Lentement, mais sûrement. Depuis 50 ans, les magasins Ikea poussent les uns après les autres en Suisse. Et ils cartonnent. En 2023, le géant suédois du meuble a réalisé un chiffre d’affaires record de près de 1,3 milliard de francs sur le sol helvétique, soit une hausse de 10,2% par rapport à l'année précédente.
Mais pour fabriquer toutes ces bibliothèques "Billy", ces étagères "Kallax" ou ces dessertes "Förhöja", l'enseigne a besoin de produire du bois. Beaucoup de bois.
Des témoignages critiques
La problématique a été décortiquée par les journalistes d'investigation Marianne Kerfriden et Xavier Deleu dans le documentaire "Ikea, le seigneur des forêts".
En Roumanie, en Pologne, en Suède, au Brésil ou en Nouvelle-Zélande, les auteurs ont rencontré des militants, mais aussi des représentants de l'industrie du bois, dont la multinationale dépend.
Dans chaque pays, l'enquête a fait remonter de nombreuses critiques exprimées par des militants écologistes et des scientifiques, explique Marianne Kerfriden, interviewée jeudi dans Forum.
Des contrôles insuffisants
Dans les Carpates, la dernière forêt primaire d’Europe, Ikea coupe par exemple des arbres dans des zones qui devraient être protégées. Certes, "c'est légal de couper dans ces forêts, mais ce n'est pas vertueux", souligne la journaliste et réalisatrice française.
Cette production de bois est souvent le fait de sous-traitants, censés "respecter un code de conduite" établi par le géant jaune et bleu. Les vérifications ne sont pourtant pas toujours irréprochables.
Au Brésil, un des fournisseurs d'Ikea a ainsi reçu "deux amendes assez lourdes" de l'autorité locale pour avoir notamment coupé des arbres protégés, explique Marianne Kerfriden.
"Comment ne peuvent-ils pas être au courant des exactions de leurs fournisseurs?", se demande encore la journaliste.
Du bois vraiment durable?
Ikea s'appuie sur le label FSC pour assurer l'image vertueuse du bois qu'elle achète. Un argument marketing, estime Marianne Kerfriden, qui assure que "de nombreuses ONG considèrent aujourd'hui" que ce label "sert uniquement à faire du greenwashing".
L'autre point faible étant qu'Ikea peut aussi compter sur le label FSC Mix, sorte de version allégée du FSC 100%, avec des critères moins stricts. Du bois non certifié et du bois certifié peuvent donc se retrouver dans un même meuble.
"Nous avons sollicité Ikea dès le début du documentaire", précise Marianne Kerfriden au micro de Forum. L'entreprise, relancée à plusieurs reprises, a toujours refusé de s'exprimer face caméra.
Pour chaque arbre abattu, nous en plantons deux autres
Dans le documentaire, c'est donc Viveka Beckeman, la directrice de l'industrie des forêts suédoises, qui vient défendre la position de la branche.
"Pour chaque arbre abattu, nous en plantons deux autres", avance-t-elle. Un argument également utilisé par Ikea, qui dit ainsi vouloir compenser son empreinte carbone.
En effet, ils replantent, "mais des arbres à croissance rapide et d'une seule espèce", ce qui ne favorise par la biodiversité, répond l'auteure du documentaire. "Une plantation d'arbres, ce n'est pas une forêt", conclut-elle.
Interview Forum: Valentin Emery
Adaptation web: Doreen Enssle