Une évacuation hors normes: "On ne sait pas si dans quinze jours Brienz sera encore là"
Brienz est devenu célèbre bien malgré lui. La montagne a condamné ses habitants et habitantes à faire leurs valises. Après des mois d'incertitude, l'évacuation de ce village de 85 âmes a été décrétée le 9 mai en urgence et ils ont dû quitter les lieux vendredi dernier. Il s'agit de la plus importante opération de ce type dans l'histoire suisse. De quoi faire accourir les médias internationaux, notamment allemands et autrichiens.
"Nous ne prenons pas cette décision à la légère. Au contraire. Mais à l'heure actuelle, les mesures nous indiquent simplement que cette décision doit être prise", a justifié d'un ton grave Daniel Albertin, le président de la commune, devant la population.
L'évacuation du village était "inéluctable", a insisté le président, laissant la population sous le choc. Celle-ci n'a eu que très peu de temps pour préparer son départ et la durée de son exil est indéterminée. Les autorités se veulent toutefois rassurantes. Elles mettent à disposition des hébergements provisoires pour loger aussi bien les habitants que le bétail.
De nombreuses personnes vivant hors de la zone de danger se sont également montrées solidaires. Le canton des Grisons alloue de son côté une aide de 500'000 francs.
Un retour incertain
Ces aides ne suffisent pas à réconforter Anna Bergamin, ancienne habitante de Brienz. "Je suis très triste. On ne sait pas si dans quinze jours Brienz sera encore là, ou s'il n'en restera que la moitié. On espère maintenant que les cailloux vont descendre lentement", a-t-elle lâché le coeur lourd dimanche dans l'émission Mise au point. "Brienz reste mon chez-moi."
Lina Deluermoz, une autre habitante, avait pris les devants et avait quitté Brienz quelques temps avant que l'évacuation ne soit prononcée. "Je suis un peu triste, mais je suis quand même contente de savoir que mes affaires sont à l'abri. J'espère pouvoir revenir, mais en voyant l'état de la montagne, je ne pense pas que ce sera possible."
Avec les pompiers, nous sommes allés de maison en maison, nous avons sonné à chaque porte pour vérifier qu'il ne restait personne
Une fois la porte de sa maison fermée pour de bon, Lina Deluermoz a tout de même laissé sa caméra de surveillance allumée. "Les autorités m'ont dit qu'il y aurait peut-être des voleurs. Ils savent que les appartements sont vides, que les gens ne viennent plus. On m'a dit de garder la caméra jusqu'à ce que je n'aie plus d'électricité."
La dernière personne à quitter le village a été son président Daniel Albertin. "Avec les pompiers, nous sommes allés de maison en maison, nous avons sonné à chaque porte pour vérifier qu'il ne restait personne."
"Un cas vraiment exceptionnel"
A Sion, le Service des dangers naturels garde l'oeil sur les éventuelles menaces. Raphaël Mayoraz, le chef du service, monitore entre 200 et 300 lieux dans le canton et se montre rassurant. "Brienz est un cas vraiment exceptionnel. Pas forcément au niveau du danger, donc de l'instabilité, mais au niveau du risque, car il y a vraiment des infrastructures importantes qui sont exposées", souligne-t-il dans La Matinale de la RTS mardi.
Le géologue cantonal valaisan utilise une image pour décrire la situation: "Brienz, c'est un éléphant et, partout ailleurs dans les Alpes, on a énormément de petites fourmis. On a quelques centaines d'endroits que l’on surveille, mais cela peut être pour des blocs de la taille d'une pièce qui menacent une route, donc ça n'a rien à voir avec l'ampleur de Brienz."
"Il faut rester modeste face à la nature"
Raphaël Mayoraz rappelle que l'humain est petit face à la nature. "Elle nous surprend tout le temps. Il faut rester très modeste, on est loin de tout maîtriser. La population a un peu tendance, et surtout depuis cette dernière décennie, à penser que les autorités, les communes, les cantons assurent la sécurité partout, qu'on peut tout contrôler avec des satellites, alors que ce n'est pas du tout le cas. Actuellement, je pense qu'il y a un problème de responsabilité individuelle: les gens pensent qu'ils sont en sécurité partout."
Le géologue dénonce également les risques inconsidérés que prennent certains vidéastes en herbe: "Il y a un effet YouTube, qui pousse les gens à vouloir filmer une avalanche, une chute de pierres ou une lave torrentielle. On a passablement de problèmes avec ce type de comportements." Raphaël Mayoraz conclut: "On doit avoir plus de respect par rapport à la montagne et à la nature en général."
Reportage TV: Julien Guillaume, Béatrice Guelpa et Catherine Sommer
Interview radio: David Berger
Texte web: Antoine Schaub
Comment se prend la décision d'une évacuation?
L'évacuation d'habitations pour la menace d'un éboulement demeure relativement rare. Plusieurs critères sont pris en compte, explique Raphaël Mayoraz, géologue cantonal valaisan. "D'abord, on regarde la qualité des maisons menacées, car elles peuvent dans certains cas absorber l'énergie des blocs qui vont contre elles."
"Ensuite, on regarde la probabilité que les blocs arrivent jusqu'aux maisons. Finalement, on va voir s'il y a d'autres moyens que l'évacuation. Est-ce qu'on peut construire des filets de protection? Est-ce qu'on peut faire des digues de protection?"
Raphaël Mayoraz explique qu’il y a aussi parfois la possibilité d’assainir le terrain: "Si ce sont des blocs isolés, on peut les assainir en les minant, en les clouant sur place ou en les enterrant. Et si tout cela ne suffit pas, alors seulement on évacue. En Valais, ça n'arrive que chaque trois-quatre ans qu'il faille procéder à une évacuation. Ce n'est pas si fréquent."