Marlyne Sahakian souligne que, contrairement au chauffage qui a toujours été nécessaire pour survivre en Europe, l'usage massif de la climatisation est un phénomène plus récent, étroitement lié au réchauffement climatique. Cependant, elle appelle à une utilisation parcimonieuse de cette technologie.
"La climatisation qui rafraîchit les intérieurs va contribuer à réchauffer les extérieurs", rappelle-t-elle, évoquant ainsi l'effet d'îlot urbain, où les villes accumulent la chaleur.
Il ne faut pas tendre vers ce but de créer une bulle sans aucune diversité thermique
La climatisation est souvent perçue comme une solution incontournable, notamment dans des pays tropicaux comme Singapour, où le premier Premier ministre après l'indépendance voyait en elle un facteur clé du développement économique.
Mais Marlyne Sahakian, spécialiste des questions de bien-être et de durabilité, nuance cette vision. Si elle reconnaît qu'il est important de permettre aux gens de vivre et de travailler confortablement, elle conteste la normalisation d'une température unique et homogène à l'intérieur des bâtiments. "Il ne faut pas tendre vers ce but de créer une bulle sans aucune diversité thermique", affirme-t-elle.
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Ne pas miser uniquement sur la technologie
Elle préconise une "climatisation parcimonieuse", basée sur la sobriété énergétique, en évitant de surconsommer des solutions techniques. "Il faut penser à rafraîchir les personnes et non pas les espaces."
Des alternatives existent. Elle cite l'exemple de l'Iran, où des techniques traditionnelles, comme la ventilation passive et l'accès à des points d'eau, permettent de se rafraîchir sans technologie moderne.
On doit réfléchir à comment assurer le confort thermique pour toutes et tous, pas seulement pour une minorité de privilégiés
Pour elle, ces approches peuvent nous inspirer, notamment en Suisse, où elle craint que nous ne soyons confrontés à une "injustice thermique".
En effet, certaines personnes vivant dans des villas ombragées bénéficieront de températures plus fraîches, tandis que d'autres, dans de petits appartements mal adaptés aux vagues de chaleur, souffriront davantage. "On doit réfléchir à comment assurer le confort thermique pour toutes et tous, pas seulement pour une minorité de privilégiés", avertit-elle.
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Adapter le bâti et changer nos habitudes
L'un des défis contemporains est de repenser la conception de nos bâtiments. Marlyne Sahakian pointe du doigt les immeubles en verre, qui ne sont habitables qu'avec une climatisation constante. Ces bâtiments, conçus pour amener visuellement l'extérieur à l'intérieur, exacerbent pourtant la dépendance énergétique.
En Suisse, nous faisons face à une "double contrainte", selon elle: il faut à la fois préparer les bâtiments pour des étés de plus en plus chauds et des hivers rigoureux. "Cela implique d'innover non seulement dans la construction, mais aussi dans nos pratiques sociales. Des changements institutionnels sont nécessaires, comme le fait de revoir les horaires d'ouverture des magasins et d'école pendant les périodes de chaleur."
Propos recueillis par Eric Guevara-Frey/vajo