Heïdi Sevestre: "L'avenir de la moitié des glaciers est véritablement entre nos mains"
L'Europe se réchauffe deux fois plus vite que le reste du monde. Les glaciers n'y ont jamais autant fondu depuis le début des mesures qu'en 2022 (plus de 5 km3 de glace en un an dans les Alpes), indiquait en début de semaine une étude de l'ONU et du programme européen Copernicus.
Par ailleurs, on apprenait mardi que les glaces de l'Himalaya pourraient disparaître en grande partie d'ici la fin du siècle. Le constat est alarmant et la fonte des glaces dépasse largement les prédictions des spécialistes.
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Des modèles rapidement obsolètes
La glaciologue Heïdi Sevestre travaille pour le programme de surveillance et d'évaluation de l'Arctique du Conseil de l'Arctique et enseigne à l'Université du Svalbard, tout au nord de l'Europe. Pour la spécialiste, partout dans le monde, les glaces sont les meilleurs baromètres climatiques: "Que ce soit nos glaciers de montagne ou la banquise tout au nord dans l'Arctique, ces glaces réagissent très vite aux changements du climat. La science progresse et essaie de progresser à la vitesse des changements. Mais on se rend compte maintenant que l'on a peut-être été un peu conservateur et que, finalement, les choses se produisent encore plus vite que nos modèles le montraient", explique-t-elle dans l'émission Tout un monde.
Les choses se produisent encore plus vite que nos modèles le montraient
Si nos modèles et nos prédictions sont rapidement obsolètes, la science progresse rapidement elle aussi, rappelle Heïdi Sevestre: "On a cette chance de constamment améliorer nos techniques, nos technologies. Améliorer aussi la quantité des données que l'on arrive à récolter, que ce soit dans les confins de la planète ou dans les hautes montagnes. Tout cela nous permet d'améliorer nos connaissances."
Mais pour la glaciologue, le problème vient surtout du fait que l'on sous-estime la rapidité du changement climatique: "On continue à émettre énormément de gaz à effet de serre et on se rend compte que ces glaces réagissent encore plus vite qu'on ne le pensait", souligne-t-elle.
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Des glaces nécessaires
Pourtant, l'humanité a besoin des glaciers. En Suisse, les glaciers de montagne font les meilleurs "châteaux d'eau". "C'est assez formidable que, chaque été, on s'attende à recevoir gratuitement de l'eau de nos glaciers de montagne", glisse Heïdi Sevestre. Plus que jamais, alors que l'Europe traverse une sécheresse importante, on se rend compte à quel point la neige au printemps et l'eau des glaciers en été sont nécessaires. Nos glaciers de montagne servent notamment à irriguer nos cultures, à maintenir le débit des fleuves, mais aussi, en France, à refroidir des centrales nucléaires. "Sur Terre, c'est un peu plus de deux milliards de personnes qui ont besoin de l'eau de ces glaciers de montagne", ajoute la glaciologue.
C'est assez formidable que chaque été, on s'attende à recevoir gratuitement de l'eau de nos glaciers de montagne
La Suisse dépend des glaciers pour son hydro-électricité. Quant aux autres glaciers, ils sont tout aussi essentiels à l'humanité: la banquise au nord, dans l'Arctique, permet de stabiliser le climat. Les calottes polaires, le Groenland et l'Antarctique, ont une grande influence sur l'élévation du niveau des mers. "Même si on ne pense pas au quotidien à ces glaciers, on en est extrêmement dépendant", indique Heïdi Sevestre.
Le recul des glaciers a déjà un impact sur notre quotidien. Pour la glaciologue, si aujourd'hui on reçoit encore énormément d'eau des glaciers de montagne, la tendance pourrait bien changer d'ici dix à quinze ans.
Certaines conséquences sont déjà visibles: l'été dernier, l'effondrement d'un glacier dans les Dolomites, en Italie, à cause d'une poche d'eau formée dans le glacier suite à des records de températures a fait onze victimes. Par ailleurs, des lacs de fontes se forment désormais à côté de certains glaciers. C'est le cas par exemple à Chamonix, en France, ce qui pourrait mettre en danger des villages entiers au moment où ces lacs menaceraient de se vidanger.
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Un peu d'espoir
Malgré ces constats inquiétants, la glaciologue reste optimiste. "Il y a de l'espoir et c'est vraiment très important de le dire. Mais on dit cela si, et seulement si, dès cette semaine, dès le mois prochain, on met des choses en place", souligne Heïdi Sevestre, qui salue les initiatives comme la loi climat votée dimanche dernier par le peuple suisse.
Pour la spécialiste, il est encore possible de sauver une grande partie de ces glaciers. Une étude scientifique parue à la fin de l'année 2022 indique que l'on va perdre environ la moitié des 200'000 à 220'000 glaciers existants sur Terre d'ici la fin du siècle. "Ce sont principalement des glaciers de basse altitude, les petits glaciers qui réagissent très vite aux changements climatiques. Mais cela signifie que le destin, l'avenir de l'autre moitié des glaciers sur Terre est véritablement entre nos mains aujourd'hui", explique la glaciologue.
Il n'y a pas de baguette magique: pour sauver les glaciers, il faut arrêter de financer les énergies fossiles
"Il n'y a pas de baguette magique: pour sauver les glaciers, il faut arrêter de financer les énergies fossiles. Cela dépend de chacun et chacune d'entre nous et ce sont vraiment les actions collectives comme la loi climat qui peuvent vraiment faire la différence. [...] Moi, je me lève le matin en me disant qu'on a la chance de pouvoir sauver l'humanité, sauver les glaciers, mais cela demande des changements. Le jeu en vaut largement la chandelle", conclut Heïdi Sevestre. Pour la spécialiste, l'humanité est à un tournant et peut envisager un futur "encore plus désirable" si elle s'en donne les moyens.
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Propos recueillis par Eric Guevara-Frey
Adaptation web: Lara Donnet
A lire: "Sentinelle du Climat" de Heïdi Sevestre, paru aux éditions Harper Collins, avril 2023.