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L'urgence climatique oblige les acteurs à adapter leur coopération dans la gestion de l'eau

Vue de la vallée du Douro au Portugal. [Creative Commons - Valenite]
Partage de l’eau: interview de Christian Bréthaut / Tout un monde / 7 min. / le 5 juin 2023
Les sécheresses graves qui touchent certaines parties de l’Europe comme en Espagne et au Portugal créent des tensions sur le partage des eaux. Des traités ont pourtant été signés pour trouver des solutions. Encore faut-il qu'ils soient respectés, relève lundi dans Tout Un Monde le spécialiste Christian Bréthaut.

Des centaines d'accords internationaux et de conventions existent pour encadrer la gestion des eaux partagées entre plusieurs Etats, à l'image de la convention de New York signée en 1997 et celle d'Helsinki, en 1992. Mais ces traités ne suffisent pas toujours à limiter les tensions entre les pays concernés, notamment quand la géopolitique s'invite dans le débat.

Christian Bréthaut, professeur assistant en gouvernance de l'eau à l'Institut des Sciences de l'Environnement de l'Université de Genève, souligne le manque de respect de ces traités dans le cadre de l'urgence climatique actuelle. "Un accord est toujours le bienvenu pour éviter les conflits mais ce n'est pas une solution magique qui permet d'éviter tout problème. On observe que les conditions climatiques extrêmes mettent sous tension les accords signés dans le passé. Elles soulèvent aussi le problème de l'adaptation des cadres de coopération entre Etats pour la gestion de l'eau."

Bien qu'elle soit un bien commun, dans la réalité l'eau reste trop souvent une source de rivalité et d'accaparement.

Christian Bréthaut, professeur assistant en gouvernance de l'eau à l'Institut des Sciences de l'Environnement de l'Université de Genève

Il ajoute que "les tensions se cristallisent autour de l'usage de l'eau à l'échelle régionale" (voir encadré plus bas). Le mieux pour résoudre les tensions est donc de ne pas attendre mais plutôt "d'anticiper les éventuels défis en investissant dans des diagnostics et en identifiant les possibles sources ou voies de collaboration entre les différents Etats".

Source de tensions

Bien qu'elle soit un bien commun, l'eau est également un objet qui a structuré les frontières politiques et illustré des rapports de force entre l'amont et l'aval, regrette l'invité de Tout Un Monde. "Si cette notion de bien commun devrait être une grille de lecture naturelle, on voit bien dans la réalité à quel point l'eau reste trop souvent une source de rivalité et d'accaparement."

C'est l'une des causes de la dispute autour de la construction du méga-barrage de la Renaissance dans les eaux du Nil. Fin mars, l’Ethiopie annonçait l’achèvement à 90% de son barrage et le démarrage de la quatrième et dernière phase de remplissage, laissant impuissants l'Egypte et le Soudan, situés en aval du cours d'eau. L'Egypte redoute des dégâts incommensurables sur sa stabilité sociale et économique.

>> Pour tout savoir sur les tensions liées à ce barrage, lire : Le plus haut barrage d'Afrique, à l'impact controversé, inauguré en Ethiopie

Pour Christian Bréthaut, cette situation démontre que l'eau ne pose pas seulement des problèmes de ressource mais aussi de géopolitique. "Cet exemple illustre à la fois les enjeux techniques de la gestion de la ressource et la manière dont l'eau peut entrer dans des rapports de force et se voir instrumentaliser pour la production de discours politiques, voire nationalistes."

D'après lui, la construction du barrage a "rebattu les cartes" de l'usage de l'eau dans le bassin et a "renversé les situations de forces établies depuis des décennies". "Aujourd'hui le barrage est construit et les tensions demeurent vives, notamment avec de nombreuses négociations qui portent sur les modalités de gestion - comment gérer l'eau en période de grande sécheresse - et aussi comment définir un cadre de coopération qui soit contraignant ou pas entre les acteurs."

>> Pour aller plus loin, lire : Ces guerres de l'eau qui nous menacent

Vecteur de coopération

Mais l’eau ne crée pas toujours des tensions. Elle est aussi souvent un vecteur de coopération et de paix, rassure le spécialiste. "Depuis les années 1950, on note uniquement une quarantaine d'incidents et de conflits marqués à l'échelle transfrontalière pour l'usage de l'eau. Environ 334 accords internationaux sur l'eau ont été négociés et signés sur cette période, participant à des dynamiques de paix et de stabilité aux échelles régionales."

La signature d'accords internationaux autour de l'eau permet de créer une langue commune et de maximiser les bénéfices communs.

Christian Bréthaut, professeur assistant en gouvernance de l'eau à l'institut des Sciences de l'Environnement de l'Université de Genève

Au-delà des accords, les fleuves peuvent être encadrés par des commissions internationales. "Ces organisations interviennent pour des missions de la gestion de l'eau et aussi pour des missions liées à l'énergie, à l'irrigation, à la protection de l'environnement et la navigation", détaille celui qui dirige la chaire Unesco en hydropolitique. "Elles sont donc vraiment là pour participer à la création d'une langue commune entre les parties prenantes et les différentes cultures et à la création d'une communauté dans laquelle l'eau est plus qu'une simple ressource."

Selon le professeur assistant, "la coopération autour de la gestion de l'eau peut permettre de maximiser des bénéfices communs et de les répartir entre différentes parties prenantes. On peut par exemple imaginer une collaboration entre l'amont qui permet la production d'électricité et l'aval qui permet la production agricole avec des échanges entre les Etats."

Sujet radio: Eric Guevara-Frey

Adaptation web: Julie Marty

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L'exception du Rhône

Certains fleuves qui coulent entre plusieurs pays ne sont pas encadrés par des accords transfrontaliers. C'est le cas du Rhône qui fait l'objet de négociations depuis plusieurs années, rappelle Christian Bréthaut, qui estime le dispositif nécessaire.

"C'est un cas atypique à l'échelle européenne. Ça a très bien fonctionné jusqu'à présent, reposant en grande partie sur les épaules des producteurs d'énergie. Toutefois, dans un contexte de changement climatique qui aura des impacts profonds sur la nature même du fleuve (sa quantité, son débit…), un accord a certainement l'avantage de formaliser l'existence d'une plateforme de collaboration et permet de créer une arène pour débattre des enjeux du fleuve en intégrant les parties concernées au-delà d'une perspective uniquement opérationnelle ou productive", préconise le spécialiste.

La sécheresse pousse l'Espagne à enfreindre un accord avec le Portugal

La rareté de l'eau, conséquence des périodes de sécheresses, est source de tensions depuis l'automne 2022 entre l'Espagne et le Portugal qui partagent le fleuve Douro. L'eau s'écoule de la région de Salamanque (nord-ouest de l'Espagne) à l'océan Atlantique en passant notamment par la région de Porto (nord-ouest du Portugal).

Puissance agricole, l'Espagne estime en avoir plus besoin que le Portugal. Elle a donc décidé de brider le débit du fleuve qui coule vers le Portugal. Elle enfreint ainsi la convention d'Albufera qu'elle a signée en 1998 et qui l'oblige à garantir à son voisin un débit minimum. Côté portugais, agriculteurs, autorités et ONG s’en sont inquiétés car le pays dépend de cette eau. Cinq grands fleuves portugais prennent leur source de l'autre côté de la frontière.

Prolifération d'algues

La raréfaction de l'eau provoque aussi une prolifération d'algues dans le Tage (fleuve qui se jette dans l'océan Atlantique à Lisbonne). Elles se développent lorsque le débit est irrégulier car l'eau stagne. Experts portugais et ONG demandent donc à l'Espagne de relâcher tous les jours à tout moment un débit d'eau identique, même faible, pour préserver les fleuves.

>> Ecouter l'intégralité du reportage de Radio France diffusé dans Tout Un Monde lundi :

Des enfants jouant dans une fontaine à eau, au nord de l'Espagne à Pampelune. [Keystone/AP Photo - Alvaro Barrientos]Keystone/AP Photo - Alvaro Barrientos
Partage de l’eau: tensions entre l’Espagne et le Portugal / Tout un monde / 5 min. / le 5 juin 2023