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Rude bataille dans les prairies entre les abeilles domestiques et sauvages

Rude compétition chez les abeilles
Rude compétition chez les abeilles / Mise au point / 11 min. / le 28 août 2022
L'abeille productrice de miel est le symbole de la biodiversité. Elle n'est pourtant qu'une abeille parmi des centaines d'autres, plus importantes qu'elle pour la pollinisation. Dans le monde des abeilles, la compétition est rude, d'autant plus que les ruches se multiplient.

Depuis quelques années, les ruches urbaines connaissent un véritable essor. Comme une dizaine d'autres sociétés, la Fédération des entreprises romandes à Genève a fait appel à Bees4you, une entreprise spécialisée dans l'installation clé en main de ruches sur les toits des entreprises.

Sauf qu'en installant des ruches un peu partout, le nombre d'abeilles mellifères augmente drastiquement, ce qui n'est pas sans conséquence. "Les gens adorent les abeilles. C'est super!", se réjouit Sophie Giriens, conservatrice des collections zoologiques au Musée d'histoire naturelle de Fribourg (MHNF), dimanche dans l'émission de la RTS Mise au point.

Mais de poursuivre: "C'est une fausse bonne idée d'installer trop de ruches au même endroit. A partir d'un certain nombre de ruches au mètre carré, il y a un impact très fort sur les abeilles sauvages."

S'il existe une douzaine d'espèces d'abeilles domestiques, les biologistes ont recensé 627 types d'abeilles sauvages. Elles ne fabriquent pas de miel mais sont essentielles à la pollinisation. "Il y a des fleurs et des plantes que l'abeille domestique ne peut pas féconder comme les tomates", indique Sophie Giriens.

Situation inquiétante

Aujourd'hui, 40% des abeilles sauvages sont en danger d'extinction. Elles ont souvent de la peine à accéder aux fleurs, car elles sont confrontées aux abeilles à miel, de plus en plus nombreuses, qui sont "très fortes et très corpulentes". "D'un coup, on voit trois 'bolides' - des abeilles domestiques - arriver sur une fleur", décrit la conservatrice du MHNF.

Et d'ajouter: "Si l'abeille sauvage est minuscule, elle ne va pas pouvoir voler assez loin et elle aura beaucoup moins de pollen pour sa progéniture. Et l'année prochaine, cette progéniture sera minuscule et ne pourra pas résister aux aléas de la vie."

L'abeille domestique est aussi "très importante", souligne-t-elle. Elle pollinise aussi nos paysages, mais elle est moins "efficace". "C'est en combinaison avec l'abeille sauvage qu'elle couvre toute la pollinisation."

Si l'abeille sauvage est minuscule, elle ne va pas pouvoir voler assez loin et elle aura beaucoup moins de pollen pour sa progéniture

Sophie Giriens, conservatrice des collections zoologiques au Musée d'histoire naturelle de Fribourg

Si les apicultrices et les apiculteurs de l'Arc lémanique possèdent en moyenne une dizaine de ruches, Stéphanie Vuadens bat tous les records. Elle exploite des terrains entre les cantons de Genève et de Vaud sur lesquels elle a installé près d'un millier de ruches, qui chacune héberge environ 40'000 abeilles domestiques. "Si vous voulez vivre de votre passion, il faut avoir la possibilité de le faire", dit Stéphanie Vuadens, fondatrice des Miels de Stéphanie.

Elle estime qu'il faut "professionnaliser" l'apiculture. Elle se dit consciente des enjeux liés à la disparition des abeilles sauvages, alors elle a créé une fondation pour leur sauvegarde. "Ma fondation a planté 2,5 hectares de fleurs en 2021. Je ne connais personne qui l'ait fait", annonce-t-elle. Une opération qu'elle va reproduire cette année.

>> Voir aussi le reportage de Couleurs locales sur les abeilles sauvages :

Série insectes: sauver les abeilles sauvages
Série insectes: sauver les abeilles sauvages / Couleurs d'été / 2 min. / le 5 juillet 2022

Risque de maladies plus importantes

La conservatrice du MHNF Sophie Giriens salue la démarche, mais doute de son efficacité. "C'est comme mettre plein de vaches et planter quelques arbres. Cela ne favorise pas la biodiversité. Il faudrait trouver le seuil parfait de ruches pour ne pas influencer la biodiversité à l'endroit où on les met."

Les ruches en surnombre et la proximité des colonies les unes avec les autres soulève également d'autres enjeux. "Les abeilles voyagent beaucoup. Elles butinent quatre à cinq kilomètres autour de leur emplacement. Si dans ce périmètre il y a des abeilles qui sont mal entretenues ou malades - pas forcément en raison d'une erreur humaine - le fait d'être les unes sur les autres augmente le risque que les maladies se propagent", explique Mélanie Baudet, vice-présidente de la Société d'apiculture de Nyon.

Cela me rend triste que les abeilles mellifères deviennent des commodités pour l'être humain et qu'on s'en serve pour faire du business

Mélanie Baudet, vice-présidente de la Société d'apiculture de Nyon

L'apicultrice possède une quarantaine de ruches, un nombre suffisant pour qu'elle puisse s'en occuper toute seule. Même si elle n'en vit pas, elle plaide aujourd'hui pour un meilleur encadrement de l'activité. "Cela me rend triste que les abeilles mellifères deviennent des commodités pour l'être humain et qu'on s'en serve pour faire du business, pour gagner de l'argent sur leur dos en faisant un super marketing, qui se transforme bien souvent en greenwashing."

Mélanie Baudet plaide pour la mise en place d'une législation avec des cours obligatoires pour détenir des abeilles, ainsi qu'une limitation du nombre de ruches ou l'établissement d'une certaine distance entre les ruchers.

Le bétonnage compulsif et l'usage de pesticides restent largement responsables de la disparition de la biodiversité. En général, les abeilles sauvages, comme tous les insectes, préfèrent le joyeux désordre à la symétrie bien taillée des jardins carrés, rappelle la conservatrice au MHNF Sophie Giriens.

Sujet TV: Carol Haefliger

Adaptation web: Valentin Jordil

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