme actuel de planification et de mise en place de l'adaptation, l'écart entre les besoins et ce qui est fait va continuer à grandir".

Redécouverte de variétés anciennes de cultures agricoles plus résistantes, restauration des mangroves ou construction de digues, plantation d'arbres dans les villes pour créer des couloirs rafraîchis ou climatisation: l'exploration des possibles est urgente. Mais sans garantie de résultat.

>> Lire aussi : "On avait tout en main il y a 40 ans pour éviter la catastrophe climatique", fustige un chercheur

Mesures contreproductives

Le GIEC met ainsi en garde contre les dangers de mesures qui peuvent être totalement contreproductives, alors que le monde n'a plus aucune marge d'erreur: "Il y a des preuves de plus en plus nombreuses de mal-adaptation dans de nombreux secteurs et régions".

Par exemple, construire une digue pour protéger des submersions marines alimentées par la montée du niveau de la mer peut conduire à développer la zone en question pourtant la plus à risque, créant un sentiment erroné de sécurité.

Modifications irréversibles

Le rapport met en lumière certaines modifications irréversibles et potentiellement catastrophiques du système climatiques, appelées "points de basculement", qui peuvent être déclenchés à certains niveaux de réchauffement.

Cela concerne en particulier la fonte des calottes glaciaires du Groenland et de l'ouest de l'Antarctique qui contiennent suffisamment d'eau glacée pour faire monter les océans de treize mètres.

A plus court terme, certaines régions – nord-est du Brésil, Asie du Sud-Est, Méditerranée, centre de la Chine – et les côtes presque partout pourraient être frappées par de multiples catastrophes en même temps: sécheresse, canicule, cyclone, incendies, inondations.

La science commence tout juste à se pencher sur les impacts de ces impacts en cascade.

Stéphanie Jaquet et les agences

Publié

L'objectif de +1,5°C

Malgré le constat cataclysmique, plusieurs Etats, notamment la Chine, l'Inde et l'Arabie saoudite ont tenté pendant les négociations de faire retirer des références à l'objectif de +1,5°C, ont indiqué à l'AFP plusieurs sources participant aux discussions.

Le Pacte de Glasgow adopté lors de la conférence climat de l'ONU COP26 fin 2021 appelle pourtant les Etats à renforcer leur ambition et leur action climatiques d'ici la COP27 en Egypte en novembre, dans l'espoir de ne pas dépasser ce seuil.

"L'abdication criminelle" des dirigeants mondiaux

Le secrétaire général de l'ONU António Guterres a dénoncé lundi l'"abdication criminelle" des dirigeants mondiaux dans la lutte contre le réchauffement, en réponse à un rapport scientifique décrivant la "souffrance" de l'humanité frappée par les catastrophes climatiques.

Ce rapport des experts climat de l'ONU (GIEC) publié lundi "est un recueil de la souffrance humaine et une accusation accablante envers l'échec des dirigeants dans la lutte contre les changements climatiques", a-t-il déclaré, pointant du doigt en particulier les grands pays émetteurs.

>> Lire : Un nouveau record d'émissions mondiales de CO2 prévu pour 2023

"Près de la moitié de l'humanité vit dans la zone de danger – aujourd'hui et maintenant. De nombreux écosystèmes ont atteint le point de non-retour – aujourd'hui et maintenant (...) Les faits sont là, indéniables. Cette abdication de leadership est criminelle", a-t-il ajouté dans un message vidéo. "Les coupables sont les plus grands pollueurs du monde, qui mettent le feu à la seule maison que nous ayons".

"Le rapport d'aujourd'hui met en évidence deux vérités fondamentales. La première est que le charbon et les autres combustibles fossiles étouffent l'humanité", a insisté António Guterres.

"Perdre du temps, c'est périr"

"La deuxième vérité, un peu plus positive, est que l'investissement dans l'adaptation aux changements climatiques marche. L'adaptation sauve des vies". Mais les financements, et les engagements pris pour renforcer l'aide aux pays en développement en matière d'adaptation, sont "clairement insuffisants", a-t-il regretté.

"Perdre du temps, c'est périr", a encore souligné le secrétaire général de l'ONU. "Je sais que partout, les populations sont inquiètes et en colère. Je le suis aussi. Le moment est venu de transformer cette rage en actes".

"La crise climatique nous menace tous"

Le nouveau rapport des experts du climat de l'ONU (GIEC) constitue "un rappel que la crise climatique nous menace tous", a réagi lundi le chef de la diplomatie américaine Antony Blinken.

"Il démontre également pourquoi la communauté internationale doit continuer de prendre des mesures climatiques ambitieuses, alors même que nous faisons face à d'autres défis mondiaux impérieux", a souligné dans un communiqué le secrétaire d'Etat.

"Menace sur la stabilité locale et mondiale"

Pour le chef de la diplomatie américaine, "si les décisions politiques et économiques sont les principaux facteurs de conflit, le changement climatique augmentera la menace sur la stabilité locale et mondiale".

La publication du rapport intervient le même jour que l'examen par la conservatrice Cour suprême des Etats-Unis d'un dossier environnemental aux énormes enjeux, susceptible de compliquer la lutte du gouvernement de Joe Biden contre le réchauffement climatique.

Autres réactions autour du monde

- Madeleine Diouf Sarr, représentante du groupe des Pays les moins avancés (46 pays): "Nos vulnérabilités sont mises à nu dans ce rapport. La science nous dit que nous atteignons déjà les limites de notre capacité d'adaptation à 1,1°C. À 1,5°C, nous savons que nous subirons des pertes encore plus importantes".

- Anote Tong, ancien président de l'Etat insulaire du Kiribati, dans l'océan Pacifique: "Mon peuple du Kiribati paye le prix de l'addiction du monde aux énergies fossiles. Malheureusement, notre capacité à s'adapter est sévèrement réduite par notre manque de ressources. J'ai vu des habitants construire des barrages de coraux contre la mer car ils n'ont rien d'autre à disposition (...) Il est impératif que les pays industrialisés augmentent significativement leur aide financière pour nous aider à nous adapter aux impacts du changement climatique".

- L'Alliance des petits Etats insulaires (AOSIS): "Nous fonçons toujours vers l'abîme".

- Mohamed Adow, directeur du think tank Power Shift Africa: "Nous échouons actuellement à nous adapter au monde qui change. Ou plus précisément, les pays du Nord riches et pollueurs ont modifié la planète en brûlant des énergies fossiles et refusent à présent d'aider ceux qui en subissent les conséquences".

- Maarten van Aalst, directeur du Centre climatique de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge: "Pour la première fois, le GIEC évoque explicitement l'inquiétude soulevée par les impacts humanitaires du changement climatique (...) Les antennes nationales de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge à travers le monde constatent déjà ce que le rapport du GIEC confirme: nous sommes confrontés à des risques croissants de catastrophes. Mais le rapport montre aussi que nous pouvons agir".

- Stephen Cornelius, de WWF International: "Notre planète est en danger et est poussée à ses limites, parfois même au-delà, avec les personnes et les écosystèmes les plus vulnérables souffrant le plus (...) En agissant rapidement, nous pouvons limiter la fréquence [des impacts extrêmes] et leur sévérité et aider les écosystèmes et les personnes à s'adapter à certains impacts. La Nature peut être notre alliée et un pare-choc essentiel si nous choisissons de la restaurer et de la protéger".