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Le verdissement progressif des Alpes se voit depuis l'espace

Des images satellitaires de haute définition montrent que les Alpes suisses sont de plus en plus vertes et touffues en raison du changement climatique. [Université de Bâle - Sabine Rumpf]
Le réchauffement climatique pourrait bien modifier à jamais le paysage typique des Alpes / La Matinale / 3 min. / le 3 juin 2022
L'impact du réchauffement dans les Alpes est visible depuis l'espace, selon une étude des universités de Lausanne et de Bâle, publiée jeudi dans la revue Science. La productivité de la végétation au-dessus de la limite des arbres a augmenté sur près de 80% de la zone.

Le changement le plus marqué est un accroissement prononcé et généralisé de la végétation aux hautes altitudes des Alpes, conclut cette recherche menée par les équipes de Sabine Rumpf à l'Université de Bâle ainsi que d'Antoine Guisan et Grégoire Mariéthoz à l'Université de Lausanne.

En collaboration avec des groupes de recherche basés aux Pays-Bas et en Finlande, les scientifiques ont examiné les modifications de la couverture neigeuse et de la végétation en recourant à des données satellites de haute résolution, récoltées de 1984 à 2021.

Sur la période allant de 1984 à 2021, la biomasse végétale a augmenté au-dessus de la limite des arbres dans plus de 77% des Alpes. [UNIL/UNIBAS - Antoine Guisan]
Sur la période allant de 1984 à 2021, la biomasse végétale a augmenté au-dessus de la limite des arbres dans plus de 77% des Alpes. [UNIL/UNIBAS - Antoine Guisan]

Sur cette période, la biomasse végétale a augmenté au-dessus de la limite des arbres dans plus de 77% des Alpes. Ce phénomène de "verdissement" dû au changement climatique est déjà bien documenté dans l'Arctique et commence à être identifié aussi en montagne.

Hausse de la biomasse végétale

"L'échelle du changement s'avère absolument massive dans les Alpes", relève Sabine Rumpf, première autrice de l'étude, citée dans un communiqué des deux institutions. Les Alpes verdissent, car la végétation colonise de nouveaux territoires, devenant plus dense et plus haute. Le phénomène est le plus marqué aux alentours de 2300 mètres d'altitude.

Les études antérieures s'étaient surtout focalisées sur l'impact du réchauffement sur la biodiversité alpine et les modifications dans la distribution des espèces végétales. Jusqu'à maintenant, personne n'avait mené une analyse aussi complète de l'évolution de la productivité végétale dans les Alpes.

>> Lire : Comment la forêt suisse pourra s'adapter au changement climatique

L'équipe de recherche montre que l'augmentation de la biomasse végétale est d'abord imputable aux changements dans le régime des précipitations et à l'allongement de la saison de croissance des plantes, résultant de la hausse des températures.

"Les plantes alpines sont adaptées à des conditions difficiles, mais elles ne sont pas très compétitives", explique Sabine Rumpf. Comme les conditions environnementales changent, ces espèces très spécialisées perdent leur avantage et sont dépassées par la concurrence. "La biodiversité unique des Alpes subit dès lors une pression considérable", note la chercheuse.

Légère réduction du manteau neigeux

Contrastant avec la végétation, l'étendue de la couverture neigeuse au-dessus de la limite des arbres n'a que légèrement évolué depuis 1984. Les experts ont exclu de leur analyse les régions inférieures à 1700 mètres, les glaciers et les forêts: ils ont mis en évidence le fait que le manteau neigeux avait diminué significativement dans presque 10% des régions restantes.

Cela peut sembler modéré, mais selon les scientifiques, c'est inquiétant. "Les précédentes analyses de données satellites n'avaient pas identifié une telle tendance", commente Antoine Guisan. "Peut-être est-ce dû à une résolution insuffisante des images satellites ou au fait que les périodes considérées étaient trop courtes", suppose-t-il.

"Cela fait des années que les mesures locales au sol montrent une diminution de l'épaisseur de la couche de neige à basse altitude", complète Grégoire Mariéthoz. Conséquence de cette diminution, certaines régions sont désormais en grande partie privées de neige.

>> Une tendance au verdissement (lire la légende) : Représentation des endroits où la végétation a progressé sur les 40 dernières années, basée sur des images de la NASA. L'intensité du vert est proportionnelle au degré de progression de la végétation. Les (rares) endroits en brun correspondent à un déclin de la végétation. Les zones de glaciers sont transparentes car elles n'ont pas été considérées dans l'étude. [NASA - UNIL/UNIBAS]
Représentation des endroits où la végétation a progressé sur les 40 dernières années, basée sur des images de la NASA. L'intensité du vert est proportionnelle au degré de progression de la végétation. Les (rares) endroits en brun correspondent à un déclin de la végétation. Les zones de glaciers sont transparentes car elles n'ont pas été considérées dans l'étude. [NASA - UNIL/UNIBAS]

Conséquences sur le cycle de l'eau

Cette perte de manteau neigeux est observée surtout à des endroits où, il y a quarante ans, il restait toute l'année, vers 3000 mètres d'altitude. Cela a des conséquences sur tout le cycle de l'eau, a indiqué la Sabine Rumpf.

Certains écosystèmes se retrouvent sous pression. La chercheuse évoque aussi des implications sur l'approvisionnement des régions de montagne en eau potable.

Avec le réchauffement, les Alpes vont devenir de moins en moins blanches et de plus en plus vertes, entrant dans un cercle vicieux: "Des montagnes plus vertes, cela signifie une moindre réflexion de la lumière du soleil, ce qui va amplifier encore le réchauffement", conclut-elle.

>> Lire : Le réchauffement climatique est plus rapide en Suisse

sjaq avec ats

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