Les activistes du climat luttent contre la déforestation des Carpates en Pologne
Un camion rempli de troncs d’arbre arrive, c'est le moment pour les activistes de l’Initiative des Carpates Sauvages de le bloquer et de négocier. L'un d'eux, Łukasz, explique le plan dans La Matinale de mardi.
"On va essayer d’aller sur la route pour être sûr que le camion s’arrête. Un groupe va négocier avec le conducteur et lui expliquer que l’on n’est pas contre son travail, mais contre ce que font les autorités forestières. Pendant ce temps, un autre groupe va grimper sur le camion avec des banderoles, on prend des photos et on dit merci, au revoir."
Les banderoles serviront à dénoncer l’abattage des arbres dans cette grande forêt du sud-est de la Pologne, à quelques kilomètres de l’Ukraine.
Mais, dans ce cas précis, le chauffeur n’a pas voulu laisser monter les activistes sur le camion. Ils ont quand même pu prendre quelques photos. Le dialogue est parfois compliqué avec les forestiers: certains voient cette lutte écologiste comme une entrave à leur travail qui les empêche de gagner leur vie dans l’une des régions les plus pauvres du pays.
Traces humaines très visibles
À quelques kilomètres de là, c’est avec une caravane que l’Initiative des Carpates Sauvages bloque l’entrée des camions dans la forêt. Ali, qui habite là une grande partie de l’année, fait un tour dans la zone qu’elle protège. L'impact de l’homme sur la forêt est largement visible.
"Là où on se trouve actuellement, c’est une route qui n’est pas naturelle. Ce sont des tranchées qui sont faites par des véhicules, qui tirent les troncs d’arbre en dehors de la forêt. L’eau s’écoule donc par ces routes et la forêt s’assèche", décrit-elle.
Animaux et plantes rares
Dans les Carpates polonaises, il existe des espèces d’animaux rares comme les ours bruns qui creusent leurs tanières sous les grands arbres de la forêt. Sur le sol, on a aussi des espèces de lichens endémiques et de nombreux insectes qui prospèrent dans le bois en décomposition.
C’est pour ça qu’Ali est contente de voir que dans la zone qu’elle protège, des troncs en décomposition ne peuvent pas être emmenés par les forestiers. "Regardez ça, c’est très joli et très important: ce bois mort est en fait plein de vie. Il redonne vie à autre chose. Mais quand les forestiers passent, ils détruisent tout et emportent tout sur leur passage, comme vous avez pu le voir".
Partout, le sol est joncé d'arbres prêts à être coupés. "Généralement, ils font des points oranges sur les arbres, ou verts s’ils n’ont plus assez de peinture", décrit la militante. Quelques jours après notre passage, la police est intervenue pour déloger les activistes qui bloquaient le secteur.
Vieux arbres coupés
Au camp principal de l’Initiative des Carpates Sauvages, Jakub Rok, docteur en économie environnementale et membre de l’association, insiste sur les raisons qui les ont emmenés ici.
"Les images de la destruction des Carpates sont la raison principale de notre présence. C’est la forêt montagneuse la plus précieuse de Pologne et elle fait partie d’une zone naturelle plus large, l’une des plus importantes d’Europe. Malgré ça, elle est encore exploitée, les arbres sont coupés, la chasse est autorisée...", s'indigne-t-il.
Cette exploitation est assez nouvelle selon lui. "Ce qu’on voit ici, c’est qu’on coupe des arbres qui ont 180-200 ans. Ils sont plus vieux que l’exploitation forestière moderne qui est arrivée dans les Carpates polonaises au début du XXe siècle."
Jakub Rok aimerait que le parc national soit agrandi. Il existe d’ailleurs un projet d’élargissement depuis les années 1990, mais rien n’a été fait par les gouvernements successifs.
La Pologne sommée de protéger ses forêts
Récemment, l’Union européenne a demandé à la Pologne de protéger ses forêts. En mars, la Cour de justice de l’UE a même jugé que la Pologne violait la directive européenne sur la protection des animaux et des oiseaux et empêchait les organisations environnementales de remettre en question les plans de boisement du gouvernement. Mais pour le gouvernement national conservateur, c’est une décision qui alimente son discours anti-Bruxelles.
"Le parti de droite au pouvoir s’en sert pour dire: 'regardez, on perd notre souveraineté parce que l’Union européenne nous dicte quoi faire, etc.' Donc je crois que c’est plus important d’écouter les activistes qui sont directement sur le terrain et de ne pas seulement attendre que l’UE nous dise de faire comme-ci ou comme-ça", martèle Jakub Rok.
Les militants polonais sont rejoints par des centaines de scientifiques pour exiger que les plans d’élargissements des parcs nationaux aillent plus loin. Mais alors que les élections nationales approchent, les grands partis du pays ne semblent pas vraiment s’intéresser à ce sujet.
Reportage radio: Martin Chabal
Adaptation web: Julie Marty