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Une sécheresse au parfum d'inquiétude dans les champs de jasmin de Côte d'Azur

En Côte d'Azur, une sécheresse au parfum d'inquiétude flotte dans les champs de fleurs utilisées en parfumerie. [AFP - CAMILLE MOIRENC]
Les parfumeurs à Grasse en France confrontés à la sécheresse / Tout un monde / 6 min. / le 11 avril 2023
Non loin de Cannes, en Pays de Grasse, les producteurs de fleurs pour les parfums regardent le ciel avec inquiétude, car il n'a apporté que quelques averses cet hiver. A l'heure du changement climatique, ils cherchent des solutions pour continuer à travailler avec les grands noms de la parfumerie.

Planteur de jasmin, Maurin Pisani est représentatif de la nouvelle génération installée dans ces collines de la Côte d’Azur. La culture des fleurs à parfum, mise à mal par les produits de synthèse et les importations, y avait presque disparu. Mais elle est revenue grâce à l’acharnement de quelques producteurs réunis au sein de l’association Fleurs d’exception.

Ces jeunes font face à une contrainte que ne connaissaient pas leurs aînés: le changement climatique. Trois ou quatre pluies sont tombées cet hiver. Maurin Pisani en voit déjà les conséquences dans son champ: "Cela fait un peu mal au cœur de voir la terre si sèche en cette période de l'année", se désole-t-il dans l'émission Tout Un Monde.

Arrosage nécessaire

L'arrosage débute au moment de la taille, en particulier les années de sécheresse. La plante d’origine tropicale demandera plus d’eau pendant la floraison, qui s’étale sur cinq mois, de début juillet jusqu’aux premiers gels.

"La plante survivrait avec assez peu d'eau", note Maurin Pisani. Mais, poursuit-il, le problème se situe au moment de la floraison, car elle déterminera le poids et la qualité des fleurs. "Il faut les arroser de manière assez conséquente, environ 3000 mètres cubes par an et par hectare", précise l'horticulteur. "Néanmoins, cela n'empêche pas que nous faisons tout ce que nous pouvons pour limiter au maximum cet arrosage. Nous arrosons au goutte-à-goutte, non en pleine journée, mais le soir en plein été", ajoute-t-il.

Quid des températures? "Le problème, ce sont les températures hautes plus longtemps, sur trois mois.  Si vous avez une nuit de vent en été quand il fait chaud, le matin les fleurs pèsent la moitié, voire le tiers de leur poids normal. Quand la fleur commence à sécher, elle ne perd pas que de l'eau, mais aussi de la matière odorante. L’année dernière, pour la première fois durant quasiment un mois, les fleurs étaient systématiquement plus légères", explique Maurin Pisani.

Un équilibre à atteindre

L’usine Robertet, à Grasse, reçoit tout au long de l'année des cargaisons de fleurs et de racines. La fabrique, qui est l'un des leaders mondiaux de l’extraction de fragrances végétales et d’arômes, doit aussi s’adapter au changement climatique.

"S’il pleut beaucoup, on va forcément acheter un taux d’humidité, on achète en partie de l’eau", déclare Steve Pellegrin, le responsable de la production de l'usine. Mais des fleurs plus sèches ne sont pas synonymes de gain, précise-t-il. "Les tonnages moins importants ne nous arrangent pas non plus. S’il a fait très sec et très chaud, la fleur va être toute pâle, moins volumineuse. Les rendements s’en ressentent. Avec les plantes à parfum, l’objectif numéro un est d’avoir un produit d’exception. Le problème, ce n'est pas une année exceptionnelle, mais quand les années de sécheresse se suivent", développe-t-il.

Des pistes pour s'en sortir

Tous les producteurs cherchent aujourd'hui des solutions. L’une d’elles passera peut-être par la création de nouvelles variétés plus résistantes.

L’association des planteurs Fleurs d’exception a créé ce qu’elle appelle un "fab-lab" sur deux hectares. Le lieu est destiné à la production de plants et à la recherche.

"Dans la serre, nous avons des boutures de jasmin officinal, qui vont servir de porte-greffe pour le jasmin grandiflorum", décrit la technicienne agricole Francine Caula Signoret. "Nous utilisons des porte-greffes présents dans la région depuis longtemps et adaptés au territoire." Elle évoque également l'éventualité d'utiliser d’autres variétés qui s'avéreraient moins demandeuses en eau tout en étant adaptées à la greffe.

"Nous discutons entre nous de paillages. On regarde ce que fait chacun. Certains gardent les pieds buttés, d'autres les gardent enherbés. Il y a vraiment un échange autour de cela, c’est un sujet préoccupant", développe-t-elle.

Lutte pour la survie

Les producteurs de fleurs vont lutter pour maintenir leur culture, car c’est leur unique source de revenu, mais aussi parce que les plus grands noms de la parfumerie ont investi en Pays de Grasse ces dernières années. Maurin Pisani, par exemple, vend sa récolte à la maison Dior.

Prochaine étape: début juillet, quand les premières fleurs blanches et odorantes de jasmin feront leur apparition. Elles seront cueillies dès l’aube. D’ici là, on espère que le ciel sera plus clément.

Reportage radio: Frédéric Faux
Adaptation web: ami

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