Martine Rebetez, climatologue: "Nos résultats sont alarmants, mais on n'a pas un discours alarmiste"
Épisodes de sécheresse, de précipitations intenses et autres incendies de forêt d'ampleurs diverses: cet été a été marqué par différents records de températures et phénomènes météorologiques extrêmes.
Invitée jeudi à réagir sur ce sujet dans La Matinale, Martine Rebetez, chercheuse à l'Université de Neuchâtel et à l'institut fédéral WSL, a souligné d'emblée que malgré les nouvelles techniques, il restait difficile d'attribuer rapidement un événement individuel au changement climatique. "Mais il ne fait aucun doute" que leur recrudescence est liée à l'évolution du climat, assène-t-elle.
Des alertes trop modérées?
Toutefois, certains changements arrivent beaucoup plus vite que prévu. Le nouveau dirigeant du GIEC Jim Skea (voir 2e encadré) s'en est récemment inquiété.
"Ça arrive plus vite dans le sens où les modèles et les prévisions du GIEC ont toujours été très prudentes, très conservatrices", précise Martine Rebetez, qui note toutefois qu'à chaque nouveau rapport, les valeurs des prévisions sont revues à la hausse.
"C'est notre voie de scientifiques en général" de ne pas être alarmistes, estime-t-elle. "Nos résultats sont alarmants, mais on n'a pas un discours alarmiste. Bien souvent, on a peut-être été trop modérés. Parce que crier au loup, c'est contre-productif, c'est quelque chose qu'on connaît bien."
La chercheuse note toutefois que, depuis les premières alertes sur le climat, les choses ont évolué d'une manière qui n'avait même pas été envisagée par les scientifiques à l'époque: "En 1990, on avait prévu de réduire les émissions annuelles de gaz à effet de serre, progressivement, dans les 20 ans à venir. Et au lieu de ça, les émissions annuelles ont augmenté de 50% en 30 ans", raconte-t-elle.
Les blocages de l'industrie pétrolière
Plusieurs scénarios avaient pourtant été établis, du statu quo à une amélioration réelle. "Mais faire bien pire, ce n'était pas un scénario envisageable", poursuit-elle.
Et Martine Rebetez de souligner le rôle central de l'industrie pétrolière dans cet état de faits. "Ce sont eux qui étaient les mieux informés, parce qu'ils avaient fait les analyses, mais ils ont élaboré une stratégie qui visait le discrédit des résultats scientifiques" de plus en plus clairs.
"Le prolongement, c'est qu'aujourd'hui, vous avez des discours - bien relayés aussi par nos politiques - qui disent qu'il ne faut pas aller trop vite dans la transition énergétique. [...] C'est le genre de discours qui, encore aujourd'hui, permettent aux milieux pétroliers de ralentir la transition énergétique et de faire énormément d'argent. Les moyens qu'ils mettent là-dedans sont absolument énormes!"
Propos recueillis par Benjamin Luis
Texte web: Pierrik Jordan
La disparition des forêts protectrices en montagne, un enjeu majeur pour la Suisse
Les records de chaleur et la sécheresse créent notamment des conditions favorables aux feux de forêt, y compris en Suisse. Et même si les départs de feu y sont généralement d'origine humaine, les régions propices à ces incendies s'étendent de plus en plus au-delà du Tessin et du Haut-Valais, prévient Martine Rebetez. "C'est simple: vous avez des températures plus élevées, de l'air plus sec et des précipitations moins fréquentes", résume-t-elle.
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Selon elle, il va être "difficile" de s'y adapter rapidement. "Dans un pays où on a de la pente, on n'est pas dans une situation où les choses peuvent se régénérer", dit-elle. Elle cite notamment l'exemple de l'incendie de Loèche (VS): "Du point de vue de la nature, on a une biodiversité et une nouvelle forêt qui se crée", observe-t-elle. "C'est quelque chose qui évolue bien. En revanche, vingt ans après, on n'a pas encore une forêt protectrice. Et c'est bien ça le problème!"
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Ainsi, du point de vue de la protection des infrastructures humaines, une recrudescence des incendies pourrait poser "de gros problèmes et des coûts absolument énormes. Parce que [la protection] qu'une forêt vous offre gratuitement, ou presque, si vous devez installer des systèmes de protection, ce sont des coûts faramineux."
Jim Skea, nouvelle boussole à la tête du GIEC
L'Écossais James "Jim" Skea a été élu fin juillet à la tête du GIEC, le groupe d'expert et d'expertes de l'ONU qui fait office de référence en matière de climat. Il succède ainsi au Sud-Coréen Hoesung Lee et dirigera , pour le reste de la décennie, les travaux de centaines de scientifiques.
Enseignant en énergies durables à l’Imperial College de Londres, il est impliqué dans l’institution onusienne depuis les années 1990 et il a codirigé, entre 2015 et 2023, le groupe de travail sur l’atténuation du changement climatique. Il préside également la commission écossaise pour une "transition juste".
Après son élection, il a placé la protection de l'intégrité scientifique et de la pertinence politique des rapports du GIEC parmi ses priorités face à la "menace existentielle" que représente le changement climatique.
Face aux blocages, réformer le GIEC
Ces dernières années, de nombreuses voix se sont fait entendre pour appeler à réformer le GIEC qui, après avoir été accusé d’être alarmiste, notamment par les climatosceptiques, s’avère en réalité conservateur, du fait de son organisation par recherche de consensus et de son fonctionnement, très bureaucratique, relevait un article du journal Le Monde en marge de cette élection.
Le GIEC est également marqué par l’ingérence de certains pays, qui parviennent à amoindrir certaines conclusions ou retarder l’action. La Chine, l’Inde ou l’Arabie saoudite sont régulièrement pointées du doigt.
Enfin, un autre enjeu réside dans la temporalité des cycles d’évaluation, en décalage avec l’urgence climatique: le prochain rapport de synthèse risque d’être publié après 2030, soit au terme d’une décennie qualifiée de "critique" pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre.