Jusqu'à présent, seules des mesures de "réduction" du charbon avaient été inscrites, notamment lors de la COP26 à Glasgow en 2021. Ni le pétrole ni le gaz n'avaient été explicitement désignés jusqu'à cette COP28 à Dubaï, marquant ainsi la levée d'un tabou longtemps préservé.
Sur l'antenne de la RTS, Géraldine Pflieger, directrice de l'Institut des sciences de l'environnement de l'Université de Genève et représentante scientifique au sein de la délégation suisse à la COP28, raconte que les négociations se sont déroulées dans une ambiance "extrêmement tendue", mais que la liberté d'expression était "totale".
Cette "confrontation" reflète que le "monde est clivé". "J'y vois quelque chose de positif: les lobbies pétroliers ne sont pas ceux qui influencent à 100% la discussion et il y a des contre-pouvoirs. Le fait qu'ils s'intéressent très fortement à la COP est le signe que les normes qu'on développe au niveau climatique les concernent, qu'on est en train de toucher plus que jamais le point dur qu'est la sortie des énergies fossiles."
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Un accord historique ou un accord "historique"?
Sultan al-Jaber, président de la COP28, s'est félicité de la première mention officielle d'une "transition" hors des énergies fossiles dans un document de la COP. Pourtant, même si l'accord est qualifié d'historique, le mot est souvent entouré de guillemets, comme en Une du Financial Times. Car le document final comporte de nombreuses concessions envers les pays riches en pétrole et en gaz, en particulier l'Arabie saoudite.
Le soulagement d'avoir trouvé un accord est teinté de réalisme, car la bataille pour atteindre l'objectif de 1,5 degré de réchauffement climatique, établi dans l'Accord de Paris il y a huit ans, est probablement déjà perdu, note le quotidien économique britannique.
La paléoclimatologue Valérie Masson-Delmotte souligne que même si les promesses de l'accord de Dubaï se réalisent, elles n'impliquent qu'une baisse de 5% des gaz à effet de serre d'ici 2030. Pourtant, pour limiter le réchauffement climatique à un niveau largement sous les 2 degrés, une réduction de 43% des émissions serait nécessaire.
Il est totalement prématuré de parler d'accord historique
"Il est totalement prématuré de parler d'accord historique", estime Géraldine Pflieger à la RTS. Néanmoins, elle considère qu'il s'agit d'un "accord important", car c'est la première fois qu'un "signal précis et universel" est donné en faveur de la transition hors des énergies fossiles d'ici 2050.
Elle ajoute: "Prenons l'exemple de l'Accord de Paris. Nous étions nombreux à être sceptiques. Aujourd'hui, nous savons qu'il a joué un rôle concret dans l'élaboration des politiques climatiques, tant au niveau local que national."
Des "faiblesses importantes"
Le Monde résume: L'accord sur la sortie des énergies fossiles est-il réellement "historique", ou reste-t-il une "coquille vide" faute d'être contraignant? Des inquiétudes sont soulevées concernant l'utilisation de technologies douteuses de captage et de stockage de carbone, ainsi que les références aux "énergies peu carbonées" comme le gaz.
Libération est optimiste, qualifiant cela de "bon début", soulignant la prouesse diplomatique d'avoir obtenu l'approbation unanime dans une région fortement dépendante du pétrole et du gaz. Cependant, le texte reste suffisamment ambigu pour satisfaire tout le monde, et tout reste à faire.
Plus critique, la Frankfurter Allgemeine Zeitung parle d'un "conte de fées dans un pays pétrolier", décrivant un "langage sans engagement", un "contenu sans ambition" et un "message sans vision claire".
La déclaration finale de la COP28 suscite également des déceptions chez de nombreux représentants des îles du Pacifique, déçus par l'absence de mesures plus fortes contre les énergies fossiles. Des activistes comme Drue Slater des îles Fidji soulignent les "lacunes de l'accord", qui pourraient profiter à l'industrie des combustibles fossiles. "C'est comme si on nous demandait de célébrer les fleurs qui seront déposées sur notre tombe. Comment pouvez-vous nous demander de faire cela?", s'interrogeait Brianna Fruean, activiste des Samoa.
Géraldine Pflieger reconnaît également des "faiblesses importantes" dans cet accord: "Il ne fixe pas clairement toutes les cibles étape par étape, pour 2030, 2040, 2050...", souligne-t-elle.
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"Un tour de force"
Cependant, des voix optimistes, comme celle de Jean-Pascal van Ypersele, ancien vice-président du GIEC (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat), considèrent dans Le Monde que "ce pas est plus grand que les autres" dans la diplomatie climatique, envoyant un message nécessaire vers une planète sans fossiles.
Sur France Inter, François Gemenne, spécialiste de géopolitique climatique, s'étonnait qu'on puisse faire la fine bouche: "Réalisons que nous sommes aujourd'hui face à une situation où les pays viennent de points de départ complètement différents, avec des contraintes, des régimes politiques et des économies qui ne sont pas pareils. Parvenir à les mettre d'accord sur un texte ambitieux sur un sujet aussi fondamental dans un monde aussi morcelé, cela tient du tour de force."
Le chemin est encore long
L'objectif d'un tel accord, selon Géraldine Pflieger, est de "donner des signaux". "Les plans internationaux ne sont pas là pour décréter la sortie des énergies fossiles. (...) Nous sommes tous dépendants des énergies fossiles. Il est impossible de décider depuis en haut d'arrêter cette dépendance du jour au lendemain en un claquement de doigts." Géraldine Pflieger, qui est également la maire de Saint-Gingolph (France), estime qu'il y aura d'autres accords à l'avenir.
"Ce combat n'est pas terminé (...) On ne peut pas toujours tout attendre des accords sur le climat. Il y a énormément de prises de responsabilité à avoir sur tous les plans institutionnels."
Malgré ce tour de force diplomatique, The Guardian souligne les nombreux problèmes de l'accord, notamment le besoin de financements supplémentaires pour les pays pauvres afin de les aider à abandonner les énergies fossiles.
De plus, il rappelle que la prochaine COP se tiendra à Bakou, en Azerbaïdjan, soulignant la fragilité de cet accord et la possibilité que les producteurs de pétrole tentent de faire marche arrière l'année prochaine.
Sujets radio: Foued Boukari, Patrick Chaboudez et Valérie Hauert
Adaptation web: Valentin Jordil