Viande de synthèse, steaks végétaux: les alternatives à la chair animale sont-elles durables?
Le consensus scientifique est aujourd'hui établi: les 337 millions de tonnes de viandes produites chaque année dans le monde ont un impact non négligeable sur le climat, l'élevage étant responsable de 14,5% des émissions globales de gaz à effet de serre, selon l'Organisation pour l'alimentation et l'agriculture (FAO).
Face à ce constat, le sixième rapport du GIEC recommande une diminution importante de la consommation de viande. Une problématique que les géants de l'agro-alimentaire ont bien compris puisqu'ils proposent aujourd'hui toujours plus d'alternatives à la viande. En plus de préserver le bien-être animal, ces substituts sont vendus comme plus durables et plus écologiques. Mais selon plusieurs études scientifiques, ce discours "gagnant-gagnant" est trompeur.
La viande de synthèse, une fausse bonne idée?
Depuis quelques années, la viande de synthèse suscite un intérêt croissant. En effet, cette viande cellulaire qui correspond à des cellules souches prélevées sur un animal, puis "cultivées" en laboratoire, offre la promesse d'un aliment sans souffrance animale et écologique. Cette viande artificielle utilise moins d'antibiotiques, d'eau, de surface de terrain, génère moins de gaz à effet de serre et ne nécessite pas l'abattage des bêtes.
Mais, selon plusieurs études scientifiques, le bilan environnemental de ce substitut reste encore très perfectible, voire est nocif. Dans le scénario d'une énergie reposant partiellement sur le fossile, la viande cellulaire ferait mieux que le bœuf, mais moins bien que le poulet et le porc, deux filières très intensives et relativement peu émettrices de gaz à effet de serre, indique une étude publiée par le cabinet néerlandais CE Delft, spécialisé dans l'analyse environnementale.
Dans un scénario où l'énergie utilisée serait totalement "verte", la viande artificielle deviendrait plus durable que les autres viandes conventionnelles.
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Un processus de fabrication très polluant
Des chercheurs de l'Université de Californie attirent également l'attention sur le processus de fabrication extrêmement polluant de cette viande de synthèse. En effet, l'extraction puis la purification à"un niveau de qualité pharmaceutique" des facteurs de croissance nécessitent une énorme quantité d'énergie. Cette qualité est indispensable pour éviter tout risque de contamination par des bactéries dont la présence pourrait ralentir, voire empêcher, la croissance des cellules souches.
De ce fait, en supposant que cette industrie continue à utiliser des milieux de culture hautement raffinés et ne fasse pas appel à l'énergie renouvelable, cette alternative "pourrait s'avérer jusqu'à 25 fois plus nocive pour le climat que la viande de bœuf", estiment les auteurs de l'étude.
Des chiffres impressionnants qui ont rapidement fait réagir les promoteurs de la viande artificielle, comme Pelle Sinke. Ce consultant a publié en janvier un rapport, en partie financé par le Good Food Institute, un groupe de défense de la viande de culture. Ce dernier a conclu que l'empreinte carbone de la viande cultivée en laboratoire serait plus basse que celle du bœuf. À condition toutefois que les composants de "qualité pharmaceutique" soient rétrogradés à une norme de "qualité alimentaire".
Dans le monde, seul Singapour autorise aujourd'hui la vente de ces produits. Il s'agit des nuggets de poulets fabriqués par la société californienne Eat Just. Ailleurs, l'idée de la commercialisation de ce substitut fait également son chemin. La start-up alimentaire israélienne Aleph Farms vient par exemple de déposer une demande d'autorisation pour commercialiser en Suisse de la viande cultivée en laboratoire. Le produit n'arrivera pas dans les supermarchés avant des années, prévient Migros, partenaire de l'entreprise. Cela serait une première en Europe. Des demandes dans le même sens ont été déposées en Asie et aux Etats-Unis.
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Le cas de la viande végétale
Les simili-viandes, fabriquées à partir de protéines végétales et permettant de retrouver une texture et un goût très similaires à la viande, sont également désormais pointées du doigt. En avril 2022, le panel d'experts indépendants IPES-Food épinglait dans un de ses rapports le "caractère industriel et ultra-transformé" de ces substituts.
Selon ces experts, les effets sur la durabilité dépendent des ingrédients utilisés ainsi que des modes de production et de transformation mis à en place. "Bon nombre des produits de substitution s'appuient sur une ultratransformation énergivore pour produire des additifs clés, ainsi que sur des ingrédients provenant de systèmes de monoculture industrielle", détaille le rapport.
Le potentiel du marché de ces substituts à la viande aiguise toujours plus l'appétit des géants de la viande comme Cargill ou Unilever. En absorbant des jeunes pousses du secteur, ces multinationales renforcent leur "domination des systèmes alimentaires", pointent les experts d'IPES-Food. Un mécanisme qui perpétuerait "des régimes standardisés à base d'aliments transformés et des chaînes d'approvisionnement industrielles qui nuisent aux populations et à la planète".
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Soja et déforestation
Pour Marco Springmann, spécialiste des enjeux liés à l'alimentation et à l'environnement à l'Université d'Oxford, les alternatives à la viande sont susceptibles de rejeter jusqu'à cinq fois plus de CO2 que les légumineuses à l'état brut. Les steaks végétaux affichent toutefois un bien meilleur bilan carbone que la viande animale, sans que cela soit une solution miracle.
En effet, les OGM et l'utilisation massive de soja venu d'Amérique latine dans ces steaks végétaux n'est pas sans conséquence pour le climat. La culture du soja est aujourd'hui l'une des principales causes de déforestation de l'Amazonie avec celle de la canne à sucre et l'élevage intensif de bovin.
Pour consommer responsable, il convient donc de s'assurer que les marques que l'on achète utilisent des céréales produites localement ou utilisant les circuits courts. Le mieux étant encore consommer des produits végétaux non transformés.
Hélène Krähenbühl