Heïdi Sevestre, glaciologue: "La Terre entière est directement et intimement liée à l'avenir des glaces"
La glaciologue française Heïdi Sevestre fait partie de ces scientifiques qui préfèrent largement le terrain à leur laboratoire. Son objectif? Sensibiliser le grand public au dérèglement climatique et à la fonte des glaces tout autour du globe. C'est ce qu'elle fait aux côtés du grimpeur américain Alex Honnold et de son équipe dans "Arctic Ascent".
Aujourd'hui, la calotte polaire du Groenland perd 30 millions de tonnes de glace toutes les heures. Vous vous rendez compte? C'est énorme
Dans ce film, on suit leur expédition dans l'est du Groenland pour tenter de gravir l'Ingmikortilaq, une paroi rocheuse isolée de 1140 mètres de haut et qui fait partie des plus hautes falaises encore jamais grimpées au monde. Une aventure non sans dangers pour étudier l'impact de la crise climatique où celle-ci se fait le plus ressentir. "On n'y est pas allé de main morte. On a mis en place dix-huit protocoles scientifiques avec douze laboratoires de recherche", souligne-t-elle au micro de La Matinale.
Remonter le temps
De quoi en apprendre énormément sur la période que nous vivons en termes de bouleversement climatique. "Pendant notre expédition, on a pu observer, mesurer tous les symptômes du changement climatique, c'est-à-dire le réchauffement des calottes polaires", explique la scientifique. Avant d'ajouter: "Et parmi ce que l'on a appris, et on s'en doutait, c'est que le Groenland réagit très vite au changement climatique. Aujourd'hui, la calotte polaire du Groenland perd 30 millions de tonnes de glace toutes les heures. Vous vous rendez compte? C'est énorme". La scientifique se réfère à de nouvelles données publiées en 2022 par le Polar Portal, organisation chapeautant les instituts danois sur l’Arctique, soulignant à titre de comparaison que la calotte glaciaire du Groenland a perdu 4700 milliards de tonnes depuis 2002.
En accompagnant Alex Honnold dans l'ascension de l'Ingmikortilaq, elle a pu remonter le temps, comme elle le raconte dans La Matinale. "En fait, si on va du sommet de cette paroi rocheuse jusqu'à sa base, ça nous permet de comprendre à quelle vitesse ces parois rocheuses se sont retrouvées exposées au soleil à la fin de la dernière ère glaciaire." Autrement dit, en parcourant cette falaise de haut en bas, la scientifique a pu récolter des échantillons de roche qui lui ont permis de savoir à quelle vitesse cette région s'est "désenglacée" par le passé.
Mieux comprendre la fonte de nos glaciers
Etudier les glaces dans ces régions reculées est très important pour comprendre la fonte des glaciers sous nos latitudes, poursuit Heïdi Sevestre. "Que l'on habite en Suisse ou ailleurs, la Terre entière est directement et intimement liée à l'avenir des glaces."
Aujourd'hui, on sait que si on réagit le plus vite possible, on peut encore sauver une partie des glaciers que l'on a dans les Alpes et donc, forcément, toutes les activités de plein air et toutes les activités économiques qui en dépendent
Car la fonte de ces énormes réservoirs d'eau stockée sous forme solide aura, on le sait, de très nombreuses répercussions chez nous, note Heïdi Sevestre. Que ce soit en termes de production d'énergie, d'agriculture, de préservation de nos écosystèmes, d'économie ou encore de santé.
D'où l'importance d'agir, et vite, alerte-t-elle. "Aujourd'hui, on sait que si on réagit le plus vite possible, on peut encore sauver une partie des glaciers que l'on a dans les Alpes et donc, forcément, toutes les activités de plein air et toutes les activités économiques qui en dépendent."
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Propos recueillis par Aleksandra Planinic
Texte pour le web: Fabien Grenon
Prochaine mission: l'étude des glaciers tropicaux en Ouganda
Toujours à la recherche de nouveaux terrains d'exploration, et de nouveaux moyens d'alerter sur l'urgence climatique, Heïdi Sevestre délaissera prochainement les glaciers polaires pour les glaciers tropicaux.
Juste après le Festival international du film alpin des Diablerets (FIFAD), la glaciologue française s'envolera pour l'Ouganda, et plus particulièrement les monts Rwenzori, afin d'étudier ces glaciers méconnus situés entre les tropiques à près de 5000 mètres d'altitude, et qui font partie des sources du Nil. "La communauté scientifique les a un peu abandonnés. Il est temps de leur redonner une voix avant qu'il ne soit trop tard."
Avant de poursuivre: "c'est triste à dire, mais leur disparition nous permettra de mieux appréhender ce qui risque de se passer sur nos propres glaciers, que l'on soit en Suisse, en France, en Alaska ou dans l'Himalaya. Et aujourd'hui, on se rend compte que la fin de vie des glaciers peut être beaucoup plus rapide qu'on ne pensait."