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Le réchauffement climatique menace le chant de la Forêt du Risoux

Dans la forêt du Risoux, le réchauffement climatique menace le chant des arbres.
Dans la forêt du Risoux, le réchauffement climatique menace le chant des arbres / L'actu en vidéo / 1 min. / le 30 novembre 2022
La Forêt du Risoux et ses épicéas – réputés mondialement pour la qualité de leur bois de lutherie – est en danger. La sécheresse de cet été a attiré le bostryche typographe, un ravageur pour le bois. Moins d'arbres sains signifie moins de grume de laquelle sortira une sonorité exceptionnelle pour un violon ou une guitare.

Caressant un jeune épicéa moins haut qu'un doigt, François Villard, garde forestier dans le massif du Jura, craint que l'arbre en devenir ne puisse résister au réchauffement climatique.

La forêt du Risoux, vaste forêt d'épicéas à environ 1200 mètres d'altitude, qui s'étend en Suisse et en France, abrite quelques arbres plusieurs fois centenaires d'une rare perfection, aux qualités recherchées par les luthiers du monde entier.

Mais la sécheresse les menace: "Je n'ai jamais vu autant d'arbres secs", assure François Villard, proche de la retraite. Il se désole de voir autant d'épicéas rougir, perdre leurs aiguilles et sécher, et de passer ses journées à les marteler pour l'abattage.

Le garde forestier François Villard commente la rectitude d'un épicéa au milieu de la forêt du Risoux. Le Chenit, le 19 octobre 2022. [AFP - Valentin Flauraud]
Le garde forestier François Villard commente la rectitude d'un épicéa au milieu de la forêt du Risoux. Le Chenit, le 19 octobre 2022. [AFP - Valentin Flauraud]

"Quand je suis arrivé ici à la vallée de Joux il y a trente ans, il y avait une température moyenne annuelle de 5 à 6 degrés. Maintenant on est largement au-dessus. J'ai connu des hivers à -27 degrés la journée, et cela fait trois à quatre hivers que le plus froid varie de -13 à -17 degrés", se souvient-il.

Guitare, violons, violoncelles... de nombreux instruments sont fabriqués avec le bois de résonance d'épicéa, l'arbre le plus répandu en Suisse. La table d'harmonie doit pouvoir vibrer facilement tout en résistant à la pression du chevalet, des caractéristiques que l'épicéa possède plus que d'autres essences.

Des épicéas très recherchés

Le bois doit toutefois obéir à plusieurs critères et rares sont les épicéas qui y répondent. Un sur mille ou sur dix mille disent certains, et un sur cent localement, dans les meilleurs peuplements.

Le bas du tronc doit en tout cas avoir un diamètre d'au moins 50 centimètres, être âgé de 200 à 400 ans, ne pas avoir de coulée de résine ni de nœud, avoir poussé bien droit, lentement et très régulièrement afin que les cernes de croissance soient serrés et surtout réguliers. Ce que la rigueur du climat jurassien rendait possible.

Dans l'atelier de Swiss Resonance Wood, au village du Brassus, un employé esquisse le contour d'une guitare sur une fine planche de bois. Des milliers d'autres sont empilées, séchant pendant des années.

"Il y a à peu près 2000 pièces de tables de guitare, entre guitare classique, romantique, folk", explique le patron de la société, Théo Magnin. Sur une mezzanine, des centaines de longs morceaux de bois en forme de prisme triangulaire sont entreposés, grâce auxquels luthières et luthiers pourront créer des violons et violoncelles.

Europe, Mexique, Japon... la société vend dans le monde entier. Théo Magnin, qui baigne dans le commerce du bois depuis son enfance, s'inquiète: "Je ne sais pas où les gens qui fabriquent les instruments de musique vont se ravitailler d'ici dix à vingt ans. Si l'on ne trouve plus de bois, il n'y aura plus d'instrument".

Sécheresse et bostryches typographes

La sécheresse affaiblit les épicéas, ce qui attire les bostryches typographes, un coléoptère ravageur de forêts. Et les conditions météorologiques extrêmes ont un impact sur la croissance des épicéas, en altérant la régularité des cernes: "Si cela continue comme ça, le stress qui va être posé sur ces arbres va être de plus en plus fort et ce n'est pas dit qu'ils s'en sortent", s'inquiète François Villard. Il souligne le "besoin de survie" des épicéas qui se traduit par une multiplication des périodes de fructification notamment sur les jeunes arbres: "Ils fructifient pour pouvoir se reproduire et ainsi continuer à exister".

Le luthier Philippe Ramel ponce la table d'harmonie d'une guitare, réalisée principalement en bois de la forêt du Risoux. Chardonne, le 16 novembre 2022. [AFP - Valentin Flauraud]
Le luthier Philippe Ramel ponce la table d'harmonie d'une guitare, réalisée principalement en bois de la forêt du Risoux. Chardonne, le 16 novembre 2022. [AFP - Valentin Flauraud]

Face aux craintes de raréfaction des épicéas, Philippe Ramel, luthier près du lac Léman, qui fabrique entre deux et quatre guitares par an grâce au bois de Swiss Resonance Wood, appelle à ne pas utiliser le bois de façon disproportionnée: "Il y a des usines qui produisent mille guitares par mois. Est-ce que ça a du sens?" Il explique aussi que des essais sont en train d'être faits avec du cèdre du Liban.

L'importance des sols humides

Théo Magnin inspecte sa coupe sur une grume d'épicéa d'une qualité qu'il juge idéale pour les propriétés acoustiques des instruments à cordes, près de la forêt du Risoux à Longchaumois, le 19 octobre 2022. [AFP - Valentin Flauraud]
Théo Magnin inspecte sa coupe sur une grume d'épicéa d'une qualité qu'il juge idéale pour les propriétés acoustiques des instruments à cordes, près de la forêt du Risoux à Longchaumois, le 19 octobre 2022. [AFP - Valentin Flauraud]

Tout n'est pas que mauvaise nouvelle. Le maintien de plus de feuillus à certains endroits dans le peuplement, en particulier des hêtres, aide à maintenir une certaine humidité des sols.

D'autres soulignent que le volume de bois sur pied en forêt est élevé.

"Dans les stations qui sont abritées des extrêmes climatiques, plutôt au Nord, il y aura des épicéas vraiment pendant très longtemps. Aujourd'hui déjà vous avez en montagne des millions d'épicéas qui sont là et qui, avec l'altitude, peuvent profiter d'une légère augmentation des températures si les précipitations ne diminuent pas trop", assure Philippe Domont, ingénieur forestier.

Théo Magnin voit beaucoup plus loin et pense qu'il faudra trouver un autre bois, mais "ça, c'est la musique d'avenir".

>> Lire aussi : Comment la forêt suisse pourra s'adapter au changement climatique

afp/sjaq

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