L'année 2023 devrait être la plus chaude jamais enregistrée. Sur les onze premiers mois de l’année, la température moyenne mondiale se situait 1,4 degré au-dessus de celle de l’ère préindustrielle, selon le programme Copernicus de l'Union européenne. Lors de la COP28, qui se termine dans quelques jours, les Etats font le bilan de leurs engagements en termes de réduction des gaz à effet de serre. Mais pour l'instant l'objectif posé en 2015 lors de l'Accord de Paris - contenir l'augmentation de la température globale bien en dessous de 2 degrés - semble de plus en plus illusoire.
L'un des défis majeurs pour tenter de limiter le changement climatique, mais aussi plus généralement les atteintes à l'environnement et la biodiversité, est l'adaptation des activités économiques humaines. Pour certains économistes, comme Timothée Parrique, invité de Géopolitis, cette adaptation doit passer par la décroissance: "On se rend compte que quand on fait grossir une économie, c'est-à-dire quand on produit et qu’on consomme plus, ce que l’on vient mesurer avec une augmentation du produit intérieur brut (PIB), on a tendance à voir un alourdissement de ce que l'on appelle l'empreinte écologique. On peut parler des gaz à effet de serre, mais aussi de l'utilisation des métaux, des minerais, des prélèvements en eau, de l'utilisation des sols et bien sûr des impacts avec les pollutions locales et globales, les impacts sur la biodiversité. Donc déjà, pour commencer, il va falloir prendre la décision de ralentir, de se dire que notre rythme aujourd'hui est insoutenable."
La ressource naturelle la plus souhaitable, c'est celle que l'on n'a pas besoin d'utiliser.
De la décroissance au post-capitalisme
Pour Timothée Parrique, qui a publié en 2022 le livre "Ralentir ou périr, l'économie de la décroissance", l'humanité vit à "crédit écologique" et doit adopter des mesures en vue de réduire la consommation et la production globales. Le chercheur en économie écologique à l'Université suédoise de Lund estime que l'amélioration de l'efficacité, par le progrès technologique, les innovations, peut permettre de diminuer l'impact des activités économiques sur la planète, mais ces solutions ne sont pas suffisantes. Il prône en complément la mise en place de stratégies d'"évitement" en soulignant que "la ressource naturelle la plus souhaitable, c'est celle que l'on n'a pas besoin d'utiliser". Timothée Parrique, qui définit son modèle comme celui de la post-croissance ou du post-capitalisme, estime qu'il est nécessaire d'"inventer un autre système".
Sa position ne fait pas l'unanimité au sein des différents courants des sciences économiques qui travaillent sur les questions environnementales et climatiques. Pour de nombreux économistes, des solutions existent déjà actuellement pour faire face à ces défis. Kenza Benhima, professeure d'économie à l'Université de Lausanne et directrice de l’Institut CREA, cite par exemple la taxe carbone, qui renchérit le prix des produits qui émettent beaucoup de CO2 et qui fournit aussi des revenus fiscaux que les Etats peuvent redistribuer pour accompagner les citoyens face à ces changements. Elle donne aussi l'exemple des marchés de quotas, qui permettent d’échanger des droits d’émission de gaz à effet de serre. Ces solutions fonctionnent, selon elle, mais doivent être déployées beaucoup plus largement.
Marchés de quotas et taxe carbone
"L'Europe justement a mis en place les ETS [le marché de quotas d'émission de l'Union européenne] qui ont été assez efficaces pour faire baisser les émissions. Il y a la Grande-Bretagne par exemple qui a complètement transitionné du charbon vers le gaz. Et c'est grâce à une taxe carbone, tout simplement, en rendant le charbon trop cher, non rentable. Donc, on voit des exemples où cela marche et il ne reste plus qu'à aller beaucoup plus loin", estime Kenza Benhima. Au Royaume-Uni, les émissions de CO2 par habitant ont diminué alors que le croissance économique se poursuivait, selon l'analyse d'Our World in Data. "Il ne suffira pas juste de transformer, avec une petite taxe ici et là, un petit peu plus de recyclage. On a vraiment besoin d'un grand changement", rétorque Timothée Parrique.
Kenza Benhima rejoint les partisans de la décroissance sur la nécessité de mettre en place des politiques très fortes, mais elle se distancie d’eux sur les mesures à mettre en place: "Autant ceux que l'on pourrait appeler les croissantistes font le pari insensé que c'est la technologie qui va nous sauver, les décroissants font le pari insensé que la nature humaine va nous changer et que la révolution va nous donner le résultat que l'on voudrait". "Ma vision, c'est plutôt que si on a des objectifs même très ambitieux par rapport à la transition écologique, on va quand même essayer de le faire en minimisant les impacts sur l'économie. Pour moi, c’est cela la croissance verte", précise la chercheuse.
Convaincre l'opinion publique?
Pour avancer plus rapidement dans la transition, les consommateurs, les électeurs doivent se mobiliser, selon Kenza Benhima: "On doit faire des sacrifices pour des gens qu'on ne connaît pas, qui vivent dans d'autres pays, des gens qui ne sont pas nés. Et ça, c'est le vrai challenge." D’ici 2050, le Giec estime que le changement climatique causera la mort de 250'000 personnes par an, dont plus de la moitié en Afrique.
On peut avoir des objectifs même très ambitieux par rapport à la transition écologique, mais quand même essayer de le faire en minimisant les impacts sur l'économie.
Pour Timothée Parrique, un rééquilibrage doit avoir lieu. "Les chiffres sont clairs sur les inégalités environnementales. Les émissions des 1% les plus riches à l'échelle de la planète correspondent au même volume que les émissions des 66% les plus pauvres. Donc, on voit bien que la décroissance des régions les plus riches va être nécessaire pour un meilleur partage, un partage plus équitable d'un budget carbone qui est limité. Si on veut vraiment ouvrir une marge de manoeuvre pour les pays du Sud, pour avoir le développement le plus soutenable possible, il va falloir qu'on libère les ressources que l'on accapare aujourd'hui dans les pays du Nord", propose le chercheur.
En 2022, c'est la Chine qui a rejeté le plus de CO2, devant les Etats-Unis et l'Inde, selon le collectif Global Carbon project. Mais les plus gros émetteurs par habitant sont le Qatar, les Emirats arabes unis, organisateur de la dernière COP, et Bahreïn.
Elsa Anghinolfi et Natalie Bougeard
Changement climatique: où en est-on?
Gaz à effet de serre
Les concentrations des trois principaux gaz à effet de serre (le dioxyde de carbone, le méthane et le protoxyde d’azote) ont atteint des niveaux record en 2022, dernière année pour laquelle des valeurs mondiales sont disponibles à ce jour. Les niveaux de dioxyde de carbone (CO2) sont supérieurs de 50 % à leurs niveaux de l’époque préindustrielle, ce qui a pour conséquence de piéger la chaleur dans l’atmosphère. En raison de la longue durée de vie du CO2, les températures continueront d’augmenter pendant de nombreuses années.
Températures mondiales
Jusqu’en novembre 2023, date des dernières données recueillies par le programme Copernicus de l'Union européenne, la température moyenne mondiale près de la surface a dépassé d’environ 1,4 degré celle de l’ère préindustrielle. Il semble très probable que 2023 sera l’année la plus chaude des 174 années de relevés d’observation.
Températures de surface de la mer
Depuis la fin du printemps boréal, les températures moyennes de surface de la mer ont atteint un niveau record pour cette période de l’année. D’avril à septembre l'est de l’Atlantique Nord, le golfe du Mexique et les Caraïbes, ainsi que de vastes zones de l’océan Austral ont enregistré des vagues de chaleur marine généralisées. Le réchauffement des océans entraîne celui de l'atmosphère et une augmentation de l'humidité. Cela peut provoquer des précipitations plus intenses et une augmentation de l'énergie disponible pour les cyclones tropicaux
Élévation du niveau de la mer
En 2023, le niveau moyen de la mer à l’échelle du globe a atteint un niveau sans précédent dû au réchauffement des océans ainsi que la fonte des glaciers et des nappes glaciaires. Le taux d’élévation de ce niveau moyen au cours de la dernière décennie est plus de deux fois supérieur à celui de la première décennie de l’ère satellitaire (1993-2002).
Cryosphère
Dès le mois de juin, l’étendue des glaces a connu un minimum record pour cette période de l’année. Le maximum annuel, en septembre, était de 16,96 millions de km2, soit environ 1,5 million de km2 de moins que la moyenne de la période 1991-2020 et un million de km2 de moins que le maximum le plus bas jamais enregistré (1986). Les glaciers de l’ouest de l’Amérique du Nord et des Alpes européennes ont connu une saison de fonte extrême. Ces deux dernières années, les glaciers suisses ont perdu environ 10% de leur volume résiduel.