La difficile sensibilisation de la population chinoise au dérèglement climatique
Dans la région de Longjing (province du Zhejiang), on cultive le thé, une plante vulnérable aux fortes chaleurs. "La récolte a été pire que les autres années. La baisse a été importante: j'ai cueilli 20% de thé en moins ce printemps", a expliqué M. Zhao, cultivateur, au micro de l'émission Tout un monde de la RTS.
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Cette récolte moindre est une conséquence directe de la canicule exceptionnelle de l'été dernier. Dans cette région du bassin de Yangtsé, à l'est de la Chine, le mercure a franchi à plusieurs reprises le seuil des 40 degrés.
"La chaleur? C'est le pire. S'il fait trop chaud, le plant va s'assécher. Là, on flirte avec les 40 °C. Le soleil risque de brûler le thé. Il faudra peut-être recouvrir les plants, arroser plus... Et puis tailler les feuilles abimées. Mais s'il fait trop chaud, la plante ne produira pas de jeunes pousses", poursuit M. Zhao.
"Je ne suis pas inquiet"
En contre-bas, dans le village, Dai Zhongqing déplore un surplus de travail. Désormais, il faut arroser généreusement les plants en été. S'il avoue être plus fatigué, il ne redoute pas outre mesure le réchauffement climatique en Chine: "Je ne suis pas inquiet. Enfin, pas beaucoup. Ça ne devrait pas changer grand-chose. L'eau coule en abondance dans la rivière. S'il devait faire constamment chaud en été, on s'adaptera. On pompera davantage pour arroser. Voilà tout."
Ce détachement est partagé par sa voisine. Assise dans sa cuisine, rafraîchie par un gros climatiseur, Mme Zhao reste de marbre à l'évocation du réchauffement climatique en Chine. "Ce sujet est trop vaste, trop abstrait pour nous, gens simples et ordinaires. On ne pense pas à des problèmes dont le contrôle nous échappe. Et puis, en tant que cultivateurs de thé, ça touche peu nos revenus. Les lois économiques sont respectées: toute chose rare est plus chère, une récolte moins importante engendre donc une hausse des prix à la vente. Finalement, on s'y retrouve."
Cette indifférence est exprimée à maintes reprises. Beaucoup paraissent insensibles au dérèglement climatique. De nombreuses personnes s'en remettent aux autorités.
La neutralité carbone d'ici 2060
Que fait donc le pouvoir chinois en matière de lutte contre le dérèglement climatique? Il y a d'un côté un discours volontariste, avec la promesse d'atteindre la neutralité carbone d'ici 2060. Mais cet objectif n'a pas de véritable feuille de route.
Certes Pékin développe le renouvelable à vitesse grand V - des centaines de milliers d'hectares de panneaux solaires et de champs éoliens sont déployés - mais le charbon pèse toujours près de 60% dans la production énergétique totale du pays et de nombreuses centrales thermiques continuent de sortir de terre.
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Obtenir l'adhésion de la population
La stratégie du gouvernement est ambiguë et les ONG s'impatientent, parce que le temps presse. Li Shuo, spécialiste des politiques environnementales chez Greenpeace Chine, appelle à un réveil des consciences: "Résoudre le dérèglement climatique est un défi complexe. Ça nécessitera des efforts systématiques importants sur un temps très long…"
Et de poursuivre: "Il faut la participation et la coopération du public. Mais la sensibilité de la population à cette problématique fait encore défaut en Chine. Avec l'intensification des phénomènes extrêmes tels que la vague de chaleur qui frappe actuellement et à nouveau le pays, je me demande si on ne pourrait pas voire enfin survenir le réveil général tant attendu."
Li Shuo estime qu'il sera impossible de parvenir à l'"objectif ambitieux" des autorités, à savoir la neutralité carbone d'ici trente ans, sans l'"implication active" de la population.
Maintenir la pression sur le Parti communiste
En l'absence de revendications publiques, de médiatisation continue et d'actions militantes, ou presque (lire encadré), les Chinois restent peu exposés à la question climatique. Ils ressentent pourtant physiquement le réchauffement climatique de leur pays. Pour l'heure, les températures restent tolérables. Aucune comparaison avec la pollution atmosphérique, source de ras-le-bol populaire dans les années 2010.
Les Chinois suffoquaient alors sous un smog toxique surnommé "airpocalypse". La grogne avait poussé le Parti communiste à réagir. "Il a agi au quart de tour quand le problème a commencé à focaliser toute l'attention du public en générant beaucoup de mécontentement. La réponse du gouvernement a été si rapide, si ambitieuse que la pollution de l'air a diminué à une cadence qui a surpris tous les acteurs du monde de l'environnement", raconte Li Shuo.
Et d'ajouter: "Mais maintenant que la pollution a été abaissée à des taux moins exceptionnels et qu'elle n'est plus aussi visible, la dynamique lancée est en perte de vitesse alors qu'on est à mi-chemin seulement. Le relâchement guette… Le risque est de nous laisser distraire des efforts environnementaux qui doivent encore être accomplis."
Michael Peuker/vajo
La liberté d'expression, la clé pour informer
Comment s'explique le faible degré de sensibilisation en Chine? Une grande partie de la population a d'autres préoccupations, économiques notamment. La classe moyenne veut profiter des avantages de la modernité et les actions de sensibilisation sont limitées.
Chang Le mène des campagnes régulières avec d'autres activistes via des expositions et des performances artistiques engagées. Ils ont été détenus plusieurs fois par les forces de l'ordre et sont surveillés de près par les autorités, soucieuses de garantir la stabilité sociale.
"Il est évident que plus de libertés rimerait forcément avec une meilleure sensibilisation du public. La plupart du temps, les problèmes climatiques ou environnementaux sont rendus visibles par l'action d'activistes ou grâce à leur mise en lumière par un groupe ou des individus", déclare Chang Le.