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Comment l'extrême droite s'empare de la cause environnementale

Valorisation du bio, discours anti-malbouffe ou défenses des circuits courts: de plus en plus de militants d'extrême droite prônent aujourd'hui un retour à la terre et tiennent un discours écologiste [Illustration: C_cou]
Valorisation du bio, discours anti-malbouffe ou défenses des circuits courts: de plus en plus de militants d'extrême droite prônent aujourd'hui un retour à la terre et tiennent un discours écologiste - [Illustration: C_cou]
De plus en plus de militants d'extrême droite prônent désormais un retour à la terre et tiennent un discours écologiste pour renforcer leur base militante. Mais qui sont ces groupuscules et en quoi consiste cette écologie dite "identitaire"? Décryptage.

Le groupuscule Tenesoun a tout d'une organisation dans l'air du temps. Il possède un potager communautaire, n'utilise pas de pesticides, prône les circuits courts et s'adonne à la permaculture. Il s'agit pourtant d'un groupuscule d'extrême droite, surveillé de près par les services de renseignement français.

L'organisation, basée dans le sud de la France et qui s'autoproclame "nationaliste et identitaire", compte une trentaine de membres actifs. Avec son slogan "Bâtir quand tout s'écroule", le groupuscule entend "se ré-enraciner en revenant aux circuits courts" et en "créant des lieux de vie autonome", grâce au "travail de la terre". Il prône l'enracinement et critique ouvertement la société de consommation.

L'organisation, auparavant connue sous le nom de "Bastion social", avait été dissoute en 2019 pour "incitation à la violence raciste et antisémite", avant de ré-apparaître sous le nom de Tenesoun, quelques mois plus tard.

La Suisse aussi concernée

La Suisse n'échappe pas à cette tendance. Sur son site internet, le groupuscule d'extrême droite Junge Tat a inscrit l'environnement comme l'une de ses trois principales préoccupations, aux côtés de celles de la "famille" et de "l'identité". "Notre espace de vie constitue une grande partie de notre identité. C'est pourquoi nous devons nous en occuper avec précaution", peut-on notamment lire sur leur page.

De son côté, le Parti nationaliste suisse (PNS) se positionne comme un parti patriote et défenseur de l'environnement. Il fait un lien direct et assumé entre la lutte contre l'immigration et la préservation de l'environnement. Il met en avant par exemple la protection des paysages alpins, la préservation de l'agriculture locale ou encore la défense de l'identité nationale suisse.

>> Lire aussi : Junge Tat, symbole d'une extrême droite de plus en plus décomplexée

Une stratégie de normalisation

Mais comment expliquer cet intérêt de plus en plus marqué de l’extrême droite pour la question de l'écologie? Il y a tout d'abord le fait que cette thématique a pris une place importante dans le débat public ces dernières années, notamment avec les marches pour le climat mais aussi avec les nombreuses catastrophes naturelles directement attribuées au dérèglement climatique.

Les partis d’extrême droite tentent de se positionner sur la question de l'écologie afin de ne pas laisser certains de leurs concurrents politiques en garder la propriété

Benjamin Biard, spécialiste des droites identitaires et de l'extrême droite au CRISP

Mais il ne s'agit pas là de la seule explication, estime Benjamin Biard, spécialiste des droites identitaires et de l'extrême droite au CRISP. "La prise de position des partis d'extrême droite sur la question de l'écologie participe à la stratégie de 'normalisation' développée par beaucoup d’entre eux. Il s’agit ainsi de montrer qu’ils sont de véritables partis politiques démocratiques, prêts à gérer la chose publique, au-delà des slogans classiques relatifs aux questions migratoires et sécuritaires".

Et d'ajouter: "Les partis d’extrême droite tentent de se positionner sur cet enjeu afin de ne pas laisser certains de leurs concurrents politiques en garder la propriété".

Un "localisme identitaire"

Depuis quelques années, la notion de "localisme identitaire" est utilisée par la droite radicale. Le mouvement promeut une écologie basée sur la préservation des identités culturelles et nationales. Pour Antoine Dubiau, chercheur en sciences sociales et auteur "d’Ecofaschisme", le localisme identitaire entend protéger le lien écologique entre la race et la nature.

Les partisans du localisme identitaire considèrent que l’environnement est la source de la race, et donc protéger leur race revient à protéger l’environnement

Antoine Dubiau, chercheur en sciences sociales et auteur "d’Echofaschisme"

"Ses partisans considèrent que l’environnement est la source de la race, et donc protéger leur race revient à protéger l'environnement", explique-t-il au magazine Society. Aux yeux des "localistes", la vision patriarcale et traditionnaliste de la société va donc de pair avec un discours écologiste.

C’est par exemple le cas du Rassemblement national (RN) en France. La création en 2019 du sous-groupes "Les localistes" par Hervé juvin, député RN au parlement européen, a permis au Rassemblement national d’élargir la question identitaire à celle de la protection de l’environnement. Ainsi, lors du débat de l’entre-deux-tour de la présidentielle de 2022 alors qu’elle était accusée de climatoscepticisme par Emmanuel Macron, Marine Le Pen avait brandi son étiquette de "localiste".

De son côté, le président du Rassemblement national, Jordan Bardella, déclarait en avril 2022 sur France info: "Le meilleur moyen de protéger la planète c’est d’arrêter le grand déménagement du monde, d’engager les circuits courts, le patriotisme économique".

Discours anti-mondialisation

Selon le "localisme identitaire", il est nécessaire d’adopter des réponses au défi écologique à travers un protectionnisme économique, en opposition à la mondialisation et à la société de consommation. Les localistes ont, dans leur ligne de mire, les partis de gauche écolos qu’ils accusent de "greenwashing" avec la mise en place de mesures uniquement "cosmétiques".

Ainsi, en prônant des politiques environnementales centrées sur la protection des territoires et des traditions locales, ces mouvements cherchent à susciter l'adhésion des nationalistes et à créer une alternative à l'écologie "mainstream".

"Si certains sont convaincus de l’importance des pistes qu’ils énoncent, d’autres entendent surtout instrumentaliser la cause pour mener à bien leur agenda identitaire", estime Benjamin Biard. La croissance démographique est par exemple souvent pointée du doigt par l’extrême droite comme cause de l’ensemble des problèmes écologiques contemporains. "Cela afin de mieux convaincre de l’importance de refuser ce qu’ils qualifient de grand remplacement", pointe le politologue.

Hélène Krähenbühl

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Les droites n'hésitent désormais plus à s'allier avec les extrême-droites

Il y a encore quelques années, certains parlaient d’un “cordon sanitaire” autour des partis d’extrême-droite dans plusieurs pays européens. Ainsi, les conservateurs traditionnels ne ménageaient pas leurs efforts pour prendre leurs distances avec les droites nationalistes et identitaires.

Mais, progressivement, les partis d’extrême-droite sont devenus plus "fréquentables". Ils se sont “normalisés” au point d’appartenir maintenant à des coalitions. Que ce soit en Suède, au Danemark, en Finlande ou encore en Italie, le phénomène s’observe partout.

>> Les explications de Tout un monde :

Le parti d'extrême droite Fratelli d'Italia connaît une avancée spectaculaire en Italie. [EPA/KEYSTONE - ANGELO CARCONI]EPA/KEYSTONE - ANGELO CARCONI
Les droites n'hésitent plus à s'allier avec les extrême-droites: interview de Benjamin Biard / Tout un monde / 9 min. / le 27 juin 2023