Jean-Marc Jancovici: "Le solaire et l'éolien sont renouvelables, mais les dispositifs de capture ne le sont pas"
"La sobriété, c'est quelque chose que vous faites de manière souhaitée, délibérée, volontaire et planifiée. C'est quelque chose qui s'organise. Si au bout d'un moment, il n'y a plus de pétrole et de charbon, vous n'avez pas affaire à de la sobriété: vous avez affaire à de la pauvreté."
Véritable star francophone des débats autour de la transition énergétique, Jean-Marc Jancovici pose ainsi un regard critique sur les mesures d'urgence prises en Europe en marge du conflit avec la Russie, qui affecte de manière brutale l'approvisionnement en combustibles fossiles. Et il observe l'évolution des consciences avec un cynisme teinté d'ironie.
On peut ne pas être totalement rassurés quand on voit la hauteur de la haie à franchir et la détente que nous avons pour le moment.
"L'évolution des consciences, ça dépend du jour et de l'heure. Il y a des jours où je me dis que ça bouge plutôt dans le bon sens et d'autres où je me dis qu'on n'arrivera à rien autrement que sous la contrainte d'événements extérieurs", déplore-t-il.
"Sur les 20 dernières années en Europe, on est plutôt dans la deuxième catégorie. Les économies domestiques de charbon, de pétrole et de gaz que nous avons faites, on les a faites quand il n'y en avait plus assez à brûler plutôt qu'en devenant raisonnables", poursuit celui qui a été à l'origine, entre 2000 et 2003, du principe de bilan carbone. "Donc on peut ne pas être totalement rassurés quand on compare la hauteur de la haie à franchir avec la détente que nous avons pour le moment."
Toute production énergétique a un coût
Cofondateur du cabinet de conseil Carbone 4 et président du laboratoire d'idées "The Shift project", Jean-Marc Jancovici mise en priorité sur l'hydroélectricité - qui est déjà la première énergie renouvelable dans le monde - et le nucléaire pour accomplir une transition énergétique.
L'expert se montre en revanche plus sceptique au sujet du solaire et de l'éolien: "Les énergies sont renouvelables, mais les dispositifs de capture ne le sont pas", rappelle-t-il. Or, si on a été capables de produire ce genre de dispositifs, en grande quantité et pour pas cher, dans un monde qui a consommé toujours plus de carburants fossiles, il faut se demander s'il est possible de maintenir cette production et la maintenance des dispositifs existants, dans un monde sans ces énergies fossiles. "Il n'y a pas eu d'études sérieuses sur le sujet, donc chacun y va de son opinion, moi y compris", déplore le spécialiste.
La mondialisation, c'est le pétrole. Donc dans une économie qui se décarbone, on va se démondialiser.
Par ailleurs, les dispositifs comme les panneaux solaires sont tributaires d'une économie mondialisée. Ils nécessitent en particulier des métaux et des terres rares qui ne sont pas accessibles dans des pays comme la Suisse. "Mais la mondialisation, c'est le pétrole", rappelle Jean-Marc Jancovici. "Ce sont les navires de commerce, les camions et un peu les avions. Donc dans une économie qui se décarbone, on va se démondialiser." C'est donc dans ce cadre-là qu'il faut réfléchir à ce qui passe la rampe en termes de dispositifs énergétiques.
À 60 ans, l'ingénieur et conférencier se distingue également par sa posture sur l'énergie nucléaire. "On doit en avoir dans la panoplie, parce que si on s'en passe, on se complique la vie et on augmente les risques", dit-il, rappelant au passage que toute production d'énergie comporte ses contreparties. "Des activités sans risques et sans déchets, ça n'existe pas!"
La Suisse, privilégiée mais peu économe
À en croire la position de Jean-Marc Jancovici, la Suisse se trouve donc dans une situation privilégiée en matière d'énergie, car sa production indigène d'électricité est déjà constituée presque exclusivement d'hydroélectrique et de nucléaire.
Pour autant, elle ne fait pas spécialement bonne figure en matière de consommation. "Les quelques fois où je viens me promener en Suisse, je ne suis pas particulièrement impressionné par la taille modeste des voitures", ironise-t-il, tout en soulignant néanmoins les efforts consentis par le pays dans l'efficience des constructions en matière de chauffage.
Il rappelle par ailleurs que les sites qui peuvent être équipés en barrages ne sont pas infinis. "Une fois que vous avez capté l'eau de l'ensemble d'un bassin versant, on ne peut pas ajouter de barrage pour capter la même eau. Par exemple, on ne pourrait pas ajouter un barrage dans le Val d'Anniviers, parce que l'eau est déjà captée pour aller dans la Grande Dixence" de l'autre côté, dans le Val d'Hérens.
"Donc il y a déjà en Suisse les deux éléments essentiels d'une électricité décarbonnée. Mais ça ne sera pas suffisant. Même avec ces deux sources d'énergie, on ne fera pas autant que ce que l'on fait aujourd'hui. Donc la question de la sobriété est absolument centrale", rappelle-t-il.
Propos recueillis par David Berger
Texte web: Pierrik Jordan
Des glaciers déjà condamnés
Au coeur des préoccupations liées au changement climatique, les glaciers font partie de l'identité de la Suisse. Mais ce symbole pourrait bientôt appartenir au passé. Selon une étude de l'EPFZ, leur volume a déjà été réduit de moitié depuis le début des années 1930. Et selon Jean-Marc Jancovici, ils pourraient déjà être irrémédiablement condamnés.
"Une partie d'entre eux, malheureusement, ne peut plus être sauvée. C'est dans toutes les études: les glaciers des moyennes latitudes, soit des Alpes ou de la Cordillère des Andes, sont condamnés à terme."
Leur changement est déjà observable sur ces vingt dernières années, note Jean-Marc Jancovici en s'appuyant sur son expérience personnelle. "Cet été, il y a eu un moment où l'isotherme zéro était au-dessus de 5000 mètres", rappelle-t-il.
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Conséquence directe de cette évolution, le débit des rivières va, pendant un temps, augmenter durant l'été avec la fonte des glaces. "Donc pour l'hydroélectricité suisse, c'est plutôt une bonne affaire. Et puis arrivera un moment où ça va être l'exact inverse", prévient-il.
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