La vulnérabilité des bâtiments face aux séismes, conséquence d'un "oubli de l'histoire", estime un spécialiste
Dans un contexte de post-séisme qui a touché la Turquie et la Syrie lundi, le monde s'inquiète de futures catastrophes naturelles et souhaite faire mieux. Comment pourra-t-on mieux protéger les populations la prochaine fois? Une partie de la réponse réside dans la capacité des bâtiments à résister aux secousses. Tout Un Monde a tendu son micro à Patrick Coulombel, architecte et cofondateur de l'ONG "architectes de l'urgence" qui contribue à la reconstruction des zones sinistrées.
>> Le suivi de la situation en Turquie et en Syrie : Le bilan est désormais de 11'200 morts et les recherches continuent dans les décombres
Un type de construction complexe
"La résistance d'un bâtiment au sismique est proportionnelle à la manière dont il a été conçu et construit", explique l'expert. Dans le détail, "la forme du bâtiment, la manière dont ont été construites ses fondations, sa structure intrinsèque et tout ce qui a trait à sa superstructure" entrent en ligne de compte.
La construction parasismique nécessite donc des outils informatiques de pointe. Patrick Coulombel cite notamment les "modélisations" qui visent à anticiper la réaction d'un bâtiment à un cataclysme. Bien que "relativement approximatifs", ces calculs apportent une indication importante par rapport à la stabilité de l'ouvrage".
Pas de construction sans règles
La réglementation parasismique diffère selon le lieu et le contexte. Ainsi, les normes auxquelles sont contraints les bâtiments "ne sont pas les mêmes aux Antilles qu'en Europe du Nord". La première région est identifiée comme subissant de "fréquentes accélérations sismiques" tandis qu'il n'y a "quasiment aucune activité sismique" dans la seconde. Malgré tout, l'Union européenne a récemment fait évoluer ses directives. Depuis mai 2011, tous les permis de construction déposés sont soumis à des normes plus strictes (Eurocode 8).
Mais "un bâtiment construit il y a 15 ans ne prend évidemment pas en compte les règles parasismiques actuelles", souligne l'expert. "À l'époque, on ne savait pas, et on n'avait pas les mêmes moyens de faire du dimensionnement qu'aujourd'hui".
Pour l'architecte spécialiste des constructions parasismiques, ce n'est donc pas un éventuel irrespect de ces normes qui explique qu'autant de bâtiments se soient effondrés en Turquie, mais plutôt un manque de connaissances et de compétences techniques à l'époque de leur construction. Il prône donc une "nécessaire modération des propos sur la réglementation". En effet, il est extrêmement onéreux d'investir dans un renforcement parasismique une fois un bâtiment construit, ce qui explique que "des choix s'opèrent forcément".
Prendre en compte l'histoire, une solution pour se préparer
S'il est tentant de penser qu'avoir l'habitude de faire face à des difficultés permet d'être plus alerte et de mieux appréhender le futur, Patrick Coulombel n'est pas de cet avis. "Oui, les Turcs ont l'habitude des séismes, mais ce n'est pas parce que vous avez l'habitude d'un problème que vous pensez que ça va vous arriver le lendemain matin", déclare-t-il.
La faille qui a bougé lors du dernier tremblement de terre, celle d'Anatolie de l'Est, était identifiée, mais ce n'est pas celle-là qui inquiétait en priorité les spécilalistes. Un scénario de rupture était envisagé depuis plusieurs années le long de la faille nord-anatolienne en mer de Marmara. Cette dernière est "très proche d'Istanbul et on peut donc s'attendre à des dégâts extrêmement importants".
Quant à la faille d'Anatolie de l'Est, elle n'avait pas bougé de manière extrêmement importante depuis 1880 environ, note le spécialiste. "Les gens oublient l'histoire!" Lorsqu'une génération a connu un séisme, les choses changent évidemment pour celle d'après, poursuit-il. Mais les générations suivantes occulteront certainement certains souvenirs, et donc certaines précautions.
La solution pour mieux protéger les populations à l'avenir serait donc de se rappeler les catastrophes passées pour mieux se préparer, selon l'architecte spécialisé. Au Japon, par exemple, "ils ont tellement l'habitude qu'ils ont dû s'adapter". Les bâtiments non parasismiques finissent presque toujours par s'effondrer. C'est pourquoi "tous les nouveaux bâtiments sont renforcés à la fois avec de l'acier et du béton". Cela les rend extrêmement solides, même face à un tremblement de terre à plus de sept sur l'échelle de Richter, et il y a rarement des victimes. "En 2011, le gros tremblement de terre de Sendai n'en a quasiment laissé aucune. C'est essentiellement le tsunami qui a tué les gens."
Propos recueillis par Blandine Levite
Texte web: Julie Marty